Louis Pasteur, nationalo-scientiste après la défaite de 1871

08.11.2014 | par Alexandre Moatti | Non classé

Continuons, après la guerre des savants en 1914, notre exploration du thème “science et nationalisme” avec un article de 1871 de Louis Pasteur (1822-1895), juste après la défaite (je remercie Jean Dhombres, historien des sciences, de m'avoir fait connaître cet article). Il s’intitule « Pourquoi la France n'a pas trouvé d'hommes supérieurs au moment du péril [1] ». Je ne porte pas de jugement sur cet article [2] – on peut le considérer informatif sur certains aspects, et très engagé dans une interprétation politique sur d'autres. On peut le lire en entier sur Gallica (11 pages), j'en donne ici des extraits, en respectant l'ordre de l'article.

Extrait 1Extrait 1 : On retrouvera en 1914 ce thème d'une Prusse honnie, sans rapport avec le reste de l'Allemagne, qui mettra du temps à s'unifier. Autre thème, qu'on retrouve après la défaite de 1940 : la France a mérité sa défaite, etc.

Extrait 2Extrait 2 : « Je me propose de démontrer... » : une démarche scientifique ?

 Extrait3Extrait 3 : Pasteur, beaucoup d'auteurs l'ont souligné, est politiquement conservateur. Pour lui, la Révolution de 1789 n'a pas été une excellente chose – nous verrons d'autres exemples.

Extrait4
Extrait 4 : On sait que l’École polytechnique a formé de grands savants entre 1794, date de sa création, et 1840. J'ignorais que ce fût aussi le cas du Muséum (aujourd'hui Jardin des Plantes / MNHN).

Extrait 5
Extrait 5 : Mais depuis 1820, nous dit Pasteur, la situation s'est dégradée. Il déplore qu'on fasse des « sciences appliquées », au détriment des « sciences théoriques » (ou pures). Débat et revendications toujours actuels.

 Extrait 6
Extrait 6 :
L'Allemagne cultive ses universités, et elle a raison. La France est « énervée par les révolutions » énervée au sens physiologique, sans nerfs, sans influx ? Par ailleurs la culture des sciences a un rôle « moral » (on est bien évidemment dans l'époque positiviste et scientiste de la fin du XIXe s.)

Extrait 7
Extrait 7 : C'est factuel – d'autant que c'est Pasteur le normalien qui parle : l'ENS n'a pas produit de nombreux savants au cours du XIXe s. Cela changera au cours du XXe s.

Extrait 8
Extrait 8 : Les universités sont fortes en Allemagne, pas en France où elles manquent de moyens – débat toujours actuel...

Extrait 9
Extrait 9 : À partir de la seconde révolution industrielle, vers 1840, Polytechnique forme plutôt des ingénieurs, moins de savants. De nos jours, « les premiers sujets de Polytechnique » ne font pas de science, mais entrent dans des corps d’État (Mines, Ponts) – un professeur célèbre, L. Schwartz, le déplorera dans Le Monde en 1977 [3]

Extrait 10 Extrait 10 : C'est le morceau de bravoure politique. Ce n'est pas l'idée républicaine qui a sauvé la France de ses ennemis en 1793, mais la science... et certains scientifiques, « hommes supérieurs » (titre de son article), quasi providentiels, tels L. Carnot, Monge,... Pasteur inverse la fameuse phrase "la France n'a pas besoin de savants", avec ces accents nationalo-scientistes : c'est la science qui fait la France.
Pasteur, on l'aura compris, est très modérément républicain ; mais scientifique, ça il l'est ! Et la supériorité scientifique, gage de victoire selon lui, est passée en 1871 à l'Allemagne...

Extrait fin Extrait 11: Feu d'artifice final (conclusion) : non seulement la science est passée du côté de l'Allemagne, mais celle-ci en fait mauvais usage – on retrouve là les arguments que l'on verra en 1914, sur la « barbarie savante » des Allemands. Ces accents pasteuriens de 1871 préfigurent les mêmes accents de la guerre des savants de 1914 ; exactement comme, plus globalement, la défaite de 1871 préfigure la guerre de 1914-1918. La boucle est bouclée.

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[1] Revue Le Salut Public, Lyon, mars 1871. Repris dans Revue scientifique, 22 juillet 1871, p. 73-76. Repris dans Œuvres Complètes de Pasteur, t.7 et dernier

[2] J'essaie d'être le plus neutre possible – mais ce n'est pas aisé y compris dans le choix du titre : j'aurais pu choisir « Louis Pasteur : la science fait la France », mais ce titre peut être interprété comme scientiste ; et mettre « national-scientiste » au lieu de « nationalo-scientiste » eût été aller trop loin dans l'autre sens !

[3] Voir un de mes articles « Les grandes écoles et la science » (et télécharger, le cas échéant, la note en PS3 « Le Corps des mines et la science »


3 commentaires pour “Louis Pasteur, nationalo-scientiste après la défaite de 1871”

  1. Gabriel Finkelstein Répondre | Permalink

    “We have no great men; we have no ideas. Ideas: there’s the cause of your superiority.”

    French prisoner, recorded by Theodor Fontane, Sämtliche Werke (Munich: Nymphenburger Verlagshandlung, 1962) [Kriegsgefangen: Erlebtes 1870. Aus den Tagen der Okkupationen], 16: 252-253.

  2. Gabriel Finkelstein Répondre | Permalink

    Autres réponses comparables:

    Ernest Renan, La Réform intellectuelle et morale de la France (Paris: Michel Lévy Frères, 1871), 1-121; Émile Alglave, editorial, Révue scientifique de la France et de l’Étranger, 2e série, 8.1 (1 July 1871): 1; Claude Digeon, La Crise allemande de la pensée française, 1870-1914 (Paris: Presses universitaires de France, 1959), 364-365; Maurice Crosland, “Science and the Franco-Prussian War,” Social Studies of Science 6.2 (May 1976): 185-214; Rudolf Virchow, “Über die Aufgaben der Naturwissenschaften in dem neuen nationalen Leben Deutschlands,” Tageblatt der 44. Versammlung deutscher Naturforscher und Aerzte in Rostock vom 18. bis 24 September 1871 (Rostock: Leopold’schen Universitäts-Buchhandlung, 1871), 73-81, on 75-76.

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