Ce que nous apprennent les outils d’Å’tzi

La panoplie des outils trouvés sur Œtzi. (U. Wierer et al., PloS ONE)

Quelles matières ont été employées pour produire les outils d'Œtzi ? Par quelles techniques ? Quel était le niveau de compétence du tailleur ? Les pierres employées proviennent-elles de plusieurs sites ? En quoi cela éclaire-t-il les dernières heures du célèbre « homme des glaces » ? Voici quelques-unes des questions auxquelles une équipe de préhistoriens dirigée par Ursula Wierer, de la surintendance archéologique de Florence et à laquelle participe Jacques Pelegrin, du CNRS, a répondu après avoir réétudié de près les outils de pierre d’Œtzi.
Œtzi, découvert en 1991 dans un glacier des Alpes à la frontière austro-italienne, est mort il y a entre 3 370 et 3 100 ans, à l’âge du Cuivre. Du reste, une hache en cuivre emmanchée d’if a été retrouvée non loin de lui. Toutefois, contrairement à l’idée reçue, le chalcolithique – littéralement le «cuivre pierreux»– était encore un âge de la pierre. De fait, lorsqu’on a soulevé le corps d’Œtzi, une poche-ceinture apparut qui contenait un poinçon d’os, les restes d’un nécessaire à feu, mais surtout une petite série d’outils de pierre taillée : un grattoir sur lame retouchée lustrée (façonné par retouche d'une grande lame de silex), un poinçon (un perçoir fraichement aménagé) et un petit éclat coupant ; un retoucheur formé d'une baguette en bois de cervidé dans un manche en tilleul et un poignard de pierre taillée et son fourreau tressé apparurent après le retrait du corps. Retrouvé à 5 mètres au nord-est, un carquois contenait deux flèches appointées de pierre taillée, douze tiges de flèches sans pointes mais certaines encochées pour y caler la corde, quatre pointes de bois de cerf, une corde tressée et un paquet de tendons. Une tige de flèche brisée en trois morceaux se trouvait par ailleurs en dehors du carquois, ainsi que l'ébauche d'un arc en if.

Les outils lithiques de cette panoplie sont montré ci-dessus. Comment interpréter leurs natures et états? Afin d’inférer l’usage fait par Œtzi de ces outils dans sa vie quotidienne de leur confection à leur usage, en passant par leur réparation, les chercheurs se sont attachés à reconstruire les chaînes opératoires, c’est-à-dire la succession d’actions ayant conduit à leur état au moment de la mort de leur propriétaire.

Chacune des deux faces du poignard d'Å’tzi (C: U Wierer et al., PLOS ONE)

Ainsi, le poignard de 13,2 centimètres est composé d’une pièce, façonnée sur les deux faces de silex, insérée dans une fente ménagée dans une poignée de frêne et stabilisée par des liens de tendons, sans usage aucun de goudron. La lame en silex du poignard résulte de l’aménagement d’une sorte de biface foliacé aminci par percussion et achevé puis ravivé plusieurs fois par retouches successives à la pression. Les chercheurs ont découvert qu’elle avait été ravivée au moins une ou deux fois, voire reformée après une première fracture, ce qui expliquait sa longueur modeste (7 centimètres). Un défaut du silex est à l'origine de la fracture ultime de sa pointe. Les traces d’usure que les chercheurs ont pu retrouver suggèrent que, après plusieurs ré-affûtages réalisés non sans habileté, la lame a été relativement peu utilisée et avant tout pour couper de la chair. Point intéressant, les chercheurs ont aussi retrouvé deux égratignures portant des traces de cuivre attestant d’un contact peut-être accidentel avec un objet de cuivre, par exemple avec la hache d’Œtzi.

La pointe de flèche 12 de la panoplie d'Œtzi (C:U. Wierer, PLOS ONE)

Les deux flèches comprenaient chacune une pointe en silex taillée bifacialement, dont le plot de fixation était enfoncé dans une fente ménagée à l’extrémité de la hampe, liée par des liens végétaux et le tout stabilisé par du brai de bouleau (la colle de la préhistoire). Toutes deux ont la même forme bifaciale pédonculée (portée par une tige) et des mensurations comparables. L’une d’entre elles, par exemple, mesure 4,7 millimètres d’épaisseur, 1,63 centimètre de large et 4,6 centimètres de long. Leur façonnage par retouches à la pression d’un éclat soigneusement choisi ne semble pas avoir répondu à une méthode très systématique ; une fois une forme grossière dégagée, le tailleur a su perfectionner efficacement son profil parvenant à des arêtes extrêmement fines et acérées. Le silex de l’une des flèches n’ayant pas la même provenance que celui de l’autre, les chercheurs supputent que, quoique provenant de la même région, elle aurait été récupérée par Œtzi, peut-être après le tir de l’un de ses poursuivants… Curieusement, l’autre flèche a été utilisée pour couper des plantes siliceuses (comme des graminées), ce qui illustre, que pendant la préhistoire, tout bord tranchant pouvait à l’occasion être mis à profit pour couper. Sans doute est-ce ce qui explique la présence parmi les outils d’Œtzi d’un petit éclat de taille, récupéré sans doute en tant que mini couteau?

Le grattoir d'Å’tzi (C: U. Wierer et al., PLOS ONE)

 

D’une taille de 6,65 x 1,82 x 0,83 centimètres, le grattoir est le plus grand des outils d’Œtzi. Son front de grattoir «en bout» a été aménagé sur un silex de section triangulaire d’au moins 10 centimètres de long et 2,3 centimètres d’épaisseur, déjà retouchée et utilisée le long de ses deux bords latéraux. Pour les chercheurs, il s’agit manifestement d’un objet élaboré techniquement, qui n’aurait pu être transformé plus avant. Quel était son usage ? La patine des arêtes suggère que cet instrument aussi a été largement utilisé peut-être pour gratter (son usage prévu), mais surtout pour couper aussi, avec des changements de préhension lorsqu’il était utilisé de droite à gauche ou de gauche à droite. L’analyse des traces d’usure a appris aux chercheurs que son utilisateur – Œtzi probablement – était droitier.

Le poinçon d'Œtzi (C: U. Wierer, PLOS ONE)

De 0,78 centimètre d’épaisseur sur 1,35 centimètre de large, le poinçon mesure 4,85 centimètres de long. Il a été façonné en retouchant à la pression une lame issue du débit d’un nucléus, ces blocs qui servaient à débiter des couteaux (des lames tranchantes). Les traces de ces retouches, certaines manifestement réalisées avec une grande force attestent de la volonté de conférer à l’outil sa longue pointe. Les chercheurs ont remarqué une différence d’aspect entre le manche et la pointe manifestement retravaillée. L’outil a servi à percer (puisque c’est son usage), mais il est difficile de dire quoi d‘après les quelques traces d’usages observables sur sa pointe.

Le retoucheur d'Å’tzi (C: U. Wierer, PLOS ONE)

À l’évidence, les outils lithiques exigeaient une maintenance constante, car leur usage avait tôt fait d’émousser arrêtes et pointes. Aussi, Œtzi et probablement tout adulte de son temps portait-il sur lui un retoucheur. L’instrument est composée d’un andouiller (une pointe de bois de cervidé) enfoncé dans la pointe taillée en cône d’un morceau de branche de tilleul jusqu’à ce que sa base arrondie ne dépasse plus que de quelques millimètres. C’est cette base qui servait à exercer des pressions sur le silex pour en détacher de petits éclats. La longueur – 11,5 centimètres – et l’épaisseur de l’instrument – 2,6 centimètres – sont ergonomiques.
Quant à la pointe de flèche en silex fichée dans l’épaule d’Œtzi, qui est certainement à l’origine de sa mort, elle n’a pu être étudiée que sur la base d’une tomographie. En forme de triangle isocèle, de 1,79 centimètre de large pour une longueur de 2,62 centimètres et une épaisseur de 0,48 centimètre, elle frappe de par sa petitesse. Il s’agit manifestement de ce que les archéologues nomment une pointe foliacée, d’un type employé dans le Nord de l’Italie au cours de la vie d’Œtzi.
Les chercheurs ont aussi recherché l’origine des matériaux employés pour produire les outils, à l'aide de la «lithothèque» des roches taillables de l’arc alpin entourant l'Italie, constituée à l’université de Ferrara. Il apparaît que le silex employé pour confectionner les outils provenait d’au moins trois secteurs du sud de l’arc alpin. La source du silex des outils correspond aux affleurements de la province autonome de Trente, plus précisément dans le Val di Non, situés à quelques 40 kilomètres du val Venosta (Vinschgau), où l’on pense que l’homme des glaces vivait. Ces origines montrent qu’Œtzi profitait de réseaux d’approvisionnement en silex étendus. Le cas du silex de son poignard montre à quel point, puisqu’il semble qu’il soit provenu du Sud-Ouest de la province de Trente à quelques 70 kilomètres du val Venosta.

Le périple d'Œtzi résumé par les chercheurs. (C:U. Wierer, PLOS ONE)

Que nous apprennent ces constatations ? Le silex des outils provient d’au moins trois secteurs différents, distants du lieu de vie supposé d’Œtzi, ce qui suggère que ces matières premières circulaient dans la région au sein d’un réseau. Un artisan itinérant spécialisé dans la taille pouvant facilement approvisionner tout un village, il pourrait s’agir d'un réseau formé de quelques colporteurs-tailleurs, circulant dans la région. Quoi qu’il en soit, Œtzi n’a manifestement pas choisi lui-même sa matière première de base et n’est pas le tailleur initial de ses outils, mais il était capable à l'aide de son retoucheur par pression, de les entretenir au besoin lui-même fréquemment comme, pense-t-on, les autres hommes de son temps. Il est frappant qu’il n’ait pas employé son couteau pour couper les plantes siliceuses, mettant plutôt à profit une pointe de flèche. Son poignard, un type d’objet alors répandu dans les sociétés alpines, était manifestement un objet d'affichage, davantage destiné à servir de marqueur social qu’à un usage quotidien. Il est clair ensuite qu’Œtzi était mal préparé au conflit en deux étapes – un corps à corps qui lui a laissé une blessure à la main puis une embuscade d’archer – qui a entraîné son assassinat sans doute au moment même où, après avoir fait une pause pour se restaurer, il atteignait le salut d’une autre vallée. En cours d'usage avancé, certains de ses outils ont été utilisés pour couper des plantes siliceuses (les graminées servant d’isolant dans ses chaussures, des céréales ?) seulement deux des flèches de l’homme des glaces étaient fonctionnelles, dont une fut peut-être récupérée. Son carquois contenait par ailleurs un faisceau d’andouillers, pouvant servir à façonner des pointes moins dures que celles de silex, mais Œtzi n’avait visiblement pas eu le loisir d’effectuer le travail nécessaire et, blessé sérieusement à la main droite, lui qui était droitier, il ne le pouvait plus.
L’impression d’ensemble qui se dégage est donc qu’Œtzi, un notable dans l’une des petites sociétés alpines (c'est-à-dire, au regard de la «richesse» de son équipement, notamment vestimentaire, un homme important) traversait des difficultés sociales qui l’avaient depuis quelque temps, non seulement empêché de s’approvisionner normalement en silex, mais aussi de prendre le temps de s’armer (à l'état d'ébauche, déjà remarquablement travaillée probablement avec son herminette de cuivre, son arc ne pouvait pas encore être encordé et il ne disposait que de deux flèches prêtes à l'emploi). Ces difficultés produisirent un conflit lors d’une de ses rencontres, qui le mit à la fuite, déjà atteint d'une plaie profonde à la main, jusqu'à ce que son ou ses poursuivants finissent, à plus de 3000 mètres d'altitude, par le blesser gravement d'une flèche, qui entraîna une hémorragie interne mortelle. Avait-il commis un crime, voire un meurtre? Était-il devenu un paria tentant de survivre dans les montagnes en attendant de retrouver un soutien social ? Nous ne savons pas, mais le fait que son a assaillant n’a pas récupéré son précieux équipement, tout particulièrement sa hache de cuivre, est significatif. Cela peut vouloir dire qu’il provenait de la même communauté qu’Œtzi et voulait éviter de se faire reconnaître en arborant les affaires connues d’un défunt célèbre ou qu’il méprisait l'homme qu'il assassinait au point de négliger une hache de cuivre!


Un commentaire pour “Ce que nous apprennent les outils d’Å’tzi”

  1. Clinique esthetique Paris Répondre | Permalink

    À l’évidence, les outils lithiques exigeaient une maintenance constante, car leur usage avait tôt fait d’émousser arrêtes et pointes. Aussi, Œtzi et probablement tout adulte de son temps portait-il sur lui un retoucheur. Voila ce qui prouve l'intelligence des premiers Hommes , ils ont utilisé d'autres matériaux plus efficaces mais que nous ne trouvons pas suffisamment de preuves 🙂

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