Pourquoi, Franz mon chien, est un peu mon créateur

Ne lisez cette longue divagation que si vous en avez le temps! J'y relate une visite de Témoins de Jéhovah, imaginaire mais inspirée par l'expérience. Je décris comment ils sont arrivés, les articles de foi qu'ils m'ont montrés, et comment, sous l'influence des leçons de théorie darwinienne de mon chien, j'en suis venu à leur déclarer que, selon moi, Canis lupus était en quelque sorte l'un des créateurs de l'homme...

-------------------------------------------------

Quelle vie de chien, l’existence parfois! L’autre jour, 20 heure. J’attends SFR qui n’arrive pas. Franz se met à aboyer. J’ouvre la porte, et je vois… des Témoins de Jéhovah. Plus tard, j'ai compris que c’est L., mon confrère de Pour une science facile, le concurrent de Pour la Science (difficile), qui me les a envoyés… Décidément, la compétition n’a aucune limite !

Comme Franz  – Franz, c’est mon chien – a tout de suite beaucoup aimé la très jolie jeune fille qui accompagnait le monsieur bien mis, je les ai fait entrer, et j’ai causé avec eux en attendant les gars de SFR, qui viendront peut-être quand le Paradis sera restauré sur Terre. Franz et moi, on aime bien se poiler, alors j’ai amené la conversation vers les origines de la Terre.

- Donc, vous croyez vraiment que la Terre est vieille de 6000 ans ?, ai-je lancé au monsieur bien mis en jetant un regard en coin à Franz.

-Mais non! m’a-t-il répondu. Les Témoins de Jéhovah ne contestent pas la  recherche scientifique ; ils savent que l'âge de la Terre se mesure en milliards d’années.

Première nouvelle! Je n'y crois pas, car la dernière fois que j'ai fait entrer des témoins de Jéhovah chez moi – c'était à Strasbourg il y a 20 ans –, la Terre n'avait encore que 6000 ans, ou du moins un âge se mesurant en milliers d'années. Je ne veux pas y croire, alors j'insiste et devant le sourire silencieux de la très belle jeune fille, que Franz mange des yeux, le monsieur me montre sur ma tablette une page du site de propagande des Témoins de Jéhovah:

Un extrait de la page «Les témoins de Jéhovah sont-ils créationnistes?».

Un extrait de la page «Les témoins de Jéhovah sont-ils créationnistes?».

Hummm, finalement, on devrait faire entrer les Témoins de Jéhovah plus souvent chez soi, afin de pouvoir suivre l’évolution de leur doctrine…

Bon, alors de quoi parler, alors ? Le titre de la page m'accroche: Les témoins de Jéhovah pas créationnistes? Et la réponse serait non... Heueueu, un peu gros. Pour eux, la Bible est un livre «qui vient de Dieu», et son contenu n'a rien de mythique et tout de véridique. Dieu est bien le créateur du monde pour eux, alors pour moi, ils sont créationnistes. Déstabilisé, je ne sais plus quoi dire, et Franz n'aime pas les conflits idiots, alors je m'accoise et retiens mes questions insidieuses…

Dès lors, le monsieur bien mis remet çà. Il parle. Il va y avoir une fin des temps ; elle est peut-être proche, et après le paradis «sera restauré sur Terre»,.... Bla bla bla et, très gentiment, il me glisse une brochure très sympa où tout est bien expliqué : on y voit plein de gens gentils et propres sur eux comme le monsieur bien mis et la belle jeune femme (mais pas comme Franz, ni votre serviteur qui est mis comme un journaliste scientifique, je vous laisse imaginer… ); même les animaux y ont l'air propres et gentils, surtout cet agneau et ce tigre qui font ensemble un gros câlin avec la petite fille blonde... hummm, sympa, mais tout d'un coup, je sursaute! Là, devant mes yeux se trouve la preuve du fait que les témoins de Jéhovah sont créationnistes, et foi d'agneaustique (de Dieu), je sais reconnaître un discours créationniste :

 

TémoinsDeJéhova-500

Je tiens mon sujet de discussion ! Et Franz va m'aider. Il faut que vous dise: Franz, c'est -un chien très spécial. Il est tellement évolué que je me demande parfois si à la maison, ce n’est pas lui qui commande… Enfin, çà va mieux depuis que l’autre jour: grâce à une tour de garde qu'il a avancé imprudemment, j'ai pu le battre aux échecs:

Franz en train de commettre une erreur tactique aux échecs.

Franz en train de commettre une erreur tactique aux échecs.

Enfin! Depuis, il est un peu plus raisonnable et, quand il faut décider de quelque chose, il accepte de discuter plutôt que d'aboyer. Franz, ce qui l’a tué dans le document des Témoins de Jéhovah, c’est la question «Mais pourquoi tant de gens croient-ils à l’évolution ? ». Tant de gens ? Mais les chiens, eux, ne «croient» pas à la théorie de l’évolution : ils la prennent comme elle est, c'est-à-dire prouvée, et un point c’est tout! C’est d’ailleurs çà qui les rend chiants, les chiens. Moi, je préfère toujours discuter, et s’agissant de la vulgarisation des sciences de l'évolution, qui ne sont plus une «théorie», mais plutôt un ensemble structuré de sciences bien établies par des faits incontestables, je préfère appliquer la méthode de Thomas, un copain qui a la spécialité de se faire prendre pour un créationniste dès qu'il écrit une ligne! Pourtant, il a écrit le livre : Vive le créationnisme ! Point de vue d’un évolutionniste, où il prône de cesser de lutter contre le créationnisme en donnant des leçons d'épistémologie : pour lui, le simple examen des faits empiriques suffit à réfuter les théories créationnistes de façon simple et indiscutable.

Bien, essayons. Tandis que Franz regardait la jeune fille jolie, j'ai regardé le monsieur bien mis, et je me suis demandé quel fait empirique contredit à l'évidence les conceptions créationnistes des témoins de Jéhovah. Humm? Je m'empare de ma tablette. Trois clics, deux mots clefs, et j'y suis:

Oui, les Témoins de Jehovah sont fixistes!

Oui, les Témoins de Jéhovah sont fixistes!

En fait, c'est carrément tout le phénomène de la transformation des espèces que les Témoins de Jéhovah contestent!!!!!

La Bible ne précise pas quel degré de variation on peut observer au sein d'une même espèce, comme quand il y a croisement entre animaux d'une espèce ou quand ils s'adaptent à leur environnement. Certains y voient une forme d'évolution, mais en réalité aucune espèce nouvelle n'est produite.

..., mais en réalité, aucune espèce nouvelle n'est produite!!!!!

Ouch!

Les Témoins de Jéhovah nient l'existence de la transformation des espèces, et donc de la sélection naturelle! Cela va faire aboyer Franz. C'est lui, en effet, qui m'a mis sous la truffe le caractère si apparent, si évident, si lisible par tous, de la pertinence du raisonnement darwinien. Voici comment il s'y est pris: pour l'essentiel, m'a-t-il dit, Charles Darwin (1809-1882), avant même de faire de la biologie fondamentale, a relevé trois faits que chacun peut constater par lui-même:

1/ que les animaux sont sexués et se reproduisent en pratiquant la sexualité.

Cela, chacun peut le voir, le toucher du doigt (heu) et l'expérimenter (oui!).

2/ que les rejetons issus d'un accouplement ont des traits hérités du mâle et d'autres traits hérités de la femelle qui se sont accouplés.

Cela aussi, tout le monde peut le constater!, avait insisté Franz. Moi, je suis un bâtard de berger allemand, de husky et, à la génération d’avant, de lévrier, ce qui explique que j'ai des traits des trois. C'est vrai! Depuis que je l'ai recueilli dans la rue encore chiot, j'ai appris à ne plus m'étonner de ses étranges caractéristiques: en plus d'être savant, Franz peut courir à 50 kilomètres par heure pendant plusieurs minutes, arbore une belle queue touffue et redressée tout en ayant une robe qui rappelle plus celle du berger allemand que celle du husky. Franz a raison: tout le monde sait bien que nous avons des traits de nos parents. Moi je ressemble à mon aïeul et celle jolie fille a probablement une maman pas trop moche. C'est clair. Quant à Franz, je me demande d'où il tire son esprit scientifique?

3/ Que les conditions de vie d'un individu conditionnent sa survie, de sorte que si elles persistent pendant des générations, elles conditionnent aussi celle de la survie de sa lignée, le plus souvent en la rendant moins probable.

De 2/ et de 3/ résulte, a insisté Franz, que si un rejeton a un trait favorable à la survie sous les conditions qui règnent, il se reproduira plus probablement, de sorte que cette caractéristique utile se propagera à travers les générations, tendant à devenir de plus en plus fréquente au sein de la population dont fait partie cet individu. Ainsi, m'a expliqué Franz, si les prédateurs abondent pendant que les ressources manquent plusieurs générations durant, les chances de survie d'une lignée sont nettement réduites, mais plus grandes chez ses rejetons doués d'une grande vitesse de course et d'une physiologie adaptée aux privations.

Dans l'espèce humaine, les conditions de vie des jeunes guerriers illustrent 3/ de façon radicale : tout jeune, mon grand-père vivait dans un pays en guerre, et on ne lui a pas demandé son avis quand on l'a enrôlé. Heureusement qu'il est revenu de la guerre, parce que sinon, il n'aurait pas fait mon père, qui ne m'aurait pas fait. La guerre, çà sélectionne sacrément les jeunes hommes... et les pousse à se reproduire tout de suite... Un autre phénomène illustrant 3/ est le fait que les rejetons nés dans des milieux riches (donc dans de meilleures conditions) vivent plus longtemps en meilleure santé et se reproduisent donc plus facilement et avec plus de succès ; soumis à des conditions de vie plus difficiles, les pauvres réagissent instinctivement en faisant davantage d'enfants; ce comportement fait remonter leurs chances de transmettre leur matériel génétique aux générations suivantes, en augmentant les chances que dans la série d'enfants, davantage survivent malgré les conditions dues à la pauvreté. Cette réaction instinctive de reproducteurs désavantagés, tout le monde l'observe... Elle est du reste générale dans la nature, où les organismes pratiquent un mélange des deux stratégies reproductives de base : soit produire beaucoup de rejetons à chances de survie réduites ; soit produire peu de rejetons mais y investir des soins pour augmenter leur chances de survie. Ainsi, si une femelle poisson peut pondre 100000 œufs fécondables tous vulnérables car ils sont abandonnés dans l'eau, une femelle mammifère protègera quelques rejetons dans ses entrailles avant de les mettre bas, puis y investira dans leur survie par des soins et de la protection.

Un autre cas illustre de façon encore plus frappante 3/: l'archéologie et l'histoire ont révélé que le cocktail de virus et de bactéries apporté par les Européens en Amérique au XVIe siècle, a dévasté les populations amérindiennes. Dès 1500, la variole, le typhus, la grippe, la rougeole, la peste auraient tué entre 50 et 66 pour cent de l'ensemble de la population amérindienne! Autant de maladies infectieuses auxquelles les Européens étaient plus résistants, puisqu'eux et leurs ancêtres les affrontaient depuis la glaciation (celle de l'investissement des Amériques) de sorte que les lignées européennes ont été durement sélectionnées par les germes de l'Ancien Monde (la peste de 1347 aurait tué plus d'un tiers de la population européenne). Or ces virus et ces bactéries sont ensuite restés en Amérique, ce qui explique que les Amérindiens d'aujourd'hui, métissés très souvent, sont beaucoup plus immunes que leurs ancêtres : ils ont été «sélectionnés» eux aussi. En d'autres termes, ils ont acquis des traits immunitaires utiles, qui, puisqu'ils ont favorisé le succès de leur reproduction, se sont propagés dans le temps et multiplié dans leur groupe.

Franz insiste beaucoup sur l'idée que cette «sélection naturelle» a été ainsi nommée par Darwin, car il est clair qu'à son rythme, la nature agit comme un éleveur. Comme la nature a le temps (même pour les Témoins de Jéhovah maintenant), la persistance de certaines conditions de vie pendant de longues périodes induit des pressions sélectives qui se traduisent par la sélection, puis la persistance dans les lignées de certains traits. La façon dont les gènes se mélangent et, parfois, changent spontanément de conformation (mutation) joue un rôle dans cette persistance. Les raisons de ce phénomène échappaient à Darwin, mais il ne s'était pas trompé en identifiant cette possibilité dans les résultats de l'élevage! Du reste, nul besoin d'entrer dans les arcanes compliquées de la biologie moléculaire pour se rendre compte que cette persistance est une réalité. Les éleveurs peuvent «sélectionner», c'est-à-dire influencer la reproduction d'une espèce de façon à multiplier certains caractères dans une espèce puis les garder, et ils parviennent même à créer ainsi de la variabilité au sein d'une même espèce: rien qu'en France, il y a 43 races de vaches, treize races de porc, etc. Un recensement mondial a permis de repérer 397 races d'équidés… etc, etc. et il y aurait aussi presque 400 races de chien...

Et puis, insiste Franz (et en général à ce stade du discours, il le dit en aboyant, tellement il est convaincu; ah, mon chien, il manque de recul scientifique parfois…), point n'est besoin de compter les espèces sélectionnées par Homo sapiens, pour réaliser les effets de la sélection naturelle: tous les animaux terrestres et leurs ancêtres vivent dans une atmosphère comprenant aujourd'hui de l'ordre de 21 % d'oxygène, mais qui en contient beaucoup depuis un milliard d'années au moins (avant l'atmosphère était à base de dioxyde de carbone). Or aujourd'hui, on n'observe aucun animal terrestre respirant du dioxyde de carbone! Il fait froid dans le Nord et tous les mammifères capables de survivre sur la banquise sont dotés non seulement d'une fourrure fournie en hiver, mais aussi d'autres adaptations physiologiques au froid. Tous les lignées humaines qui, après avoir quitté l'Afrique, sont restées dans les climats tropicaux, ont conservé leur peau noire en Eurasie (du Sud); certaines des lignées humaines dont les ancêtres ont vécu dans le Nord, ont acquis une peau translucide afin de pouvoir mieux synthétiser la vitale vitamine D sous le soleil septentrional, que les nuages des temps glaciaires masquaient trop souvent, etc., etc.

En fait, insiste Franz, la plupart des constations empiriques faites en biologie viennent à l'appui de la théorie de l'évolution ; en fait – il en est tellement persuadé, qu'il le dit en aboyant particulièrement fort – la théorie de l'évolution est la théorie scientifique la mieux prouvée de toutes.

Alors là, çà énerve le physicien des particules que je suis à la base, parce que pour moi, la théorie scientifique la mieux prouvée est le modèle standard de la physique des particules. L'autre jour, alors que nous jouions aux échecs, je lui en ai parlé:

-Quand, au CERN, le LHC (large Hadron collider) fonctionne, ses détecteurs produisent dans l'année des millions et des millions de gigaoctets, et ces données reproduisent encore et encore les phénomènes décrits par le modèle standard. Le modèle standard de la physique des particules est la théorie scientifique la mieux prouvée..., lui ai-je lancé alors qu'il pestait contre un cavalier qu'il n'arrivait pas à déplacer avec sa papatte.

Ses oreilles se sont redressées aussitôt, et il m'a dit:

- Taratata, vous les physiciens des particules, vous redécouvrez 23,6 milliards de fois que le muon se désintègre au bout de quelques microsecondes en neutrino muonique, un électron et un antineutrino électronique et 245,8 milliards de fois que les neutrons se désintègrent au bout d'un quart d'heure en moyenne en un proton, un électron et un antineutrino électronique. Vous croyez avec vos statistiques prouver beaucoup, mais vous n'affrontez pas la même diversité que celle qui règne en biologie. Au contraire des constituants élémentaires de la matière morte, ceux de la matière vivante sont complexes, et alors qu'au sein d'un solide il y a en partant des quarks et en allant jusqu'à la forme du solide quatre niveaux d'organisation, dans un animal, il y a les trois quatre premiers niveaux d'organisation suscités, et en plus des niveaux d'organisation aux échelles macromoléculaires (protéines), subcellulaire (organites), cellulaire (cellules), organiques (organes), individuel (métabolisme) et quand il s'agit d'un animal social et culturel comme le chien  (c'est Franz qui parle!) et l'homme, encore plusieurs niveaux d'organisations sociaux, par exemple familiaux (le couple, etc.), tribaux (le clan familial, la tribu, etc.), nationaux (l'État-nation), supranationaux (l'Union européenne), mondiaux (la FIFA, l'ONU, etc.), solaire, galactique,...

-STOP!!!!!, j'ai crié.

Franz  est chiant quand il s'y met, et on ne peut l'arrêter qu'en aboyant! C'est à ce moment là que j'ai subrepticement avancé mon fou en regard de sa reine, ce qu'il n'a pas flairé, et après je lui ai pris sa reine et j'ai maté mon chien, et cela ne lui a pas plu du tout!

Mais je pense, je pense aux leçons de Franz alors que je suis là, poliment assis en face du monsieur bien mis, et je ne dis rien. Pendant ce temps, Franz, cet ignoble, a posé sa tête sur la tendre cuisse de la belle jeune fille qu'il regarde d'un air extrêmement malheureux afin de lui attendrir encore la cuisse. Le bougre : on lui donnerait le diable sans confession, enfin si ce dernier était évolutionniste assez pour çà... Alors, sous l'influence de mon chien savant, je tiens ce discours au monsieur bien mis:

-Voyez-vous, cher monsieur, je suis si persuadé par les résultats des sciences de l'évolution, que je pense même que nous les humains avons été sélectionnés par les chiens.

La cuisse de la belle jeune fille tressaute, et je vois ses sourcils altiers se hausser au-dessus d'un visage d'ange inquiet. Quant au vieux routier de l'évangélisation qu'est le monsieur bien mis, il n'a même pas bougé et attend, impavide, mon assaut de conneries athées:

-Oui, certes, Homo sapiens a domestiqué Canis lupus lupus, c'est-à-dire le loup, pour en faire Canis lupus familiaris, c'est à dire le chien. Et ce phénomène évolutif a débuté il y a plus de 30000 ans, au Paléolithique (voir l'article de Pierre Jouventin dans Pour la Science, La domestication du loup), alors que les humains étaient encore comme le loup de purs «prédateurs-cueilleurs» vivant en meute et pratiquant une chasse coordonnée, dans laquelle ils ont vite fait jouer le rôle de rabatteur au loup domestique. C'est à cette époque que le chien a appris ses deux premiers métiers : celui de chien de chasse et celui de chien de garde. Toutefois, plus tard, les humains sont devenus des paysans, même s'ils continuaient à chasser. À cette époque là, le chien, comme nous, a appris à digérer l'amidon, bref à manger du pain si vous voulez (voir l'actualité de Pour la Science, Pourquoi le chien digère le pain). À cette époque là aussi, les hostilités entre humains se sont beaucoup développées, et c'est pourquoi, sans doute, le chien a appris son troisième métier, celui de chien de guerre (voir cette vidéo sur l'entrainement d'un chien d'assaut dans l'armée française) ; à moins que son troisième métier ait été celui de chien de berger (voir cette vidéo d'un chien béarnais faisant entrer et sortir d'un enclos un troupeau en exécutant les ordres que lui passe de loin son maître en sifflant )... Depuis, des chiens ont pratiqué les métiers de sportif (toutes sortes de disciplines), de sauveteurs en mer, de sauveteurs en montagne (chien d'avalanche), de d'expert chimique (chien détecteur de stupéfiant), de testeurs médicaux (un chercheur a imaginé de leur faire repérer les tumeurs), de garde d'enfant, d'attaquant suicide (à leur insu malheureusement), d'acrobate (chien de cirque), de clown (chien de clown), etc., etc.

Même s'il refuse ce que je dis, le monsieur bien mis m'écoute avec intérêt, car lui aussi aime les chiens; quand à la belle jeune fille, elle caresse tendrement la tête de Franz qui, sur la cuisse de cet ange, a l'air aux anges, le gredin. Alors, je poursuis ma restitution des arguments de Franz:

-Voyez-vous, même s'il y a à peu près autant de races de cheval que de chien, il est frappant de constater que la diversité des métiers de chien est bien plus grande que celle des métiers de cheval : un canasson, c'est une bête de force, de course ou de transport et c'est à peu près tout! Cette grande différence entre la diversité des métiers de chiens et celle des métiers de chevaux est l'indice très sûr de l'ancienneté de la domestication du chien. Tandis que celle du cheval ne date guère que de 5000 ans, celle du chien est antéglaciaire...

Je m'approche doucement de là où je veux en venir... tandis que le monsieur bien mis et la jolie jeune fille sont toute ouïe.

-Cela implique qu'en plus d'avoir développé des gènes nouveaux pour digérer l'amidon que le loup n'a pas, le chien a aussi développé la capacité mentale de nous interpréter : son cerveau est devenu «anthropo-empathique», c'est-à-dire qu'il est câblé pour lui permettre de nous comprendre. Nous aussi, nous comprenons instinctivement bien mieux un chien que tout autre animal même domestique : comme le cerveau du chien a la capacité de calculer les comportements humains, nous avons celles de calculer les comportements d'un chien. Un chien comprend ce que veut dire un coup de sifflet émis à 50 mètres, une expression de visage (le chien sent et réagit à la tristesse humaine, à la colère humaine, à la peur humaine, à la férocité humaine, etc.), un mot (certains chiens comprendraient jusqu'à 400 mots), une ambiance (les manifestations d'affections des chiens augmentent quand des humains dont ils sont proches se manifestent de l'affection : ils veulent participer), etc. etc. Qui sait, les chiens de Témoins de Jéhovah ont peut-être compris qu'il ne faut pas aboyer, quand quelqu'un lit la Bible?

Pierre Jouventin, un éthologue du CNRS qui se penche sur la question depuis qu'il est émérite, pense que cette correspondance mentale s'explique par le mode de vie des loups. Chez les loups, un individu doit comprendre le comportement de tout autre membre de sa meute, ce qui est d'autant plus important que les loups pratiquent une chasse coordonnée. Pour domestiquer les loups, les chasseurs-cueilleurs les ont adoptés bébés et les ont placés au sein de leur groupe, pense Pierre Jouventin. Dès lors, les petits loups ont ressenti le groupe humain comme une meute avec qui ils se sont instinctivement coordonnés. Déjà sélectionnés pour comprendre le comportement de leur meute et de ses membres, les loups étaient en quelque sorte présélectionnés pour comprendre le comportement d'un groupe humain et de ses membres. Or, aux époques où les humains étaient des chasseurs-cueilleurs vivant dans la nature, leurs clans occupaient la même niche écologique qu'un clan de loup. C'est cette sorte de fusion entre la meute de loups et la horde de chasseurs-cueilleurs qui est à l'origine de la domestication du loup. Or l'observation ethnographique montre qu'un chasseur-cueilleur accompagné de son chien ramène trois fois plus de gibier… De même, un berger à moutons n'est rien sans son chien, et se trouver un bon chien est un problème central pour un berger, ce qui implique que les bergers capables de mieux comprendre les chiens et donc de mieux les dresser ont bien réussi, tandis que les lignées de bergers bon dresseurs de chiens ont été sélectionnées…

En fait, il n'y a pas que la religion comme opium :il y a aussi l'amitié du chien, dont le vrai métierest d'accompagner les humains dans cette chienne de vie, sauf que l'on peut parfois se demander si ce n'est pas l'inverse... Ainsi, m'a fait remarquer mon chien une fois (au moment où je dis cela, le monsieur bien mis soupire), on voit de plus en plus d'humains portant et emportant partout un petit chien, qu'ils traitent comme un chiot (c'est ainsi que Franz s'est exprimé), mais plutôt en fait comme un bébé, qu'ils cajolent, maternent et «paternent», habillent et décorent, nettoient et coiffent, nourrissent, soignent et gâtent, etc., etc. Ce détournement de l'instinct parental humain pour parvenir à mener une vie de patachon canin s'apparente véritablement à du… parasitisme. Les chiens semblent nous avoir sélectionnés pour que nous devenions capables de confondre des individus adultes de leur espèce avec des bébés de la nôtre! Vous comprendrez, cher monsieur, ce chien que vous voyez là, a du divin en lui : puisque son espèce a influencé à l'évolution de la notre, au sens évolutionniste du terme, il est un peu mon «créateur»!

Cette outrance, je l'émets dans un un aboiement plein de ferveur. Le monsieur très bien mis en a assez entendu. Non, il n'est pas écrit dans la Bible que le chien était aux côtés du créateur, alors il se lève et la très belle jeune fille aussi, au grand regret de Franz, qui doit interrompre son travail de dressage inversé. Il le reprendra heureusement:

-Nous devons partir car nous avons d'autres gens à voir, me dit le monsieur bien mis avec un calme biblique, dont je comprends l'origine:

Votre force résidera en ceci : dans le fait de rester calmes et [aussi] dans la confiance (Isaïe 30:15).

Ils s'en vont, mais au bout de deux minutes, la sonnette résonne à nouveau. J'ouvre et ce sont les techniciens de SFR! Zut, le paradis restauré va être là plus tôt que croyais : dans la télé? Franz et moi, nous nous regardons d'un air bête: impossible d'en rester là, après une telle envolée créative! Je vais interroger Pierre Jouventin sur l'intérêt scientifique de cette hypothèse que le chien aurait sélectionné l'homme, et je vais le faire tout de suite, car il faut que j'ai le temps d'en parler aux techniciens de SFR...


Un commentaire pour “Pourquoi, Franz mon chien, est un peu mon créateur”

  1. dubois Répondre | Permalink

    Finalement le darwinisme (ou si vous préférez la théorie de l'évolution) c'est assez simple !!!

Publier un commentaire