J’ai vu Lady Sapiens
J'ai vu le film-documentaire Lady sapiens, dont je suis sorti avec des sentiments mitigés. Je vais vous en parler un peu comme cela me vient, avant de vous décrire sommairement le contenu du film. Puis – dans mon prochain billet de blog – je relaierai la critique scientifique de certains amis chercheurs très agacés par cette œuvre.
Voici l'avatar de la femme sapiens préhistorique choisie par les réalisateurs du film Lady sapiens, diffusé sur France 4 le 30 septembre 2021.
Manifestement, il s'agit de suggérer une femme «athlétique et farouche», aux traits vaguement africanoïdes (nous venons tous d'Afrique) et déjà un peu blanchie.
Comme il est rappelé dans le film, c'est à l'époque des paysans néolithiques européens, qu'une sélection naturelle a compensé la déficience en vitamine D entrainée par la diète néolithique à base de céréales. La vitamine D, en effet, nous est fournie par la viande et le poisson que nous mangeons – c'est-à-dire par d'autres organismes – ou elle est synthétisée sous la peau sous l'influence des rayons ultraviolets B. Dès lors, puisque les Néolithiques européens mangeaient beaucoup moins de viande que leur ancêtres chasseurs-cueilleurs, une sélection naturelle a favorisé les lignées humaines à peaux translucides. Cette sélection qui a rendu les peaux des Européens plus translucides – on dit « blanches » – a eu ses effets les plus forts dans les régions de l'Europe où le ciel est très souvent nébuleux, en Scandinavie ou dans les îles britanniques par exemple.
Le teint de peau de Lady sapiens suggère donc une femme néolithique, mais une femme néolithique vêtue de fourrure. Peut-être une membre de l'un des clans de chasseurs-cueilleurs résiduels? Le type bizarre des armes qu'elle emploie (la pointe de lance est clairement néolithique ) semble confirmer quelque peu une époque néolithique, mais l'habit de fourrure est paléolithique! Hummm.
En regardant cet avatar, nous comprenons que des intentions didactiques ont présidé à la réalisation du film, mais nous sommes surpris, car elles ont conduit à « paléolithiser » une femme néolithique. Un détail, je sais. Je coupe les cheveux en quatre. C'est de nulle importance, car il fallait bien faire des efforts didactiques pour faire passer le message essentiel du film :
« Lady Sapiens n'est pas la proie facile imaginée par les premiers Préhistoriens: elle était aimée et respectée.»
Et, puisqu'elle semble avoir vécu au Néolithique – cette ère des paysans pendant laquelle la guerre était endémique –, elle se défendait elle même! Ouch, bon pourquoi pas. Nous n'étions pas là ni au Paléolithique, ni au Néolithique, n'est-ce pas? Alors, pourquoi penser que la femme aurait été la « proie facile » (quel vocabulaire de chasseur !) que s'imaginaient les « premiers préhistoriens », laquelle ressemblait à cte dame:

Signé en 1888, Deux mères, du peintre français Maxime Faivre, illustre la vision stéréotypée de la femme préhistorique à la fin du XIXe siècle. (C: Musée d'Orsay)
La formule définissant «Lady» sapiens contient donc l'idée essentielle de ce film-documentaire, son antienne, qui est déclinée tout au long de l'œuvre par les déclarations, les arguments et les thèses des savant(e)s choisi(e)s pour l'illustrer.
Cette formule, j'ai tout eu tout de suite envie de la discuter!
Lady Sapiens était-elle respectée? Cela reste à prouver et rien ne le prouve, ni d'ailleurs qu'elle n'était pas respectée. J'ignore si mon avis scientifique sur la question vous intéresse, mais le voici : certaines «Lady» sapiens devaient être hautement respectées, d'autres l'étaient normalement et d'autres encore ne l'étaient pas du tout. Je ne suis pas intéressant? Sorry.
J'essaie de faire mieux: bénéficiait-on dans un clan préhistorique d'un minimum de respect parce qu'on était une femme ?
Oui, peut-être. Du moins, je vois une possibilité. Un bilan ethnographique établi par le grand anthropologue social Alain Testart indique, si je me rappelle bien, que les femmes des clans de chasseurs-cueilleurs sapiens apportent en cueillant à leur clan entre 20 et 80 % de la subsistance selon les latitudes et les climats, et dans la plupart des cas de l'ordre de 60 %. La projection de cette observation sur la préhistoire invite à formuler l'hypothèse qu'en tant que nourricières de l'humanité préhistorique, les femmes disposaient d'un réel pouvoir social. Qu'est-ce qui attire le respect? La beauté? Heu oui, quand elle se traduit par une forme de pouvoir. C'est le pouvoir qui attire le respect des humains (y compris celui de la bonté). Mais en menant ce raisonnement, je ne suis qu'un macho, car les femmes faisaient bien plus que cueillir : elles chassaient aussi, enfin d'après le film. J'y reviendrai plus bas.
Une femme aimée?
Lady sapiens était-elle une femme aimée? Sexuellement aimable en tout cas d'après la restitution que vous voyez en haut de ce billet, elle était aussi farouche qu'athlétique et maniait des armes servant à tuer, ce qui est très impressionnant. Toutefois, avec une toute petite voix masculine gênée, je voudrais prendre la défense de la « proie facile » du XIXe siècle parce qu'en fait, elle aussi semble ne pas avoir été si commode que cela: elle manie en effet une sorte de casse-tête, ce qui n'est pas rien et suggère que cette tendre «proie» accablée d'enfants n'était pas si facile que cela. Au dix-neuvième siècle, Maxime Faivre et les peintres pompiers étaient-ils l'équivalent des facteurs d'avatars numériques hypersexualisés du ving-et-unième siècle?
Quoi qu'il en soit, la petite tenue de fourrure de Lady sapiens semble venir tout droit de chez Dior, tant elle lui sied et la rend à peu près aussi désirable que Lara Croft, le personnage des jeux vidéo Tom raider. La représentation est donc plus macho que réaliste, ce qui était sans doute attendu, puisqu'elle émane de spécialistes du jeu vidéo, donc d'un milieu plus habitué à représenter des femmes guerrières au corps sculptés alliant force athlétique et attribut féminins si puissants qu'ils pourraient défroquer un moine. On ne devient que ce que l'on est, de sorte que pour les facteurs de l'avatar de Lady sapiens, il fallait bien que cette «Lady» restât un objet de désir sexuel masculin. Pour autant, même si elles ne sont pas sculpturales dans le même sens que Lady sapiens, les représentations des femmes préhistoriques que nous avons devaient avoir un lien avec le désir masculin préhistorique:
Non?
Lady sapiens est en fait une Européenne récente
Et puis, le registre fossile atteste de l'existence d'Homo sapiens depuis au moins 300000 ans, alors de quelle Lady sapiens parlons nous?
Comme la plupart des connaissances distillées dans le film sont d'origine européenne, mon impression est que, même si la biologie de Lady sapiens suggérée fait penser à une femme du Néolithique (ainsi que ses armes lithiques et ses attributs ne laissant pas de pierre), la Lady sapiens entendue par les cinéastes est l'Européenne du Paléolithique supérieur. Pour moi, cette période culturelle, pendant laquelle Homo sapiens a achevé de remplacer l'Homo neanderthalensis tout en multipliant les innovations culturelles, a commencé en Europe il y a quelque 50000 ans (la date donnée normalement est 40000 ans).
Alors, sous le prétexte que Pour la science, mon journal préféré, l'a déjà publiée, je vais emprunter à Benoît Clarys – selon moi le meilleur graphiste spécialisé en Préhistoire – l'une de ses propositions de femme européenne du Paléolithique supérieur:
Elle devrait avoir la peau plus foncée, vous l'avez noté? À ce point près, je trouve cette restitution d'une femme gravettienne plausible. Le Gravettien, en effet, est cette période antéglaciaire allant de 31000 à 23000 ans avant le présent, pendant laquelle les Européens pratiquaient un mode de vie sans doute comparable à ceux des Sibériens et des Nord Américains chasseurs de rennes (et de yacks, de bisons, pêcheurs, etc.), que les Européens ont découvert au XVIIe siècle. Faisant partie d'un clan hautement mobile, elle entraînait sans doute ses enfants avec elle pendant les nombreux déplacements de son groupe et portait beaucoup de poids, ce dont attestent les diamètres des tibias gravettiens, qu'ils soient masculins ou féminins. Était-elle athlétique? Sans aucun doute, mais de quelle façon?
Chez les Comanches tandis que les hommes s'entraînaient et faisaient la guerre, la gestion du camp était affaire de femmes, ce qui n'était pas sans entrainer d'énormes efforts physiques. Une façon de s'en rendre compte est de regarder la photographie de Cynthia Ann Parker, une Américaine enlevée enfant par ces Indiens des Plaines, puis adoptée et acculturée à un tel degré, qu'une fois «libérée » par les Texas rangers, elle s'échappa pour essayer de retrouver ceux qui était devenus son peuple. Cette image de Cynthia Ann Parker, la mère de Quanah Parker, le dernier chef comanche, évoque pour moi la façon dont une vie incessante de travail au grand air fait évoluer le corps d'une femme :
Vous notez la puissance des mains? Des mains de Gravettienne, plus habituées sans doute à gratter des peaux, à saisir des objets, à préparer des ragoûts de viande et à coudre, qu'à lancer des sagaies. Assez petite, bien campée sur ses jambes, la Gravettienne était sans doute très charpentée et très solide. Dans un livre que je vous recommande de lire, parce que… avec la paléoanthropologue du CNRS Silvana Condemi je l'ai écrit, nous formulions ces idées à propos de la femme gravettienne:
S’agissant des Gravettiens, les femmes se sont-elles risquées au contact des mammouths ? Difficile d’être affirmatif, d’autant que les nombreuses figurines de femmes gravettiennes ne montrent pas des corps de chasseuses : elles représentent systématiquement des modèles stéatopyges (aux grosses fesses), aux seins puissants, à la vulve bien visible entre des cuisses massives… Bref, des femmes ayant plusieurs fois enfanté. Pour cette raison, et aussi parce que, parfois, ces figurines comportent parfois une ceinture de grossesse, voire une sorte de soutien-gorge, elles sont le plus souvent interprétées comme des amulettes pour femme enceinte. Voilà qui va dans le sens de la grande importance accordée à la maternité dans les sociétés gravettiennes. Avant certains rôles productifs (vêtements, cuisine, etc.) puis de service (médecine, etc.), enfanter a pu constituer le rôle social central des femmes. Jusque-là, rien de très renversant…
Lady sapiens, pour sa part, est grande, puissante et dotée d'un physique élancé, ce qui, malgré le maniement de la lance, ne l'empêche pas d'avoir des mains fines et élégantes. Qui est Lady sapiens exactement alors? Avatar convenable pour machos amateurs de jeux vidéo, elle est manifestement guerrière, et, par là, exprime l'esprit offensif proféministe du film.
Un film-documentaire proféministe
Le film Lady sapiens est en effet un film proféministe. Le parti-pris engagé du film est celui des trois hommes qui l'ont réalisé : Thomas Cirotteau, Éric Pincas et Jacques Malaterre. Il est peut-être aussi celui des femmes qui les ont accompagnés par leur science, dont la préhistorienne Sophie Archambault de Beaune de l'université Jean Moulin de Lyon 3, qui a surveillé la tenue scientifique des informations rapportées et des interprétations proposées. Il est aussi très certainement celui de la préhistorienne férue de vulgarisation scientifique Jennifer Kerner, qui cosigne l'ouvrage Lady sapiens accompagnant le film.
Jennifer Kerner a des pages internet personnelles, dans lesquelles elle présente l'ouvrage:
Lady sapiens dévoile le quotidien des femmes préhistoriques en répondant à des questions très concrètes: quel était leur travail? À quoi pouvait ressembler leur sexualité? Est-ce qu'elle ont été des cheffes de tribus? Des artistes peintres? Pour répondre, on a interviewé les plus grands spécialistes sur la question un peu partout dans le monde et on a épluché la littérature archéologique sur le sujet.
Elle y répond aussi à la question: «C'est un livre féministe?»
Pas à proprement parler, dans le sens où on aborde les connaissance de manière extrêmement factuelle, et on a décidé de donner la parole à des chercheurs de tous horizons. Ceci dit, c'est un livre qui plaira probablement aux féministes, puisque les idées scientifiques actuelles tendent à déconstruire un peu les idées reçues diffusées par le Patriarcat depuis deux siècles.
Le film et le livre : un bel effort de vulgarisation
Je salue donc le l'attitude noblement antipatriarcale des trois hommes qui ont réalisé cette œuvre proféministe, ainsi que le rôle de leurs conseillères. Tout cela produit une vulgarisation scientifique très idéologique, mais pourquoi pas? D'autres idéologies ont présidé à d'autres œuvres de vulgarisation, et propager de la culture sur la Préhistoire est important de toute façon. Ce film documentaire y contribue de façon énergique. C'est un film à (hypo)thèse. Et alors?
Le fait que de nombreuses connaissances y soient abordées de façon factuelle est bienvenu, puisque l'on y apprend beaucoup de faits intéressants, ne concernant pas toujours spécifiquement les femmes, même si ils sont systématiquement présentées comme si tel était le cas. Il faut dire que l'exercice tenté courageusement par les cinéastes est difficile: suggérer une femme préhistorique inaperçue… Il leur fallait faire des choix. Ils en ont fait, qui m'ont semblé à chaque étape discutables, mais courageux. Et puis, la trajectoire suivie leur a permis d'aborder plein de connaissances scientifiques intéressantes et trop mal connues.
Ainsi, le film commence par «la plus grande découverte en Préhistoire depuis 50 ans», à savoir la vénus de Renancourt, une Gravettienne:
Sophie Archambault de Beaune explique ensuite que le statut de la femme dans la société de l'époque des balbutiements de la science préhistorique a produit que la femme préhistorique a été complètement ignorée.
Bonne remarque, mais déjà faite depuis longtemps par la magnifique formule « L'homme préhistorique était aussi une femme » constituant la première phrase de l'ouvrage classique La femme des origine, Image de la femme dans la préhistoire occidentale (Belin, 2003) de Claudine Cohen, de l'IHESS.
Suit un argument d'anthropologie physique pour expliquer que la fragilité des os du bassin a réduit le nombre des femmes identifiées par l'archéologie. Heureusement, écoutez bien braves gens, la forme de la cochlée – l'oreille interne – fournit une méthode alternative pour identifier que des restes humains sont féminins. C'est heureux puisque l'oreille interne est contenue dans le rocher, un os qui – très dur – s'est souvent conservé depuis l'âge de la pierre… Normal pour un rocher…
Lady sapiens est décidément européenne et elle a les yeux bleus
Suit un développement par la généticienne Éveline Heyer, qui est très intéressant, mais peu spécifique aux femmes, sur la couleur de peau noire des Paléolithiques. En Europe, ils avaient en outre souvent les yeux bleus, ce qui serait le résultat d'une sélection sexuelle. Comme les blondes, je suppose?
Tous ces indices dressent le portrait de Lady sapiens: élancée, à la silhouette puissante, au teint foncé et au regard bleu azur.
Nous dit-on ensuite, ce qui, en fait, nous confirme que l'on nous parle en fait de la femme sapiens du Paléolithique supérieur européen.
Une anthropologue des cultures africaines est alors convoquée pour nous expliquer que « dans ces sociétés là », on danse lors des « grandes occasions de la vie collective». Et voilà, belle Française d'origine africaine : tes cousins africains sont là heureusement pour nous apprendre comment étaient les Européens il y a 30000 ans. Les Sapiens d'Europe du passé, c'est comme les Africains aujourd'hui, vous zavez compris?
Le partenaire de Lady sapiens, quel beau gosse!
Suit un passage très intéressant sur la consanguinité au Paléolithique, qui était faible: le tabou de l'inceste était-il déjà présent? Sans doute:
La génétique prouve que les Préhistoriques connaissaient déjà les lois du sang. Nos ancêtre Homo sapiens percevaient déjà les risques de la consanguinité.[...] Les scientifiques parviennent à savoir qu'ils appartenaient à la même tribu. La génétique nous raconte que femmes et hommes de la préhistoire trouvaient leur conjoint à l'extérieur de leur famille proche, à l'extérieur de leur tribu. Rien n'empêchent d'imaginer que Lady Sapiens était une femme libre, libre de choisir son partenaire.
Cette liberté est suggérée par des images très suggestives montrant une Lady sapiens assise sur une pierre et écartant virilement des cuisses puissantes à côté d'un feu de camp, le long duquel est couché son « partenaire », un vrai beau gosse celui là, vraiment. Plus tard, le lendemain, elle l'entrainera dans une nature heureusement dénuée de grosses bêtes, juste le temps de s'envoyer en l'air sur le sol.
Les atours de séduction
Je vous expliquais plus haut pourquoi la tenue et la conformation athlético-sexy de Lady sapiens me semblait macho, tout en résultant d'un effort proféministe. Le film accentue encore cette contradiction dans son passage sur les nombreuses représentations préhistoriques de vulves, qui amènent directement à la question fondamentale:
Quelle étaient les relations entre les hommes et les femmes au Paléolithique?
Pour répondre, on franchit l'Atlantique pour regarder une représentation brésilienne – peut-être fortuite – de bisou ! Bref, on s'embrassait de l'autre côté de l'Atlantique. En Europe aussi sans doute, car:
Notre humanité ne s'est pas construite sur des rapport entre les femmes et les hommes bestiaux ou violents.
Bien d'accord!
Au temps de Lady sapiens, les unions étaient-elles durables? Les femmes se liaient-elles à un seul homme. Aucune preuve archéologique ne permet de trancher la question (Ah oui?), mais l'étude des populations de chasseurs-cueilleurs actuels permet d'explorer certaines hypothèses…
L'anthropologue Michèle Coquet, du CNRS et de l'institut des mondes africains revient alors, car elle en a une:
probablement, la forme de relation privilégiée est la monogamie. Pas forcément une monogamie qui dure toute la vie avec la même femme, mais c'est plutôt la solution qui convient le mieux à une société où on ne peut pas faire beaucoup d'enfants, où on ne peut pas être trop nombreux…
Notez que la monogamie se pratique « avec la même femme », laquelle, du coup, ne la pratiquait sûrement pas toute sa vie avec le même homme… Il est clair en tout cas que les chasseurs-cueilleurs nomades du Paléolithique supérieur – les observations ethnographiques vont dans ce sens – ne pouvaient emmener avec eux toute une marmaille d’enfants dans leurs déplacements… C’est une évidence, et donc il fallait limiter les naissances. Est-ce que cela impliquait aussi la monogamie? Des unions durables? Comment savoir.
L'enfant de Lady sapiens
Suivent des passages très intéressants sur l'accouchement paléolithique, qui révèle l'adaptation miraculeuse du corps humain féminin à la maternité. Passionnant, mais cela nous éloigne carrément de la Lara Croft aperçue en haut… et rappelle la vulnérabilité de notre espèce quand elle se reproduit, vulnérabilité qui a toujours menacé surtout des vies de femmes… particulièrement dans l'espèce sapiens, semble-t-il.
Oui, mais Lady sapiens chassait aussi
Alors, quand, après un passage touchant où l'on nous prétend que la vulnérabilité des femmes préhistoriques donnant la vie était moindre que celle des femmes d'aujourd'hui, on est prêt à affronter avec les cinéastes la question éminemment importante de savoir si les femmes chassaient?
Se poser cette question est éminemment proféministe, car – la chasse étant prestigieuse – il faut bien que la femme ait chassé aussi. Les cinéastes en illustrent d'abord la possibilité en filmant une lanceuse de javelot en train de se servir d'un propulseur préhistorique. Ça marche, pas de doute : une épaule de femme, peut propulser une sagaie à l'aide d'un propulseur. Dès lors, on peut passer au second argument: les chasseuses de lama des Andes d'il y a 9000 ans, récemment mises en évidence par une tombe contenant six pointes d'armes de chasses enterrée avec ce qui serait une défunte.
Après la présentation de ce cas très intéressant, mais unique, de chasseuses présumées, Sophie Archambault de Beaune pose très justement:
Il est un peu caricatural de penser qu'il existe des activités universelles masculines et des activités universelles féminines, même s'il est vrai que la grande chasse est plutôt masculine, on a des exemples ethnographiques…
Un point que Marylène Pathou-Mathis souligne ainsi:
Au Paléolithique, on a montré – beaucoup, beaucoup de travaux ont montré la diversité des cultures – peut-être que dans certaines cultures, il y avait des femmes qui chassaient ; peut-être que dans d'autres sociétés, il y avait des femmes qui ne chassaient pas.
Indéniable.
Suit l'exemple du site magdalénien de Pincevent attestant du fait que le « groupe entier participait à la chasse ». Donc les femmes aussi, qui « rabattaient le gibier » J'y avais déjà pensé. Je ne savais pas que cela me qualifiait comme proféministe. Quelle découverte!
La conclusion du film
Bon j'arrête avec ce mauvais esprit et je saute à la fin, où est tirée une conclusion que les points soulevés par les nombreux chercheurs interrogés ne soutiennent que de très loin:
On la croyait faible et sans défense. On la découvre chasseresse, combative et puissante. On la pensait bestiale et primaire. La science révèle qu'elle maîtrisait de nombreux savoirs et prenait soin de son corps et de son apparence. On l'imaginait soumise. Elle était respectée, honorée, vénérée. Son souffle, ses pas, ses gestes retrouvés nous invitent à redécouvrir l'histoire de nos origines. Une histoire sensible et plus juste de femmes et d'hommes unis dans une destinée commune dont nous sommes les héritiers.
Cette (hypo)thèse humaniste sur la femme préhistorique me semble plus proféministe, que plausible, car, après tout, si « l'homme préhistorique était aussi une femme , elle était donc un humain comme les autres, bien obligé de se soumettre à la division sexuelle du travail qui régnait alors. Celle-ci faisait-elle des femmes des chasseuses? Est-ce une question si importante?
L'archéologie préhistorique, en effet, ne permet pas souvent de distinguer vraiment les rôles joués par les hommes de ceux joués par les femmes. À cet égard, nous ne pouvons qu'opérer des projections ethnographiques, dont les résultats – il faut se l'avouer – sont bien plus proches de ce que disaient les « premiers préhistoriens », que de ce que l'on voudrait faire dire aux derniers.
En particulier, rien ne prouve que la femme préhistorique était respectée et vénérée, ni le contraire d'ailleurs, parce que le respect ne se fossilise pas. Est-ce du reste une préoccupation scientifique ou une préoccupation morale que de prétendre le révéler par l'archéologie ? Une seule chose est sûre: si, à leur manière, les femmes du passé n'avaient pas été aussi puissantes que les hommes du passé, l'humanité n'aurait pas survécu.
Mais, bon, la tâche consistant à coudre tous les aspects abordés à gros fils en fibres de tendons de mammouth était rude, et, si on se laisse emporter dans les bras puissants de Lara Croft, on finit par trouver que les cinéastes en ont triomphé d'une façon lyrique et stimulante.
Le résultat est positif: de nombreux aspects de la Préhistoire sont évoqués sous un nouvel angle. Beaucoup de chercheurs et de chercheuses nous ont parlé et dit des choses méconnues et intéressantes. L'idéologie dominant en préhistoire a longtemps été très négligente des femmes. Grâce à l'idéologie proféministe qui a présidé à la réalisation de ce film, une œuvre documentaire sur la Préhistoire leur accorde enfin une grande attention.
Et pourquoi pas ?
Mais la façon de le faire énerve certains et certaines. Bon, avant de leur donner la parole, disons au-revoir ensemble à Lady sapiens: