Homo Naledi, découvert dans une nécropole?
Le registre fossile n'a pas fini de nous stupéfier.
L'un de nos plus grands étonnements récents est le cas d'Homo naledi, cette forme humaine d'âge indéterminé, mais présumé ancien, découverte en 2013 dans ce qui ressemble bien à une crypte mortuaire, dans la grotte de l'Étoile en Afrique du Sud.
Pour savoir à son propos tout ce que l'on sait actuellement d'essentiel, lire l'article de Pour la Science L'incroyable Homo naledi. Mon billet de blog L’énigmatique Homo naledi: humain, pré-humain, trop humain? commente aussi cette découverte.
Homo naledi enferme les préhistoriens dans un dilemme:
-soit il s'agit d'une forme ancienne datant des origines du genre Homo et dans ce cas on comprend son anatomie, mais pas son comportement mortuaire…
-soit il s'agit d'une forme bien postérieure aux origines du genre Homo et dans ce cas là, on comprend mieux son comportement mortuaire, mais plus du tout son anatomie…
Pourquoi, le fait qu'un H. naledi ancien ait apparemment enterré ses morts dans une crypte serait-il difficile à croire? Parce que l'inhumation est une façon récente de disposer des morts. Les plus anciennes sépultures datent d'environ 100000 ans, et à cette date, seule une petite minorité de l'humanité enterrait ses défunts, tandis qu'une écrasante majorité les abandonnait simplement dehors, voire les consommait... un comportement, qui était encore pratiqué au XXe siècle par certaines populations… J'ai abondamment discuté de cette question dans le billet: Pourquoi j’ai mangé mon père et ne le mangerai plus.
Pourquoi l'anatomie de H. naledi paraît-elle aberrante, s'il est récent? Parce que dans ce cas là, des «hommes-singes» auraient souvent vécu dans les arbres il y a moins de 100000 an, mais enterré leurs morts. L'anatomie osseuse d'H. naledi traduit en effet un invraisemblable mélange de traits modernes et de traits archaïques (cliquer sur l'image pour lire):
Parmi les traits manifestement archaïques d'H. naledi, on note surtout son volume encéphalique de 400 centimètres cubes (typiquement 1400 centimètres cubes chez H. sapiens et 450 centimètres cubes pour le chimpanzé), ses mains crochues et son épaule orientée vers le haut adaptées à la vie arboricoles. A priori, la présence de tels traits invitent à croire H. naledi ancien, voire à penser qu'il s'agit d'une forme basale du clade Homo, donc qui vivait à ses débuts.
En effet, l'anatomie osseuse ne se développe pas vite ; des centaines de milliers d'années sont en général nécessaire pour en modifier les traits ; des millions d'années s'il s'agit de trait tel le volume encéphalique… Donc:
Adoptons l'hypothèse qu'H. naledi est une forme humaine ancienne.
Dans ce cas, les circonstances de sa découverte sont incroyables ! Jugez en en considérant la forme de la grotte de l'Étoile (cliquer sur l'image pour voir):
Pour parvenir dans la crypte où se trouvent de nombreux squelettes d'H. naledi, les membres de l’équipe de fouilles (toutes des femmes de science sélectionnées pour leur minceur autant que leur expérience de la fouille) devaient parvenir à ramper un bras tendu vers l’avant et l’autre collé au corps. Cette position, qui rappelle celle de Superman à tous les anglophones explique le nom de Superman’s crawl (rampement de Superman), qui a été donné à l'un des rétrécissements, particulièrement difficile à franchir. Une fois parvenues dans une première chambre, les fouilleuses devaient escalader le Dragon’s back (le « dos du dragon »), une arête rocheuse, puis franchir un nouveau tunnel étroit avant de descendre le long d’un étroit boyau quasi vertical de 12 mètres menant à la chambre Dinaledi, la «crypte» mortuaire, du moins si c'en est une…
On comprend dès lors les doutes que cela inspire aux découvreurs de cette nouvelle espèce humaine : pour aller déposer leurs défunts dans la crypte, ses membres auraient dû accomplir tout ce chemin dans l'obscurité en les trainant. Si la forme H. naledi est ancienne, nous n'avons aucune raison de croire facilement qu'elle maîtrisait en plus une technique d'éclairage.
Toutefois, l'âge d'H. naledi étant inconnu, la non moins incroyable découverte du fait que les néandertaliens anciens qui vivaient il y a quelque 180000 ans en Aveyron avaient de telle techniques d'éclairage en milieu profond doit nous inciter à la prudence (à ce propos, lire l'actualité de Pour la ScienceD'étranges structures néandertaliennes découvertes dans la grotte de Bruniquel et l'interprétation (osée en l'absence de preuves), que j'en ai proposée Un campement néandertalien à Bruniquel?.
Ceci nous amène à la question que pose l'un des lecteurs de Pour la Science depuis Ho Chi Minh au Vietnam:
Excellente remarque! Quels sont évènements susceptibles de bouleverser le «terrain». Le terrain? C'est une grotte karstique, c'est-à-dire une grotte créée par l'érosion hydrochimique due à l'eau d'infiltration.
Or, très souvent, de telles grottes sont en fait des réseaux à plusieurs entrées, dont certaines peuvent fort bien être des puits s'ouvrant au niveau du sol, lesquels sont susceptibles de s'être bouchés. Les chercheurs y ont pensé, mais rien décelé, qui puisse laisser penser à une telle possibilité. Du reste, la géométrie de la grotte implique que la crypte se trouve très en profondeur sous la terre, de sorte que cette possibilité ne semble pas probable. Cependant, Laurent Bruxelles de l'Inrap, qui a fortement contribué à la datation d'un fossile de grotte en Afrique du Sud (Little foot, voir plus bas) s'attend à ce qu'il ait existé dans la grotte de l'Étoile une autre entrée du temps où la salle aux fossiles fut employée comme crypte… Du moins, est-ce ce qu'il déclara dans les jours de fièvre médiatique qui suivirent la publication d'H. naledi.
Une autre possibilité serait qu'un autre chemin, plus court et plus facile à parcourir, mais obstrué aujourd'hui ait existé. Là encore, les chercheurs y ont pensé, sans rien déceler.
Finalement, la crypte elle-même a pu aussi évoluer. Les fouilleuses ont creusé directement dans son sol, et tout indique que celui-ci n'a pas été bouleversé depuis le dépôt lointain des cadavres...
Afin de résoudre cette énigme, des géologues sont en train d'étudier intensément la grotte de l'Étoile, tant à la recherche de galeries perdues, que pour dater géologiquement le niveau archéologique.
Dans une grotte karstique, la datation est en effet difficile, car le concrétionnement n'y est pas régulier : intense pendant les périodes chaudes (donc humides en sous sol), il est réduit pendant les périodes froides, voire nul pendant les glaciations... La chance des chercheurs pourrait être qu'un dépôt de calcite (de carbonate de calcium déposé par l'eau) surmonte des cadavres, de sorte que la datation de cette concrétion donnerait une date plus récente que l'inhumation... Nous ignorons si c'est le cas, car l'équipe de Lee Berger, qui a publié H. naledi, l'a fait sans datation et sans donner de détails sur les progrès en cours pour l'établir…
Ce choix, qui a été fortement désapprouvé par la communauté paléoanthropologique, pourrait s'expliquer par le casse-tête de long terme que représente la datation des fossiles de la grotte. Après tout, la datation en milieu souterrain est extrêmement difficile. Little foot, cet australopithèque trouvé dans la grotte de Sterkfontein dans le berceau sud-africain de l'humanité (où se trouve aussi la grotte de l'Étoile) a par exemple été daté, très difficilement, plus d'un siècle après sa découverte (lire à ce propos l'actualité de Pour la Science Little Foot est-il aussi vieux que Lucy ?)…
Alors, cher lecteur de Ho Chi Minh, si la question est seulement effleurée dans le papier L'incroyable Homo naledi de Pour la Science, c'est parce qu'elle constitue en elle-même un sujet si complexe qu'il va occuper des géologues spécialisés sur le milieu souterrain pendant des années et des années…
Alors, il était normal qu'elle n'ait pas trouvé sa place dans un article consacré à présenter H. naledi.
H. naledi, cet homme-singe récent qui enterrait ses morts, ou cet homme-singe ancien, comme il est logique, qui n'a pu les enterrer...
Homo naledi, l'incroyable!
Le lecteur de Ho Chi Minh remercie vivement l'auteur de ces explications. C'est pour moi une surprise à double titre : d'abord parce que j'avais oublié ma question, ensuite pour le contenu de la réponse. Là où j'imaginais une "évidence dissimulée" aux yeux du lecteur, (donc un défaut majeur de l'article de PLS), je découvre un problème très complexe et une autre solution qui ne m'avait pas effleuré l'esprit : celle d'un autre chemin d'accès aujourd'hui obstrué. Décidément, le monde de la science est plein de surprises ! Merci encore pour ces précisions et pour ce billet où vous présentez clairement le dilemme que pose aux chercheur Homo Naledi.