A-t-on retrouvé le crâne de Pline l’ancien ?

Une certaine émotion traverse l'Italie depuis que l'on a (re)découvert une boîte crânienne sur une étagère poussiéreuse dans un musée de Rome, qui pourrait être celle de Pline l'ancien (23-79). Mis au jour il y a un siècle, ce crâne provient du squelette d'un haut dignitaire militaire, mort sur la plage de Stabies pendant l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère. Chaque détail suggère qu'il s'agit du crâne de Pline l'ancien:

Un portrait néoclassique de Pline l'ancien...

Un portrait néoclassique de Pline l'ancien. (C: domaine public)

Pline l'ancien est un auteur romain très connu pour avoir été l'inventeur du concept d’encyclopédie. Ainsi, il nous a laissé L’histoire naturelle, un ouvrage naturaliste en 37 volume, qui en plus d'être resté une référence pendant… 1800 ans a aussi inspiré toutes les autres encyclopédies. Pline l'ancien est aussi l'oncle de Pline le jeune (61-113), non moins connu. Il l'est notamment par ses lettres, dont celles adressées à Tacite (58-120) nous renseigne sur les évènements pendant lesquels son oncle trouva la mort.

Le père de la volcanologie

Voici par exemple comment il décrivit le panache du Vésuve pendant l'éruption de 79: Une nuée se formait (on ne pouvait bien voir de loin de quelle montagne elle sortait, on sut ensuite que c’était du Vésuve), ayant l’aspect et la forme d’un arbre et faisant penser surtout à un pin (parasol). Car après s’être dressée à la manière d’un tronc fort allongé, elle déployait comme des rameaux, ayant été d’abord, je suppose, portée en haut par la colonne d’air au moment où elle avait pris naissance, puis cette colonne étant retombée, abandonnée à elle-même ou cédant à son propre poids, elle s’évanouissait en s’élargissant ; par endroit elle était d’un blanc brillant, ailleurs poussiéreuse et tachetée, par l’effet de la terre et de la cendre qu’elle avait emportées.La précision de ces mots frappa tant les premiers volcanologues, qu’ils nommèrent«éruptions pliniennes» les grandes explosions volcaniques accompagnées de panaches troposphérique voire stratosphérique et de nuées ardentes tueuses de villes.

Le père de la protection civile

Ainsi, Pline le jeune est en quelque sorte le père de la volcanologie, et c’est d’autant plus fascinant que, si c’est le cas, alors, Pline l’ancien son oncle, est celui de… la protection civile. Le grand savant romain était en effet l’amiral de la flotte de Misène, dans la baie de Naples, et lors de l’éruption, il improvisa la première opération navale visant à sauver toute une population : celle des flancs du Vésuve. Il y laissa la vie ! Dans quelles circonstances?

Le 24 août 79, le Vésuve explosa et recouvrit de matériaux volcaniques les villes romaines installées sur ses flancs fertiles (des glissements de calendrier depuis les Romains impliqueraient que l'éruption aurait eu lieu en fait à la mi octobre 79). Les Pline – l’ancien et le jeune – assistèrent d’abord à l’événement depuis Misène, un port militaire installé sur une presque-île située de l’autre côté de la baie de Naples face au volcan. Les deux hommes devaient être passionnés, car ils adoraient s’adonner ensemble à diverses observations scientifiques. L'oncle et le neveu étaient en train d’analyser le panache du Vésuve, quand, par signal optique ou par pigeon voyageur, un appel à l’aide désespéré leur parvint de Salvia Rectina.

Représentation de l'éruption du Vésuve d'octobre 1822 par le géologue anglais George Julius Poulett Scrope (1797-1876). L'éruption du Vésuve de 79 lui a peut-être ressemblé. (C: domaine public).

Représentation de l'éruption du Vésuve d'octobre 1822 par le géologue anglais George Julius Poulett Scrope (1797-1876). L'éruption du Vésuve de 79 lui a peut-être ressemblé. (C: domaine public).

Salvia rectina, l'amante du vieux

Cette matrone (c’est-à-dire mère de famille romaine), que l’on imagine belle, aurait eu avec le vieux… Pline, une relation amoureuse, ou du moins affective. Ce message fit réaliser la situation de la population du piémont du Vésuve à l’amiral et il comprit qu’il pouvait aider. Pline mobilisa immédiatement toutes les quadrirèmes disponibles de sa flotte, et, après avoir donné le choix à son neveu de le suivre ou pas – celui-ci choisit de rester pour rédiger un texte que lui avait demandé  son oncle ! –, il partit à toute rame vers les côtes d'Herculanum et de Pompéi. Le vent soufflait vers la terre de sorte qu’aucun navire à voile ne pouvait espérer en partir. Propulsés à rames, les navires de guerre – des quadrirèmes – parviendraient en revanche de toute façon à atteindre les plages et à en revenir ; jusqu’à 200 personnes pourraient se masser sur leurs ponts plats.

Fortuna audaces iuvat !

Des milliers de personnes s’étaient rassemblées sur les plages, emportant des biens et attendant un salut qui ne pouvait venir que de la mer, et pour nombre d'entre elles ne viendrait pas. Encore fallait-il pour qu’il arrive que l’éruption ne détruise pas les bateaux : une fois près de la plage de Stabies vers laquelle s’était dirigé le Fortuna, le vaisseau amiral, le pilote recommanda de retourner en pleine mer, tant la pluie de cendres brûlantes et de pierres ponces s’épaississait… Pline lui répondit par une plaisanterie Fortuna audaces iuvat, c’est-à-dire la Fortuna (le nom du navire, mais aussi le mot signifiant «chance») aide les audacieux !

Une quadrirème romaine.

Une quadrirème romaine.

Les quadrirèmes mouillèrent à quelques centaines de mètres de la côte, se répartissant en éventail d’Herculanum à Stabies et envoyant des chaloupes chercher les réfugiés. L’embarquement se faisait le plus vite possible et dura jusqu’à ce qu’une nuée ardente sorte du volcan, en dévale les pentes et tue tous ceux qui attendaient sur la plage d’Herculanum ; une fois sur la plage de Stabies, à quelque 16 kilomètres du Vésuve, Pline pour sa part descendit à terre et selon le témoignage de son neveu, rejoignit son ami Pomponianus chez lui, où il mangea, prit un bain et fit une sieste, peut-être afin de rassurer tout le monde… Toutefois, selon Pline le Jeune, la pluie de cendres et de pierres ponces s’épaississait à tel point que l’on alla tirer son oncle de la pièce où il se reposait.

La mort de Pline l'ancien

Comme le raconte son neveu, Pline l'ancien était alors tout prêt de sa mort: Mais enfin la cour par où l'on entrait dans son appartement commençait à se remplir si fort de cendres, que, pour peu qu'il eût resté plus longtemps, il n'aurait plus été libre de sortir. On se conféra alors et prit le parti de fuir : Ils sortent donc, et se couvrent la tète d'oreillers attachés avec des mouchoirs; ce fut toute la précaution qu'ils prirent contre ce qui tombait d'en haut. Le jour recommençait ailleurs; mais dans le lieu où ils étaient continuait une nuit la plus sombre et la plus affreuse de toutes les nuits, et qui n'était un peu dissipée que par la lueur d'un grand nombre de flambeaux et d'autres lumières. On trouva bon de s'approcher du rivage, et d'examiner de près ce que la mer permettait de tenter; mais on la trouva encore fort grosse, et fort agitée d'un vent contraire. Là, mon oncle ayant demandé de l'eau et bu deux fois, se coucha sur un drap qu'il fit étendre. Ensuite des flammes qui parurent plus grandes, et une odeur de soufre qui annonçait leur approche, mirent tout le monde en fuite. Il se lève, appuyé sur deux valets, et dans le moment tombe mort.

Une représentation néoclassique de la mort de Pline. (C: domaine public)

Une représentation néoclassique de la mort de Pline. (C: domaine public)

Pline le jeune attribue cette mort aux vapeurs toxiques venant du Vésuve, mais il semble exclu qu’elles aient pu parvenir si loin. Il est plus probable que cet homme corpulent et ravagé par les excès sans doute (il avait pris soin de manger chez son ami Pomponianus !), soit mort d’une crise d’asthme ou d’un infarctus… Quoi qu’il en soit, Pline le jeune précise : Lorsque l'on commença à revoir la lumière (ce qui n'arriva que trois jours après), on retrouva au même endroit son corps entier, couvert de la même robe qu'il portait quand il mourut, et dans la posture plutôt d'un homme qui repose que d'un homme qui est mort. Il semble en tout cas que, même trois jours après, trouver et transporter les corps des morts n’ait pas été la priorité et, si les fait rapportés par Pline le jeune sont exacts, alors le corps de Pline le vieux, orné de tous les attributs de son commandement et de sa classe sociale, disparut bientôt sous la couche de matériaux volcaniques épaisse par endroits de plusieurs dizaines de mètres, qui recouvrit bientôt toute la vallée du Sarno, le petit fleuve passant entre Pompéi et Stabies.

Les bijoux de de ballerine de Pline

Le squelette présumé de Pline l'ancien ne fut retrouvé que quelque 1920 années plus tard, lorsque l’ingénieur napolitain Gennaro Matrone entreprit des fouilles à l'embouchure du Sarno donc en contrebas de Pompéi et près de la mer. Son équipe découvrit 73 squelettes. Les matériaux volcaniques dans lesquels ils étaient enfouis amenèrent à la conclusion qu’il s’agissait d’un groupe de Pompéiens morts sur place, soit parce qu’ils n’avaient pu fuir, soit parce que, malgré la distance, des gaz toxiques ou un nuage ardent étaient parvenus jusqu'à eux depuis le volcan… Certains portaient sur eux de petits portes-monnaies, mais rien de plus.

Un individu fut retrouvé couché à part du groupe, ce qui suggère qu’il était mort avant ses membres… Il portait sur lui de nombreux bijoux d’or : bracelets divers dont un en forme de serpent, collier d’or composé de 75 chaînons, un torque à têtes de lion affrontées et un glaive dont la garde en ivoire était ornée de coquillages d’or. Pour Matrone, la découverte d’un personnage notable, mort apparemment avant le gros de l’éruption et ceux qui l’accompagnaient sur la plage antique de Stabies ensevelie sous les cendres de l’éruption de 79, c’est-à-dire là où Pline l’ancien était décédé, constituait un faisceau de coïncidences faisant penser au grand auteur romain. Il en informa les autorités, mais ne fut pas pris au sérieux… Matrone publia alors sa théorie par ses propres moyens, mais l’archéologue de référence s’agissant de Pompéi à l'époque – Giuseppe Cosenza – la ridiculisa en avançant que jamais un « amiral romain n’aurait pu s’orner comme une ballerine avant le spectacle.»

Un crâne au musée de la santé

Puisque l'on ne prenait pas sa découverte au sérieux, on autorisa Gennaro Matrone à vendre les effets découverts, ce qu’il fit en les cédant à de riches collectionneurs étrangers. L’enthousiasme public pour la découverte ayant disparu sous l’influence de Cosenza, Matrone finit par confier seulement le crâne au général Mariano Borgatti, qui le fit admettre dans les collections du Musée de la médecine de Rome (Museo storico nazionale dell'arte sanitaria), où s’empoussiéra jusqu’à nos jours.

Le crâne présumé de Pline (C:)

Le crâne présumé de Pline (C:Museo storico nazionale dell'arte sanitaria)

Archéologie autoritaire

Depuis cette époque d’archéologie autoritaire, le travail des chercheurs a montré que les bijoux et les objets précieux trouvés sur le squelette peuvent fort bien être les symboles d'autorité typiques d'un haut commandant romain. Le glaive orné de coquillages montre en outre qu’il s’agissait d’un officier de marine. Le torque à têtes de lion est par ailleurs un signe d’appartenance typique à la classe équestre, à laquelle appartenait Pline. Ces coïncidences supplémentaires achèvent de convaincre que le crâne transmis au Museo storico nazionale dell'arte sanitaria est bien celui de l’amiral, qui avait tout naturellement revêtu les insignes de son autorité au moment de diriger les opérations de sauvetage.

Les isotopes des dents, la preuve définitive?

Pour autant, pourrait-on en être encore plus certain ? Obtenir une preuve absolue de l’appartenance du squelette restera impossible, mais le crâne pourrait fournir un sérieux indice de plus. Son étude anatomique a déjà montré qu’il appartenait à un homme âgé d’environ 55 ans; or Pline avait 56 ans au moment de sa mort. Ses dents pourraient nous apprendre en outre où leur propriétaire a passé son enfance… Pendant la croissance, les isotopes contenus dans l’eau que boit un individu se fixent en effet dans ses dents, constituant une signature caractéristique de la zone où il a passé son enfance. En 2015, l’étude des dents de la momie d’une femme de l’âge du Bronze découverte au Danemark avait par exemple permis de montrer qu’elle avait été élevée en Allemagne du sud. D’où l’idée de vérifier que le cocktail d’isotopes déposé dans les dents du squelette présumé être celui de Pline l’ancien caractérise bien la région de Côme.

Une découverte telle que celle du crâne présumé de Pline est si exceptionnelle qu’elle mérite bien cette vérification supplémentaire. C’est là qu’intervient Flavio Russo, l’auteur en 2004 du livre 79 d.C. Rotta su Pompei: Indagine sulla scomparsa di un Ammiraglio, c’est-à-dire «79 de notre ère, cap sur Pompéi : enquête sur la disparition d’un amiral». Désirant poursuivre son enquête, Flavio Russo, aidé par notre confrère italien Andrea Cionci, a entrepris de rassembler les fonds nécessaires (de l’ordre de 10 000 euros) pour analyser la signature isotopique enregistrée au sein de deux dents. Aux audacieux, la fortune sourit.

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