Un dinosaure amphibie entre le cygne, le canard, le pingouin, le cormoran et le gavial

MPC D-102/109 a bien failli n’être qu’un canard à trois pattes, un fossile composite douteux d’origine inconnue. Toutefois, après des vérifications et une étude poussée, une équipe  internationale de chercheurs l’a sorti des limbes scientifiques où l’avaient fait basculer les braconniers qui l'avaient mis au jour, et révélé qu’il s’agit d’une nouvelle espèce de dinosaure ressemblant à un pingouin à cou de cygne et museau de crocodile, qui a été nommée Halszkaraptor.

Le fossile de Halszkaraptor escuilliei présenté sur sa gangue de grès. (C:Andrea Cau et coll., Nature)

Le fossile en question provient très probablement de la formation à grès orange de Djadochta, en Mongolie méridionale, datant de 75 à 71 millions d’années, donc de la fin du Crétacé supérieur. Son origine n'était pas certaine, car, prélevé par des pilleurs de fossiles, il a séjourné plusieurs années chez des collectionneurs japonais et britanniques, avant d’être acheté par le marchand de fossiles et paléontologue français François Escuillié.

Était-il dès lors sauvé pour la science ? Pas encore, car il pouvait aussi s’agir d’un assemblage factice réalisé par un trafiquant de fossile. C’est pourquoi, François Escuillié demanda à Pascal Godefroit, de l'Institut Royal des Sciences Naturelles de Bruxelles, et à Andrea Cau, du Musée géologique et paléontologie de Bologne, de vérifier son authenticité.

Après des vérifications poussées, notamment à l’aide de l’Installation européenne de rayonnement synchrotron à Grenoble (ESRF), les chercheurs ont constaté qu’il s’agissait d'un squelette relativement complet incluant le crâne. Les marchands l'avaient préparé à la vente en dégageant le côté gauche du squelette, le côté droit étant resté inclus dans la roche. Ce détail et d'autres indices ont convaincu les paléontologues qu'il ne s'agissait pas d'une chimère, c’est-à-dire d'un assemblage composite de fragments fossiles destiné à créer une forme spectaculaire. Ils ont toutefois relevé que le sommet du museau et l'extrémité d'une patte avait été restaurés au plâtre et que certains éléments avaient été rattachés à la roche par de la colle. Toutefois, le squelette étant globalement articulé et non comprimé, il se prêtait à une description scientifique. Ce que Pascal Godefroit et à Andrea Cau viennent de faire, avec des collègues, notamment avec Paul Tafforeau et Vincent Fernandez, de l’ESRF. Ils ont nommé cette nouvelle espèce Halszkaraptor escuilliei.

Halszkaraptor appartient  à une famille de dinosaure apparentée aux oiseaux : les droméosauridés. D’après les paléontologues, le fossile serait celui d’un jeune presque adulte d’environ un an. Son troisième doigt est armé de la griffe dont les droméosauridés se servaient pour poignarder leurs proies. Sa tête mesurait environ sept centimètres de long et son cou une vingtaine de centimètres, son dos treize centimètres et son sacrum cinq centimètres, de sorte que l’on peut conclure qu’il avait à peu près la taille d’un canard colvert. Les chercheurs l'ont fait restituer par un artiste, ce qui donne:

Une restitution d'artiste de Halszkaraptor escuilliei en position debout dans l'attitude terrestre. Quelle attitude avait-il dans l'eau ? Cela reste plus énigmatique. (C:Lukas Panzarin)

Nombre de caractères dérivés de ceux de ses ancêtres lui sont propres. Ainsi, le prémaxillaire (l’avant du museau) est aplati et occupe un tiers de la longueur totale du museau. En forme de tige, l’os jugal (les pommettes) contribue à l’allongement du museau. Ce dernier porte 11 dents de même forme. Or les théropodes, dont font partie les droméosauridés, ont normalement quatre dents prémaxillaires. Les dents du prémaxillaire d’Halszkaraptor sont allongées, très serrées, se touchant les unes les autres, et se courbent graduellement vers l'arrière. Les dents du maxillaire, dont le nombre est estimé entre vingt et vingt-cinq, sont aplaties latéralement, de section ovale, ne se courbent qu'à leur extrémité et sont plus espacées. La dentition de la mâchoire inférieure porte aussi entre vingt et vingt-cinq dents.

Le maxillaire de Halszkaraptor escuilliei vu de dessus et de dessous (en haut) et latéralement (quatre images du bas) avec des vues semi transparentes montrant l'implantation de la dentition (à gauche). (C: Andrea Cau et coll., Nature ).

Détail remarquable, des canaux neurovasculaires partent d’une chambre située à l’arrière du prémaxillaire et irriguent l’os entier du maxillaire. Pour les chercheurs, ils abritaient des organes sensoriels, sans doute utiles à la chasse chez ce prédateur. La tomographie a révélé les canaux neurovasculaires parcourant l'intérieur du museau de Halzkaraptor (en rouge):

En rouges les canaux neurovasculaires parcourant le museau de Halzkaraptor escuilliei sont particulièrement nombreux.

La forme allongée de la mâchoire et le nombre des dents, qui semble adapté tant à la saisie des proies qu’à leur écrasement, fait penser à la gueule allongée des crocodiles piscivores, tel le gavial.

Les épines neurales des vertèbres de la queue sont extrêmement raccourcies : de vagues bosses plates sur les trois premières vertèbres, puis plus rien. Les os sous-vertébraux de la queue, au profil pentagonal, sont extrêmement plats, ce qui suggère que la queue était posée à plat (sur l’eau ?). Alors que la queue des droméosauridés était normalement raide, celle de Halszkaraptor semble avoir été souple. Au point de pouvoir onduler et aider à la nage ?

Le cou était extrêmement allongé, puisqu’il représente la moitié de la longueur du sacrum. Les vertèbres cervicales ne portent pas d'épipophyses, des épines développées qui servent habituellement chez les dinosaures à l’insertion des puissants muscles. Du reste, leurs épines neurales (apophyses épineuses) sont extrêmement réduites, ce qui suggère que chez Halszkaraptor, la souplesse et l’articulation du cou était plus cruciale que sa force. Il avait un cou de cygne, souple et articulé, qui lui permettait peut-être de fouiller la vase peu profonde ou de tendre son museau denté vers un poisson…

Ces caractéristiques suggèrent qu’Halszkaraptor pouvait passer du temps dans l’eau et sur la terre ferme. Sa queue, courte pour un droméosauridé, déplaçait sans doute vers l’avant son centre de gravité, une posture favorable à la nage et peut-être à la plongée, ses courts bras trempant alors dans l’eau. Même si elle surprend car il semble que ce ne soit pas le même animal qui est représenté, cette façon de nager est très efficacement représentée dans une autre représentation:

Halzkaraptor escuilliei représenté d'une autre façon dans ce qui a pu être sa position de nage. (Credit: Tomopteryx)

Si Halszkaraptor se déplaçait sous l’eau, ses bras lui servaient sans doute de nageoires, comme ceux d'un pingouin. De même, son plumage était possiblement en partie perméable à l’eau tel celui du cormoran, ce qui lui aurait permis de plonger. Sinon, quand il flottait, ses pattes postérieures, qui ne semblent pas avoir été palmées, pouvaient peut-être pédaler comme celle d’un canard, ce qui l’aurait propulsé doucement. Quoi qu’il en soit, elles lui servaient avant tout à courir, puisque, comme tous les dinosaures, Halszkaraptor pondait à terre et donc y séjournait.  Le torse semble avoir été positionné plus à la verticale que  chez les autres théropodes, ce qui a favorisé une extension vers l’arrière des membres postérieurs, qui devait l’aider à courir mais peut-être aussi à pédaler dans l'eau. Son long cou et la présence probable d'un système neuro-vasculaire dans le museau suggère que sa tête était fréquemment plongée dans l’eau afin de détecter les proies aquatiques.

Les oiseaux mis à part, les seuls dinosaures adaptés à un mode de vie semi-aquatique connus sont les spinosaures du début du Crétacé, de monstrueux théoropodes crocodiliformes. Halszkaraptor nous apprend ainsi que le mode de vie semi-aquatique avait aussi évolué chez des cousins proches des oiseaux. Le portrait de Halszkaraptor que nous venons de tracer fait en effet penser à la fois au gavial, au cygne, au cormoran, au pingouin et au canard !

Bref, un drôle de canard, qui aurait été perdu pour la science sans François Escuillié. Après des négociations, ce dernier a d’ailleurs accepté son retour dans le patrimoine national mongol. Donc, si vous souhaitez voir de vos propres yeux MPC D-102/109, ce drôle de canard dinosaurien aquatique, il vous faudra prendre un billet pour Oulan Bator, la capitale de la paléontologie des drôles d'oiseaux et, accessoirement, celle de la Mongolie!

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