Un campement néandertalien souterrain à Bruniquel?
Une bien étrange installation néandertalienne sous terre m'amène à imaginer le scénario suivant : il y a quelque 180000 ans, un clan néandertalien a froid. En plein hiver, son campement de cabanes de bois est traversé par un tel blizzard, que les membres du camp ne tiennent plus. Il devient difficile de faire du feu dans les abris et les stocks de bois sont ensevelis sous les congères. Déjà, un enfant et deux anciens sont morts. Les adultes du clan se confèrent, et ils décident que, lors de la prochaine accalmie, le clan se rendra dans la grotte de Bruniquel située à un jour de marche. La moitié des chasseurs part en avance pour préparer la grotte.

Un clan néandertalien en marche dans le blizzard. (C/ 2010 UGC YM - FRANCE 2 : Patrick Glaize. Image tirée du film: Ao, le dernier néandertalien de Jacques Malaterre.)
Ce scénario imaginaire, est l'un de ceux que l'on peut inventer suite à la découverte dans la vallée de l'Aveyron d'une grotte contenant de curieuses structures créées par des néandertaliens à 300 mètres de l'entrée, donc en pleine obscurité. Pour l'essentiel, il s'agit de deux anneaux formés en amassant des tronçons de stalagmites, dont certains ont été débités volontairement par les néandertaliens.

Cette restitution 3D des structures anthropiques de la grotte de Bruniquel après suppression de la repousse de stalagmites depuis quelque 176500 ans révèle l'allure de ce que les néandertaliens ont réalisé. On note la présence de deux amas annulaires, dont le plus grand contient deux tas supplémentaires. L'ensemble est parsemé de huit emplacements de foyers. (C: X. Muth Get in Situ et P. Mora Archéostranpsfert, UMS 3D-SHS Univ. Bordeaux Montaigne)
Pour connaître les faits essentiels constatés par l'équipe internationale de chercheurs que Jacques Jaubert de l'université de Bordeaux a rassemblé pour étudier ces structures dans la grotte de Bruniquel, lisez l'actualité consacrée par Pour la science au sujet : D'étranges structures néandertaliennes découvertes dans la grotte de Bruniquel.
Suite du scénario imaginaire
La grotte de Bruniquel, les chasseurs la connaissent bien. Elle n'est pas dangereuse, et en allumant les torches que le clan tient toujours en réserve dans une cachette près de l'entrée, ils ont tôt fait de se rendre au fond, où sont entreposées une énorme provision de bois et les tentes que le clan utilise en été en plus de quelques réserves alimentaires protégées par des blocs. Les chasseurs progressent et – chance énorme pour le clan affamé! – ils tombent sur un ours des cavernes endormi, qui a investi les lieux. Dans l'état de léthargie, où il se trouve, le tuer n'a rien de difficile, et les chasseurs se repaissent aussitôt de son foie. Regaillardis, ils parviennent à l'endroit plat, où depuis des générations le clan campe pendant la saison sacrée au fond de la terre, et il montent les tentes. En guise de rondins pour les caler, ils emploient les «arbres de la terre», qui poussent dans la grotte. Au cours des années, le clan en a débité beaucoup, et ils sont là tout prêts à être employés sur l'emplacement déjà utilisé.
Finalement, ils allument deux feux à l'intérieur de la tente principale sur les piédestaux prévus à cet effet et commencent à un préparer la viande de l'ours. Entre temps, le blizzard s'est calmé; la visibilité étant meilleure, le reste du clan vers lequel une partie des chasseurs s'est avancé est presque rendu à la grotte.

Le clan en train de rejoindre la grotte de Bruniquel. (UGC YM - FRANCE 2 : Patrick Glaize. Image tirée du film: Ao, le dernier néandertalien de Jacques Malaterre)
Tout le monde arrive et le clan enfin à nouveau réuni peut s'abriter dans la grotte sacrée. Sa température (12,4 °C) réconforte immédiatement les enfants, pour qui une température de 0°C est élevée, tandis qu'il fait -10°C à l'extérieur... Le clan soulagé se rassemble dans la grande tente et se repaît de viande d'ours dans la joie. Alors que chacun s'est cru mourir, la force revient, et les premiers membres repus s'endorment déjà…
Fin du scénario imaginaire
Ce scénario est-il crédible?
Pour moi oui, mais il ne constitue qu'une possibilité parmi de nombreuses autres pour interpréter les structures de la grotte de Bruniquel, qui aujourd'hui ressemblent à cela:

Les chercheurs nomment «spéléofacts» les stalagmites brisées et agencées par les néandertaliens. On note que depuis 1800 siècles, d'autres stalagmites ont eu amplement le temps de pousser sur la structure (barres blanches).
L'inventaire de ces 400 spéléofacts a montré des stalagmites agencées et bien calibrées qui totalisent 112 mètres cumulés et un poids estimé à 2,2 tonnes de matériaux déplacés. Ces structures sont composées d'éléments alignés, juxtaposés et superposés (sur 2, 3 et même 4 rangs). Ces efforts de sélection me suggèrent que les néandertaliens ont pu employer les stalagmites, comme ils étaient habitués à employer des rondins de bois, ce qui m'a inspiré cette idée de campement souterrain. Les structures élaborées avec ces «arbres de la terre» ressemblent en effet à l'implantation que laisserait une grande tente collective de chasseur-cueilleurs. Bien que concernant une tente de plus petite dimension, le cas célèbre du site magdalénien de Pincevent illustre quelque peu les traces que produit l'implantation d'une tente calée par des pierres. On peut supposer que pour les grandes tentes, les chasseurs cueilleurs employaient aussi des rondins:
Certes, le cas de Pincevent est magdalénien et ne date que de 12000 ans. À Bruniquel, nous sommes sous terre et il y a 180000 ans! Toutefois, comme les magdaléniens, les néandertaliens vécurent souvent en bordure des glaciers dans un climat sub arctique, qui pouvait être extrêmement rigoureux en hiver, comme le suggère bien mon scénario imaginaire. Comment imaginer qu'ils ne disposaient pas d'un savoir-faire permettant de s'abriter? Qu'il se soit agi de cabanes de bois ou de tentes, il fallait en caler solidement les bases. Or, dans la grotte de Bruniquel, il est frappant de constater que les tronçons de stalagmite ressemblent à des rondins, qui constituent un excellent moyen de caler une tente, d'où l'idée tentante, MAIS NON PROUVÉE, que des néandertaliens seraient venus installer des tentes en un endroit plat au fond de la grotte.
Manifestement, ils disposaient du savoir-faire nécessaire pour s'éclairer. Ils devaient aussi planifier leurs hivers, sous peine de ne pas les traverser tant ils étaient rigoureux. Pour eux, une grotte dont la température est constante à 12,4°C équivalait à ce qu'est pour nous aujourd'hui un appartement chauffé. Seul bémol, une cavité karstique est toujours un endroit humide. D'où l'intérêt d'y monter les tentes d'été pour créer un endroit confortable éclairé par deux foyers d'os ou de bois.
Avant de pouvoir conclure que mon scénario imaginaire tient debout, il reste à vérifier que la grotte pouvait être parcourue par le clan. Je ne l'ai pas visitée, mais cela ne semble pas impossible, même si les préhistoriens soulignent que, sans être très difficile, la grotte de Bruniquel n'est pas non plus facile à parcourir. Aujourd'hui, la principale difficulté tient au franchissement de l'entrée, qui demande de ramper dans un resserrement, une habileté spéléologique que l'on a du mal à prêter aux néandertaliens. Toutefois, si aujourd'hui, l'entrée de la grotte est obstruée, on peut supposer qu'il y a quelque 1800 siècles, elle s'ouvrait par un large porche. Les chercheurs m'ont indiqué que pour couvrir les 300 mètres d'obscurité menant aux structures, il faut franchir plusieurs rétrécissements, escalader un chaos de blocs et contourner des massifs rocheux. Cela paraît hasardeux, mais si l'on suppose qu'un clan avait développé une connaissance approfondie du souterrain de Bruniquel, laquelle était passée de génération en génération comme un savoir-faire, lors de stations rituelles dans la grotte, alors il devient envisageable d'imaginer des néandertaliens spéléologues… par tradition et uniquement à Bruniquel, qui aurait joué un rôle insigne dans la culture de leur clan. Cela l'est d'autant plus que cette grotte rectiligne ne constitue pas un labyrinthe, où l'on peut se perdre:

Les chasseurs en train de progresser dans la grotte de Bruniquel.(C: UGC YM - FRANCE 2 : Patrick Glaize : tiré du film: Ao, le dernier néandertalien de Jacques Malaterre)
Bref, c'est peut-être un campement néandertalien fossile qui vient d'être daté. Nous verrons si la poursuite de la recherche à Bruniquel confirme ou infirme cette idée.
2,2 tonnes, ça peut sembler beaucoup.
Mais on peut faire un calcul en prenant une personne se déplaçant à 1m/s (ce qui n'est pas rapide) et capable de porter 25kg (ce qui n'est pas beaucoup).
Et on peut voir qu'il lui faut moins d'une heure pour déplacer 2,2 tonnes de 20m.