Bientôt une «archéologie» extraterrestre?

Les stromatolithes du hâvre Hamelin dans la baie Shark en Australie occidentale. (C: Paulk Harrison)

Les stromatolithes du hâvre Hamelin dans la baie Shark en Australie occidentale. (C: Paulk Harrison)

La vie aussi a son «archéologie». Sera-t-elle la première archéologie qui s'étendra hors de la Terre? La première archéologie extraterrestre? C'est la question que je me pose depuis que j'ai rendu compte du travail accompli par une équipe australienne d'«archéologues de la vie» au Groenland.

Malgré des dizaines d'années de fouille partout dans l'Univers, nous n'avons pas pour le moment découvert d'endroit recélant de la vie ailleurs que sur Terre. Notre planète s'est formée il y a quelque 4,54 milliards d'années de façon apparemment abiotique. Les plus anciens fossiles non controversés, nous font en effet remonter de 3,5 milliards d'années dans le temps : ce sont des fossiles de stromatolithes.

Ce genre de monticule (image du haut : les stromatolithes de Shark Bay en Australie) abrite des écosystèmes de cyanobactéries. Les bactéries de cet embranchement réalisent la photosynthèse, c’est-à-dire qu'elle transforment la lumière solaire en consommant du dioxyde de carbone pour produire de l'énergie ; au cours du processus, les cyanobactéries d'aujourd'hui créent de l'oxygène et secrètent du carbonate de calcium, en d'autres termes du calcaire. On pense qu'avant que l'atmosphère terrestre ne soit devenue riche en oxygène, des cyanobactéries devaient exister, qui réalisaient une photosynthèse en assimilant le sulfure de soufre (H2S) à la place de l'eau, donc sans produire d'oxygène. Toutefois, ces cyanobactéries archaïques consommaient aussi du dioxyde de carbone, elles secrétaient aussi du calcaire comme celles d'aujourd'hui. C'est pour cette raison que les colonies de cyanobactéries ont toujours édifié dans les mers peu profondes où elles vivent (il leur faut recevoir de la lumière) de petits monticules : les stromatolithes. Ces édifices constituent des signatures aisément repérables de la vie cyanobactérienne et, par là, de la vie.

Les structures coniques des stromatolithes fossiles se retrouvent normalement au sein d'environnement marins fossilisés, donc dans des roches sédimentaires, dont les plus anciennes sont les grès australiens de la formation de Pilbara, vieux de 3,48 milliards d'années:

Des stromatolithes vieux de 3,2 à 3,6 milliards d'années issus de la formation de Pilbara en Australie. (C: MNHT)

Des stromatolithes vieux de 3,2 à 3,6 milliards d'années issus de la formation de Pilbara en Australie. (C: MNHT)

Jusqu'à présent, il n'avait jamais été possible de dépasser cette date. Toutefois, autour d’Allen Nutman de l’université de Wallongong, c'est ce que pense avoir fait une équipe australienne. Elle a découvert les restes de ce qui serait des stromatolithes conservés par quelque miracle tectonique au sein des roches sédimentaires métamorphiques de la formation d'Isua au Groenland.

Métamorphiques? Des roches sont déclarées métamorphiques lorsque, au cours de leur histoire géologique, elles ont connu un séjour sous les hautes températures et pressions des profondeurs de la croûte terrestre. Normalement, on s'attend à ce que le genre de cuisson à haute profondeur, qui peut, par exemple, transformer des boues argileuses en schistes, fasse disparaître toute matière organique, donc toute trace de vie, mais les édifices stromatolithiques sont faits de calcaires…

C'est ce qui rend ces structures si fascinantes : il s'agit de traces de vie, mais de traces de vie rocheuses, capables de résister bien mieux au temps que les autres traces de vie. Dès lors, ont-elle pu se conserver en partie malgré un séjour métamorphisant dans les profondeurs de la Terre? Les structures trouvées par l'équipe australienne ressemblent à cela:

Les structures présumées être des stromatolithes découvertes par l'équipe australienne de Allen Nutman de l'université de Wallongong.

Les structures présumées être des stromatolithes découvertes par l'équipe australienne de Allen Nutman de l'université de Wallongong.

 

S'agit-il vraiment de stromatolithes? La question est délicate, car il existe des structures abiotiques ressemblant aux stromatolithes. Quoi qu'il en soit, j'explique dans l'actualité de Pour la Science La vie vieille de 3,7 milliards d'années? par quels arguments les chercheurs sont parvenus à la conclusion qu'il s'agit bien là de stromatholites.

Pour autant, qu'impliquerait la constatation de l'existence d'une vie bactérienne il y a 3,7 milliards d'années?

Cette date tombe dans l'Éoarchéen, qui va de -4 à -3,6 milliards d’années. C'est pendant cette période géologique que la croûte terrestre a commencé à se solidifier, mais la surface de la Terre devait être néanmoins invivable, car la planète était encore soumise  à un bombardement d'astéroïdes assez intense. Même pour des bactéries, sa surface devait donc être peu habitable…

Un autre point notable est que le moteur tectonique était seulement en train de démarrer, et l'on estime qu'il n'a fonctionné «normalement» – c'est-à-dire comme aujourd'hui – qu'au bout du premier milliard et demi d'années d'existence de la Terre. La remarque est d'importance, quant à la possibilité de vie pendant l'Éoarchéen, car la tectonique crée les dorsales océaniques (de long volcans médio-océaniques), où – pense-t-on – se seraient trouvés près des sources hydrothermales les premiers habitats viables pour des microorganismes. Aujourd'hui, ce type d'écosystème riche non seulement de bactéries et d'archées, mais aussi de crustacés et de mollusques s'observe par exemple autour des fumeurs noirs, un type de source hydrothermale.

Pour toutes ces raisons, il semble que pendant l'Éoarchéen, l'environnement terrestre était encore trop immature géologiquement et trop violent pour avoir pu accueillir de fragiles formes de vie. S'il y avait quand même déjà de la vie sur Terre, elle semble n'avoir pu qu'être limitée à quelques bulles (la tectonique n'était pas enclenchée) protégées par la profondeur au fond des mers… Rares, de telles bulles de vie ont-elles pu laisser des traces?

Or ce que nous disent les structures présumées biotiques retrouvées dans la formation d'Isua, c'est qu'il y aurait bien eu de la vie à la surface de la planète, puisque les stromatolithes sont des structures se développant dans quelques dizaines de centimètres d'eau, donc pratiquement sur le sol!

Dès lors, l'impression nous gagne que s'il y avait déjà des stromatolithes, donc de la vie dans l'environnement invivable de l'Éoarchéen, c'est que la vie était partout, du moins ailleurs que dans l'enfer éoarchéen, où elle a pu s'introduire et se réintroduire. Partout? Hummm, disons plutôt ailleurs que sur Terre. Cette impression confère du sens aux efforts de la Nasa pour rechercher de la vie sur Mars.

L'«archéologie», enfin la recherche de traces de vie passée, est peut-être en train de s'étendre aux espaces extraterrestres!


4 commentaires pour “Bientôt une «archéologie» extraterrestre?”

  1. Bruno Répondre | Permalink

    stromatrolithe ou pas... c'est plus l'emploi du terme, cf. Camus, archéologie qui est à questionner... si on se réfère à un dictionnaire ou au site wi...., l'archéologie est une discipline des sciences humaines ... est-on dans ce cas ici ? d'accord, ces découpages ont tous quelque chose d'artificiel et il s'agit de faire passer un message, d'éveiller des curiosités. Mais, ces travaux se rapprochent plus de la paléontologie que de l'archéologie

  2. François Savatier Répondre | Permalink

    De François (le blogueur) à Bruno : bien entendu, vous avez raison. Je confesse avoir voulu attraper des lecteurs par un titre énigmatique. Toutefois, le point de vue que j'adopte, pour joueur qu'il soit, est acceptable. Après tout, il existe bien une archéologie paléontologique, dans laquelle on met au jours des squelettes fossiles, des trilobites, voire des fossiles de chordés cambriens ou de premiers animaux complexes précambriens à corps mous (faune vendienne)… Dès lors, en quoi la recherche des traces plus ténues de vie plus ancienne encore ne pourrait-elle être considérée elle-aussi comme de l'archéologie? Et si cette enquête archéologique nous mène jusqu'à l'Éoarchéen, puis hors de la planète, ce serait toujours de l'archéologie au même sens du terme!

    Dans mon blog, je tente d'agiter des idées en relation avec la restitution du passé des humains et de la vie. Alors, ce sujet pouvait s'y ranger.

    Amitiés,

    François

  3. Plasmodioum Répondre | Permalink

    Bonjour,

    merci pour ce billet, le sujet est passionnant.

    Effectivement le choix des termes semble assez mal adapté. Au delà de la fausse dichotomie sciences naturelles / sciences humaines, l'archéologie renvoie surtout à des échelles de temps humaines et s'emploie à étudier les artefacts produits par des sociétés anciennes. C'est en cela une branche de l'anthropologie culturelle.

    Il est évident que depuis quelques décennies maintenant, l'archéologie s'est ouverte aux sciences naturelles, de sorte à exploiter des données auparavant peu regardées, voire peu estimées : physique, chimie, zoologie, botanique ... pour fonder autant de disciplines nouvelles : radio-datation, archéozoologie, carpologie, (ou globalement tout ce qu'on peut faire rentrer dans la bioarchéologie)...

    De fait, ces disciplines, à l'échelle des temps humains, servent à la fois des problématiques relevant des sciences humaines, mais également des sciences naturelles en nous renseignant sur le passé récent des phénomènes physiques et biologiques sur Terre, plus précisément en contexte anthropique.

    Et de fait, les tenants de ces disciplines travaillent également à des échelles de temps géologiques. On sort là du seul cadre de l'archéologie : l'échelle de temps est largement dépassée, mais on n'étudie pas non plus la même chose, ni non plus dans le même état de conservation. En l'absence de toute société humaine, voire même d'humanité, il est vain de parler de l'étude des artefacts dans le passé, ce qui est le sens du terme archéologie, ou des ecofacts, dans le passé en contexte anthropique, ce qui est le sens du terme bioarchéologie. Et quand bien même on voudrait étendre ce dernier terme en dehors du contexte anthropique (ce qui se fait déjà), on ne parlerait toujours pas, à l'échelle des temps géologiques du même type de matériel, à savoir des subfossiles, mais des fossiles, c'est à dire les traces d'anciens organismes complètement minéralisés, comme dans le cas des stromatolithes.

    Si, l'idée derrière l'emploi du terme "archéologie extraterrestre" est de renvoyer à l'étude de restes biologiques dans le passé et à l'étude d'organismes passés ou présents qui pourraient nous renseigner sur la vie extraterrestre, alors il existe déjà des termes tout à fait adaptés pour cela : paléobiologie, paléontologie, exobiologie...

    Je ne crois pas qu'il soit très adapté de parler d'archéologie paléontologique dans le cas que vous évoquez. Si les restes sont suffisamment anciens pour porter sur d'anciennes formes de vie disparues et de leurs restes fossilisés, alors on parle simplement de paléontologie, car de tels fossiles ne peuvent tout simplement pas exister en contexte archéologique (rapport au temps nécessaire à la fossilisation complète des restes organiques, donnant lieu à ce qu'on appel un vrai fossile).

    En ce qui concerne précisément l'étude des microorganismes dans le passé, le champs déjà forgé de la paléomicrobiologie s'offre à vous, qui étudie tout à la fois, à l'échelle des temps géologiques, les restes minéralisés de traces de vie très anciennes comme les stromatolites, que les signatures diverses de ces mêmes types d'organismes à des échelles de temps historiques en contexte archéologique, voire même aussi récemment que le 19e et 20e siècles dans des échantillons ne provenant pas de fouilles archéologiques.

    En clair, le terme "archéologie" n'est pas forcément extensible à tout ce qui concernerait l'étude du passé ancien, et les méthodes de terrain employées en archéologie ne lui sont pas propres.

  4. François Savatier Répondre | Permalink

    De François (le Blogueur) à Plasmodioum : je ne peux que vous donner raison. Votre démonstration est imparable. Et, du reste, je ne nie pas avoir abusé, par jeu consistant à extrapoler, du sens de ce terme, qui comme vous le rappelez à raison, désigne par définition l'étude dans le sol des traces du passé humain. À vous lire, je ressens que cet abus est un peu trop violent pour nombre de mes lecteurs, qui, comme moi (plus que moi!), aiment la précision.

    Par «archéologie», j'entends toute activité de recherche dans le sol de traces de vie passée, qu'elle soit dinosaurienne, bactérienne ou humaine. J'admets ne pas pouvoir le faire sans signaler l'abus sémantique commis ce faisant. Dans une tentative de réduction de cet abus , je vais donc changer la première phrase de mon texte, qui deviendra :

    La vie aussi à son «archéologie».

    Je vous donne aussi raison quand vous critiquez la catégorie «archéologie paléontologique». Votre logique triomphe, puisque, une fois de plus, le terme «archéologie» ne désigne que la recherche de traces du passé humain dans le sol.

    Toutefois, je vous ferai observer sur ce point que la pratique remet en question la rigueur sémantique. Une recherche sur internet montre que l'expression «archéologie paléontologique» est employée par les gens (à tort sans doute) pour désigner la fouille scientifique du sol à la recherche de traces de vie animales datant des époques géologiques anciennes (préhumaines). L'homme étant un animal particulier, cette extension par les gens était plus que naturelle. En ce sens, l'expression «archéologie paléontologique», pour étymologiquement fausse qu'elle soit, est comprise spontanément par les gens comme désignant les activités ayant lieu pendant une fouille paléontologique.

    Or les termes de «paléobiologie», de «paléontologie» et d'«exobiologie» que vous me proposez d'employer pour décrire la recherche dans le sol (même ailleurs que sur notre planète) de traces de vie ne peuvent convenir, car ils désignent des sciences (des domaines de connaissances) différentes de la science consistant à étudier les traces de formes de vie dans le sol. L'étude des traces de vie fossile est une science en soi ; l'étude des restes fossiles – la paléontologie – en est une autre qui en dépend. Ainsi, à mon sens, l'«archéologie paléontologique» comprend l'étude géologique des terrains, la datation des fossiles, l'étude paléobiologique de l'environnement, etc., ensemble qui constitue une science en elle-même, même si cette science est au service de la paléontologie. Sinon, on pourrait penser que l'archéologie au sens propre (seulement le passé humain) n'est qu'un département de l'histoire (entendue ici comme la somme de la préhistoire, de la protohistoire et de l'histoire). Toutefois, les archéologues ne sont pas des historiens (mais certains en sont) et les historiens ne sont pas des archéologues (mais certains en sont). Je comprends bien que s'agissant de paléontologie, cette distinction puisse apparaître comme spécieuse, mais elle existe et sera amenée à devenir de plus en plus importante dans la pratique.

    Dans mon blog, j'entends agiter des idées en relation avec tous les résultats des sciences de restitution du passé de la vie. Son nom de «Bafouilles archéologiques» semble le limiter au passé humain, ce qui ne me convient pas. Votre pertinente mise en point, me suggère une ligne de conduite : le terme «archéologie paléontologique», qui évoque efficacement les activités d'une fouille paléontologique serait tolérable sans avertissement, car utilisé par d'autres, y compris des géologues ; le terme «archéologie biologique» ou plus poétiquement (et moins scientifiquement) «archéologie de la vie» ne le serait pas sans avertissement.

    Merci pour votre remarque qui met en lumière un problème: est-il (déjà?) acceptable de généraliser le sens du terme archéologie?

    En pratique, les gens le font déjà… jusqu'à un certain point.

    François

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