Boris Vian avait compris la musique !

08.05.2014 | par Alexandre Moatti | Non classé

Même si je m'éloigne du sujet principal de ce blog, il me paraît intéressant de faire partager ici différentes visions de la science et de la technique, dans la littérature d'anticipation notamment, comme je l'ai fait ici ou dans ce blog. Dans un essai publié en 1958, un an avant sa mort par crise cardiaque, Boris Vian (1920-1959) fait preuve d'une vision d'anticipation étonnante à propos de l'Internet. Vian était ingénieur (centralien) de formation, il gardait sans doute un intérêt pour la science et la technique ; il vénérait la science-fiction ; il était membre du Collège de pataphysique (créé en 1948, toujours existant), et du Club des Savanturiers (1951-1953, fondé par Queneau).

En Avant la zizique

Cet essai En avant la Zizique.. et par ici les gros sous (Le Livre contemporain, 1958 ; nombreuses rééditions actuelles en poche) a peut-être un peu mal vieilli, sur les rapports entre interprètes, producteurs, auteurs de chansons — que dirait Vian du monde actuel de la musique ? Mais on y trouve cette pépite :

« Mais si, dans tous les domaines, le commercial se montre, de nos jours, si agressif par rapport au bureau d'études, c'est que le bureau d'études s'apprête à lui porter, dans l'avenir, un coup dont il ne se relèvera pas. Car le commercial est un de ces secteurs qui ne pourront échapper à l'automation. Rien de plus aisé à concevoir, si c'est provisoirement cher à réaliser, qu'une distribution automatique des biens de consommation. Le commerçant fait bien de profiter de son reste : quoi qu'il puisse apparaître aujourd'hui, c'est lui la branche du secteur économique qui est appelée, tôt ou tard, à être tranchée.»

J'y lis une étonnante anticipation de l'ingénieur Vian de ce qu'on appelle à présent la "désintermédiation" du commerce traditionnel (librairies, mais aussi biens et services les plus divers) par les géants ou moins géants de l'Internet. On peut aussi voir, dans l'"agressivité par rapport au bureau d'études" (entendez : la technologie), les mesures de protection DRM, HADOPI des majors de la musique (dans le domaine évoqué par Vian, justement). Enfin, on peut remettre cette citation dans le contexte de l'effervescente anticipation des années 1950 autour de l'automation (Licklider aux US, Dubarle en France et bien d'autres), dans le sillage de la pensée de Norbert Wiener (1894-1964) et de son ouvrage Cybernetics (1948), récemment republié au Seuil à l'occasion du 50e anniversaire de sa mort.


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