L’Amazonie un paysage culturel ?
L'Amazonie, une forêt vierge? Non! C'est un paysage largement aménagé par l'homme, qui fut doté de routes, de villes et villages en réseaux et, selon Stéphen Rostain du CNRS qui vient de découvrir la plus vieille maison amazonienne, l'Amazonie a aussi été un haut lieu d'innovation.

Un village amazonien tel que les représentaient les premiers Européens qui les découvrirent. On note les champs situés à côté du village.
Vous n'y croyez pas? Vous vous accrochez à l'idée d'une forêt primaire peuplées de monstres et de serpents, parcourue par de rares chasseurs-cueilleurs? Alors lisez ce qu'écrivit l'un des tout premiers Européens à avoir descendu l'Amazone. Dans son livre Relación del nuevo descubrimiento del famoso río Grande que descubrió por muy gran ventura el capitán Francisco de Orellana (Relation de la découverte nouvelle du fameux grand fleuve que découvrit au cours d'une grande aventure le capitaine Francisco de Orellana), le dominicain espagnol Gaspar de Carvajal (1500-1584) écrit ce que les personnes se trouvant à bord du bateau espagnol descendant l'Amazone virent le 25 juin 1542 :
Nous nous dirigions vers des îles que nous pensions inhabitées, mais lorsque nous les avons atteintes, les habitats qui s'offrirent à notre vue étaient si nombreux […] que nous en avions les larmes aux yeux […] et, quand ils nous virent, ils vinrent à notre rencontre sur la rivière à bord de 200 pirogues [canoës], chacune d'elles transportant vingt à trente Indiens, et certaines quarante… Ils étaient richement parés d'emblèmes colorés, et ils avaient avec eux de nombreuses trompettes et tambours… et sur terre une chose merveilleuse à voir, c'était ces formations de villageois, qui jouaient de divers instruments et dansaient au son de ceux-ci, manifestant une grande joie de voir que nous passions par leur village.
En fait, les archéologues spécialistes des paléo-cultures du bassin amazonien, constatant qu'ils trouvaient des traces de vie humaine partout en Amazonie dès qu'ils ouvrent le sol, estiment aujourd'hui qu'à l'arrivée des Européens en 1492, l'Amazonie avait entre 5 et 10 millions d’habitants. Où sont-ils passés, dans la mesure où un siècle après à peine, ils n'étaient plus que quelques centaines de milliers? De l'ordre de 50 à 90% d'entre eux sont morts infectés par les virus et les bactéries apportées par les Européens! Si la civilisation amazonienne a largement disparu, son existence avait été vaguement perçue par les Espagnols avant qu'elle ne sombre, et c'est cela, probablement, qui est à l'origine du mythe de l'Eldorado, à savoir de l'idée fantasmatique qu'il existerait quelque part en Amérique un pays très civilisé et surtout très riche (Eldorado peut se traduit par «Le pays doré» )...
Que ce soit en Guyane ou dans d'autres régions de l'Amazonie, les archéologues trouvent de plus en plus de traces de villages disparus entourés de champs et qui étaient reliés par des réseaux de routes ; ils réalisent aussi le rôle que les Amazoniens ont joué dans l'appropriation et la diffusion des grandes innovations aux autres Amérindiens. En 2010, dans Pour la Science, l'archéologue américain Michael Heckenberger s'est par exemple intéressé au cas du Haut Xingu, une région amazonienne du Brésil longtemps occupée par une civilisation de pêcheurs et d'agriculteurs bâtisseurs de villes et de routes.

Le réseau de villages reliés par des routes mis en évidence par Michael Heckenberger.
(C: George Redseck)
Ainsi, il semble que l'Amazonie précolombienne ait accueillie deux types d'habitants : d'une part, des paysans vivant au sein de réseaux de villages hautement organisés, le plus souvent le long des côtes et des fleuves (mais chasseurs aussi), ce qui explique les observations de Gaspar de Carvajal ; d'autre part des chasseurs-cueilleurs vivant en forêt, mais cultivateurs aussi (pratiquant surtout une agroforesterie nomade). Tout indique que le premier type de populations a occupé de vastes régions, de sorte qu'elles devaient être politiquement organisées, ce qui les rend comparables aux populations andines et aux populations méso-américaines en voie de globalisation politique (de constitution d'ensemble politiques de plus en plus grands). Dans la mesure, où des civilisations se sont développées dans l'isthme méso-américain recouvert comme l'Amazonie de denses forêts, il n'y a aucune raison de croire que les civilisations disparues d'Amazonie auraient été moins avancées… Seulement, puisqu'elles étaient installées dans un vaste bassin sédimentaire, où la pierre est relativement peu présente, les cultures amazoniennes ont utilisé avant tout le bois dans leurs constructions, de sorte que les traces de celles-ci, enfouies sous la végétation et les sédiments (comme le montre un exemple que nous allons évoquer plus longuement plus bas ou encore la première image illustrant ce texte) sont très difficiles à déceler.
Les paysans-chasseurs et les chasseurs-cueilleurs agroforestiers amazoniens échangeaient entre eux et avec les cultures avancées (andines et méso-américaines) les entourant. On ignore quelle rôle exact elles ont joué dans la l'invention et la diffusion des grandes inventions américaines, mais il est clair qu'il fut important. Ainsi, dès la Période formative (-2700 à -200), celle de l'apparition des premiers villages andins, les Amazoniens disposaient de la poterie. Il est aussi apparu que le maïs, une plante dont la forme sauvage est réputée d'origine mexicaine, était déjà cultivé en Amazonie il y a 7000 ans, soit presque en même temps qu'au Mexique. Les Andins ont-ils reçu le maïs des Amazoniens, qui l'auraient reçu des Mexicains? De même, ils furent aussi les premiers Sud-Américains à cultiver le cacaoyer. L'agroforesterie, c'est-à-dire la culture de plantes alimentaires au pied d'arbres dans un sol travaillé, a aussi beaucoup été développée en Amazonie, où elle est toujours pratiquée par les populations qui ont gardé leurs modes de vie traditionnels. Il s'agit évidemment là d'une pratique de nature à changer les paysages sur une grande échelle, ce qui explique le dense réseau de village qu'a vu Gaspar de Carvajal et qu'a retrouvé Michael Heckenberger dans le Haut Xingu au Brésil.
Stéphen Rostain du CNRS, a l'impression que l'Amazonie a été un grand centre d'innovation techniques et sociales, même si, à partir des données actuelles, il est difficile de dire qui, des Andins, des Méso-Américains ou des Amazoniens a inventé quoi et quand (tous ont sans doute contribué, par exemple à la diversification du maïs). Son sentiment est que les Amazoniens ont probablement inventé ou influencé nombre des techniques de culture et des types d'organisation sociale que l'on rencontre en Amérique. Il travaille à le prouver et, dans ce cadre, il a découvert non loin de Puyo en Équateur la plus ancienne maison d'Amazonie, vieille de plus de 3000 ans.

La maison amazonienne vieille de trois millénaires a été découverte près de Puyo en Équateur grâce à son foyer repéré par hasard dans la tranche d'un talus (au premier plan). Quand il ont fouillé la strate contenant le foyer, les archéologues ont découvert des trous de poteaux, dont deux sont visibles (en arrière plan). C'est ainsi qu'ils ont pu reconstituer le plan de cette grande maison ovale construite pour accueillir une grande famille.
(C: Stéphen Rostain)
Cette grande case ovale de 11 par 19 mètres de long, comportant un foyer décentré, est un exemple de maison conçue pour accueillir une famille élargie et ses animaux. Ses habitants connaissaient la poterie, et tels les Européens du Néolithique, ils ont construit leur maison en se servant de haches de pierre. Il s'agissait d'Amazoniens vivant à 1000 mètres d'altitude aux portes des Andes, de sorte qu'il est probable qu'ils échangeaient avec les Andins, notamment pour se procurer des ressources lithiques, par exemple de l'obsidienne (un verre volcanique très coupant), qu'ils échangeait sans doute contre des produits prisés d'Amazonie, telle ces plumes colorées, dont tous les Américains se servaient si volontiers pour produire des coiffes rituelles :
Non vraiment, l'Amazonie ne compte pas pour des prunes, mais aussi pour des plumes, du cacao, du maïs, etc., etc !
chouette document! cassant beaucoup d'idées reçues!!
non, l'histoire de l'agriculture n'est pas uniquement une histoire indo-européenne et de croissant fertile, cf. http://laplaneterevisitee.org/fr/184/de_fausses_forets_vierges_en_papouasie