Le fronton triangulaire de temple est-il d’origine phrygienne?
Il y a quelques années, j'ai eu l'honneur d'être invité par la République de Turquie à visiter certains des grands sites archéologiques anatoliens. Emmené avec deux consœurs en pays phrygien, j'y ai visité des tombes et vu des sanctuaires à Cybèle, la grande déesse-mère anatolienne. Alors que de gentils villageois turcs nous offraient un thé, une idée m'est venue. Une idée naïve. Une mauvaise idée donc, puisque tenter une idée neuve dans un domaine aussi labouré que l'Antiquité est pour le moins osé.
Mais, bon, nous sommes entre nous, alors je vais vous la livrer: je me suis demandé si la forme triangulaire des frontons de tant de nos bâtiments occidentaux de style néoclassique n'étaient pas la réminiscence d'une modeste cabane phrygienne dans la forêt du plateau anatolien.
DE QUEL FRONTON PARLONS NOUS?
De celui là:
Vous voyez ce triangle au-dessus des drapeaux, là haut au-dessus de la tête de Monsieur le président? Il est monumental. Il signale qu'ici on peut être solennel. Il signale architecturalement de la grandeur. Et, ne nous trumpons pas, Monsieur le président des États-Unis fait appel au même signal architectural:

La Maison Blanche, le palais présidentiel américain, là où réside l'atout de l'Occident, le Président actuel des États-Unis...
Et puis, il y a ce bâtiment néoclassique aussi. Il date du XIXe siècle, je crois:

L'Opéra-Comédie de Montpellier, situé sur la Place de la Comédie, là où passent les hommes d'affaires ayant à faire à Montpellier...
Vous les voyez les quatre triangles de fronton? Il y en a deux en haut de part et d'autre de l'horloge et deux au-dessus des fenêtres des côtés. Et puis, à Paris, on ne peut marcher rue de Rome sans voir cela:

Un immeuble haussmannien rue de Rome, près de la station de métro Rome avec son écriteau art nouveau…
Là encore, on aperçoit des triangles. Moi j'en vois 12 au-dessus des appartement bourgeois du premier, les meilleurs... Mais il y en a encore autant au-dessus des chiens-assis des bonnes. Sûrement qu'elles et leur chiens se sentaient honorés au XIXe siècle. Et puis, il y aussi cela:
et puis, il y a çà et çà et çà et çà:

Toute une série de frontons néoclassiques construits quelque part en Europe, donc en Occident, comme aurait dit la vache blanche de Zeus.
Bref, vous avez compris où je veux en venir. Le triangle de fronton est l'un des éléments architecturaux universels en Occident. L'un des plus fréquents symboles que nous retrouvons sur nos façades. Mais symbole de quoi?
DE QUOI LE TRIANGLE DE FRONTON EST-IL LE SYMBOLE?
À l'évidence, d'une ferme de charpente.
Une ferme de charpente est l'un de ces triangles de poutres assemblés par les charpentiers pour transmettre aux porteurs verticaux (des colonnes, des murs porteurs,…) le poids de la toiture:

Une ferme de charpente, c'est-à-dire l'un de ces éléments de charpente triangulaires destiné à reporter le poids de la toiture sur les porteurs.
Comment vous en persuader? Si je vous montre une façade de temple grec, par exemple celle du Temple de la Concorde à Agrigente en Sicile (Ve siècle avant notre ère), vous aurez du mal à être convaincu:
Difficile en effet, de prendre le triangle de fronton de ce temple pour des imitations de poutres sculptées ; quant aux décors, qui lui sont sous-jacents, représentent-ils des structures de bois? Cela semble d'abord douteux.
Pour autant, c'est possible quand même, puisqu'au Ve siècle avant notre ère, une évolution architecturale déjà longue avait produit le concept de temple grec. Pour les Anciens Grecs, le fait que la structure du temple rappelait une charpente a fort bien pu être si intégré aux mentalités qu'il était devenu quasi inutile de le montrer. Du reste, les colonnes, avec leurs cannelures, peuvent fort bien être des représentations symboliques de troncs d'arbres...
Et puis, dans l'Antiquité, il y eu sans doute de nombreux temples construits en bois, qui étaient donc munis de charpente, de sorte que les temples grecs en pierre n'auraient été qu'une manifestation prestigieuse d'un concept évident pour tous.
Or les Romains ayant été conscients de la culture grecque très tôt, ils sont sans doute influencés par elle quant à leurs temples. Il se peut que les temples romains rendent plus évident le fait que les temples en pierre représentaient des maisons dotées de charpentes consacrées à un dieu.
Examinons par exemple la façade du temple d'Auguste et de Livie à Vienne dans le département du Rhône (en France donc):

Le temple d'Auguste et de Livie à Vienne dans le Rhône est l'un des mieux conservés de France et de l'ancien monde romain. Il date du Iier siècle de notre ère.
Cette façade manifeste clairement que le triangle de fronton de temple antique représente en pierre une ferme de charpente, réalisée à partir de poutres rectangulaires. Il est clair que les sculpteurs qui ont concouru à la construction de ce temple ont représenté des imitations de moignons de pannes (points bleus du haut), c'est-à-dire de terminaisons de ces poutres traversantes (horizontales) que l'on fixe sur les fermes de charpente avant d'y poser le chevrons, sur lesquels ont disposera les tuiles.
Ainsi, le temple romain semble nous expliquer la forme du fronton du temple grec avec qui il partage les principaux traits : les formes rectangulaires assez minces qui le constituent seraient des représentation des poutres triangulaire d'une ferme, qui du reste n'avait peut-être qu'une fonction décorative. Les anciens Grecs auraient apposé sur la véritable structure porteuse cette «ferme décorative».
L'impression que le fronton du temple d'Auguste et de Livie représente une ferme de charpente est confortée par le fait que ces mêmes artisans ont aussi pris la peine de représenter les poutres de soutènement du plancher portant le plafond du temple (points bleus du bas).
Pourquoi pareil décor s'il n'était pas évident, impératif, esthétique que la structure triangulaire du fronton ne représentait rien d'autre que la face avant d'une charpente?
LA CONSTRUCTION EN BOIS, UNIVERSELLE PENDANT L'ANTIQUITÉ
Convaincu? Quant à moi, je trouve l'idée séduisante, voire convaincante.
Comme dans leurs stades archaïques, toutes les cultures d'Europe construisaient souvent en bois et pisé, la nécessité culturelle de la représentation de ferme de charpente sur les frontons des temples en pierre de l'Antiquité, suggère qu'il s'agissait d'évoquer, de manifester une communauté entre les bâtiments cultuels de pierre et de bois. Les bâtiments de bois, moins onéreux, devaient être plus fréquents.
Un peu comme chaque petite communauté du XIXe siècle avait sa petite église de hameau et parsemait la campagne d'autels protégés par un toits (de chapelle), les Anciens faisaient sans doute de même, et le plus souvent en bois. Ce laraire gallo-romain, c'est-à-dire ce petit autel consacrés aux lares, les divinités familiales, illustre cette spontanéité de la construction en bois de petite maisonnettes, même s'il est... en pierre:
Ainsi, la construction de charpentes était un savoir-faire universel au sein des cultures européennes.
De là sans doute, dès lors que l'on construit une maison au dieu, la tendance à lui construire une maison normale, c'est-à-dire une maison semblable à la plupart de celles qui abritaient les membres de la culture concernée.
La plupart des cultures européennes de l'Antiquité étaient déjà indo-européennes, c'est-à-dire qu'elles avaient été développées par des groupes humains familiers du bois et de la forêt, parce qu'elle provenaient à l'origine de la bande climatique tempérée de l'Eurasie.
Au sein des cultures méditerranéennes, le sens de ces frontons triangulaires en pierre a pu petit à petit devenir peu important, car les forêts et la construction en bois le cédaient largement à la construction en pierre. D'où peut-être, l'éloignement dorique de la charpente brute. Néanmoins, il y avait des forêts aussi dans la zone méditerranéenne, particulièrement en Italie, de sorte que le sens charpentier du fronton triangulaire des temples me semble ne jamais avoir été loin.
L'ORIGINE DE L'IDÉE DE CONSTRUIRE UNE MAISON POUR UN DIEU
Une église est «la maison de Dieu», avons-nous tous entendu en Europe. Les temples de l'Antiquité étaient dédiés à des divinités. Pour autant, l'idée de d'attribuer une maison à la divinité afin d'avoir un endroit où la rencontrer et venir sacrifier n'a rien de naturel a priori. D'après les auteurs anciens, les Gaulois sacrifiaient à l'origine en des lieux naturels remarquables où les dieux se manifestaient particulièrement, puis ils le firent au sein de sanctuaires aménagés placés dans la nature, qui devinrent ensuite des temples gallo-romains ; les vieux Germaniques aussi voyaient les dieux davantage présents dans la nature que dans une maison.
Une étape a donc séparé le stade quasi animiste de divinités se manifestant essentiellement dans la nature de celui de divinité enfermées au sein de maisons ou d'églises, de divinités domestiquées en quelque sorte. Ce stade, où pouvons nous le repérer?
LA POSSIBLE ORIGINE ANATOLIENNE DE LA MAISON DE DIEU
Une possibilité est que cette origine soit anatolienne.
L'Anatolie, c'est-à-dire ce plateau à la géographie tourmentée qui constitue l'Asie Mineure, aujourd'hui la partie asiatique de la République turque, est au nord de la Mésopotamie. Pour cette raison peut-être, elle est depuis longtemps une terre d'innovation religieuse et sociale ou de nombreux peuples sont venus se mélanger et s'influencer mutuellement (pour réaliser à quel point, lire Les premiers sanctuaires des chasseurs-cueilleurs).
Parmi eux, plusieurs peuples indo-européens, qui à diverses époques, sont venus fonder des empires (les Hittites, les Grecs d'Alexandre le grand, les Romains,...) ou des royaumes en Anatolie (les Phrygiens, les Lydiens, les Grecs, les Gaulois...). Vers 1200 avant notre ère, à l'époque présumée de la guerre de Troie, ou avant, l'un d'entre eux, le peuple phrygien, a franchi le Bosphore pour venir occuper tout le plateau anatolien, une région boisée, où ces Européens forestiers ont pu continuer à employer massivement le bois.
Or, une fois en Anatolie, ils sont devenus des adorateurs d'une grande déesse probablement locale, une divinité, qui d'après son nom phrygien, était la maternelle gardienne des savoirs. Cybèle avait manifestement un séjour souterrain : en termes de spécialistes, on dit qu'il s'agit d'une divinité chtonienne.
LA MAISON DE CYBÈLE
Peut-être parce qu'ils étaient sous l'influence de la Mésopotamie, voire de l'Égypte où les dieux avaient des temples, donc des maisons d'une certaine façon, les Phrygiens me semblent avoir fait dans le cas de Cybèle un compromis entre la tendance indo-européenne animiste – à n'identifier les divinités que dans la nature – et le concept mésopotamien ou égyptien, ou disons méditerranéen, de temple divin. Et cela donne:

Un sanctuaire phrygien de Cybèle typique, c'est-à-dire une façade de «temple» sculptée dans une falaise quelconque. (C: Morgane Kergoat)
Il ne s'agit pas là d'un temple à Cybèle, mais d'un sanctuaire, c'est-à-dire d'un endroit sacré, où l'on venait la célébrer, l'implorer, échanger avec elle par des rite. Cybèle était une déesse résidant dans la roche – sa maison –, de sorte que l'on s'était contenté de représenter l'entrée de la demeure de la déesse. Pour autant, cette représentation avait, semble-t-il, l'apparence d'une façade de temple. Des sanctuaires de ce type, on en voit pratiquement partout dans tout l'ancien pays phrygien. Ainsi, voici par exemple celui de la ville de Midas:

Le plus grands des sanctuaires phrygiens à Cybèle de la ville de Midas: on remarque que cette structure de 16 mètres de haut est la représentation d'un temple doté d'une porte.
UN CURIEUX FAIT DIVERS: DES MINEURS TURCS QUI VEULENT ENTRER CHEZ CYBÈLE
Ainsi, les Phrygiens pensant que Cybèle résidait dans le monde souterrain, leurs sanctuaires à la grande déesse n'étaient censés qu'être une sorte d'interface avec elle, un endroit représentant symboliquement sa maison, où aller sacrifier et communiquer avec elle.
Or un fait divers s'est produit en Turquie, qui traduit un qui pro quo culturel à travers les âges des plus drôles et des plus tragiques : une bande de mineurs turcs particulièrement incultes a tellement pris au sérieux l'aspect de maison des sanctuaires à Cybèle, que ces malheureux idiots se sont imaginés je ne sais quels trésors entreposés depuis l'Antiquité derrière leurs façades.
Et qu'ont-ils fait? Ils ont amené les puissants outils modernes de forages dont ils disposaient de par leur métier et entrepris de percer la façade pour eux énigmatique de la maison de Cybèle et d'en enfoncer a porte à coups de marteaux-piqueurs!

Le sanctuaire phrygien massacré par des mineurs anatoliens, qui semblent ne pas avoir atteint l'âge de la maturité intellectuelle (C: Morgane Kergoat)
Gageons que la grande déesse chtonienne s'est quelque peu étonnée de cette tentative d'intrusion en son domicile, voire en son royaume souterrain. Pour en lire davantage sur cette histoire et sur le massacre ininterrompu de notre patrimoine archéologique, lire le billet Quand l'archéologie n'est pas Cybèle, mais turque!
Quoi qu'il en soit – je suis sûr que vous l'avez remarqué – , les sanctuaires phrygiens ont l'aspect de façade de cabanes en bois aux poutres décorées. Examinons une de leurs façades de plus près:

La façade d'un temple de Cybèle, laquelle était sculptée dans la roche, puisque la grande déesse y résidait...
Nous voyons qu'en effet, elle a la forme d'une façade de cabane de bois. La structure d'une ferme de charpente, d'ailleurs décorée, est absolument reconnaissable.
Ainsi, pour les Phrygiens, il y avait dans le domaine où les dieux résidaient des maisons, et cela avait un sens de les représenter.
Nul doute, dès lors, que les Phrygiens devaient avoir aussi de véritables temples aux dieux, construits sur le même modèle en bois, mais à l'intérieur des agglomérations phrygiennes. La symbolique des façades des sanctuaires de Cybèle ne pouvait être comprise par tout un chacun que parce qu'il existait aussi de véritables temples en bois de même forme que chacun connaissait!
Du reste, l'idée que les dieux avaient bien leurs maisons est renforcée par celle que les morts phrygiens avaient la leur. Ainsi, voici l'intérieur d'une tombe phrygienne:

Certaines tombes phrygiennes étaient creusées dans le rocher. Leur intérieur est malheureusement dégradé par les graffitis des incultes. D'où vient cette manie pitoyable de laisser sa trace? (C: François Savatier)
Nous voyons que la maison de quelqu'un parti pour l'au-delà où l'on rencontrait les dieux, ressemblait... à l'intérieur d'une maison phrygienne, donc à l'intérieur d'une cabane phrygienne. Dans l'au-delà, les morts phrygiens avaient leurs maisons, exactement comme les dieux phrygiens, ou du moins Cybèle, avaient la leurs: des temples. Dans le cas de Cybèle, une déesse chtonienne, on représentait ce temple en le sculptant sur une falaise, ce qui en faisait un sanctuaire en forme de temple, plutôt qu'un temple...
UNE ÉCRITURE QUASI GRECQUE
L'examen rapproché de cette façade de temple phrygienne montre aussi qu'elle était entourée d'inscriptions phrygiennes, qui s'écrivaient dans un alphabet proche de l'alphabet grec, ce qui suggère une proximité entre la langue phrygienne et la langue grecque, du moins quant à la possibilité à être écrite avec quasi le même alphabet...
De fait, la similarité entre certains mots phrygiens et certains mots grecs a été relevée par Platon dans son dialogue sur Cratyle. Elle semble assez logique dans la mesure où les Phrygiens étaient un peuple indo-européen, qui serait venu s'installer en Anatolie depuis les Balkans à l'époque à la fin de l'âge du Bronze récent: ils provenaient donc d'une région proche de l'origine des ancêtres indo-européens des Grecs (qui ont aussi des ancêtres égéens, mais c'est une autre histoire...).
Toutefois, si les alphabets grecs et mycéniens se ressemblent, c'est avant tout parce qu'ils sont tous les deux... phéniciens!
Les Grecs nommaient en effet «lettres phéniciennes» ce que nous nommons l'alphabet d'après les noms des premières lettres grecques alpha et beta. Ainsi, il est clair que les cultures d'outre mer Égée influençaient les Grecs. Les idées et les innovations telle l'écriture ou l'idée de donner des maisons aux dieux étaient donc susceptibles de se propager d'une rive à l'autre de la mer Égée.
LE TEMPLE EN FORME DE CABANE DE BOIS, UNE IDÉE PHRYGIENNE?
Au VIIe siècle avant notre ère, alors que la culture grecque classique était encore dans ses balbutiements, l'écriture des Protophrygiens, qui utilisaient l'alphabet phénicien avait déjà pratiquement disparu. Toutefois, les Mycéniens – les ancêtres des Grecs de l'âge du Bronze, puis les Grecs avaient fondé très tôt des comptoirs, qui devinrent des villes grecques sur la côte anatolienne et dans les îles qui lui font face.
Il est clair que ces implantations fonctionnaient comme des interfaces du monde grec avec l'Anatolie profonde, qui, après la disparition de l'Empire Hititte vers 1200 avant notre ère fut d'abord dominée par le royaume phrygien. Après la chute hittite, les Phrygiens se retrouvèrent donc en position de communiquer des normes culturelles aux peuples les entourant ainsi qu'aux peuples marins venus sur les marges anatoliennes pour échanger et commercer avec eux, à commencer par les Grecs.
Parmi les concepts phrygiens, dont le caractère de norme a pu se communiquer au Grecs se trouve les temples en forme de cabane de bois ou du moins de maison de bois.
D'où mon idée : à la chute de l'empire Hittite, la domination phrygienne en Anatolie aurait rendu la physionomie du temple phrygien, voire du temple anatolien qui l'imitait (il y avait en Anatolie d'autres cultures) familière à tous ceux qui fréquentaient et échangeaient avec les Phrygiens, dont les Grecs des côtes. Ces derniers se seraient imprégnés de la structure du temple phrygien, puis anatolien.
Puis quand, après la disparition du royaume Phrygien au VIIe siècle avant notre ère, le rayonnement de la culture phrygienne déclina, mais fut prolongée par celle des Lydiens qui prirent leur suite et par celle des Grecs des côtes, tous les Anatoliens avaient eu le temps d'absorber et d'internaliser nombres de concepts phrygiens, à commencer par celui de temple.
Tous les Anatoliens? Les Grecs côtiers aussi et bientôt ceux de Grèce.
Le temple grec serait donc largement une interprétation du temple phrygien ou du moins anatolien en forme de cabane de bois. La civilisation est venue d'Orient ; la façade des temples aussi.
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Annexe inutile, mais qu'il fallait tenter
Pour essayer de conforter mon idée, j'ai essayé de voir dans les mensurations des temples, si quelque chose des proportions du temple phrygien s'est éventuellement propagé vers l'Occident. Comment a--je fait? Je me suis procuré des images de la façade d'une séries de temples de diverses époques, y compris le temple du trumpisme qu'est devenue la Maison blanche, et j'ai mesuré les longueurs de la base et la hauteur de leurs triangles frontal. Mon but, obtenir la tangente de l'angle de ce triangle, puis cet angle lui-même. Voici ce que cela donne:
Le triangle frontal dans nombre de bâtiments occidentaux | Époque | |||||||
Bâtiment | Base (cm) | Côté droit (cm) | Côté Gauche (cm) | Hauteur | Rapport | N° Colonnes | Angle (degrés) | |
PHRYGIENS | ||||||||
Tombe phrygienne 1 | 15,1 | 7,7 | 7,4 | 3,4 | 0,450 | 0 | 24,24 | XIe siècle avant notre ère |
Tombe phrygienne 2 | 3,6 | 1,8 | 1,8 | 1,1 | 0,611 | 0 | 31,43 | XIe siècle avant notre ère |
Temple à Sybille Phrygien | 15,7 | 7,2 | 8,3 | 3 | 0,382 | 0 | 20,92 | XIe siècle avant notre ère |
GRECS | ||||||||
Héphaïstéion, Athène | 8,6 | 4,4 | 4,2 | 1,10 | 0,256 | 6 | 14,35 | Ve siècle avant notre ère |
Parthénon, Athène | 9 | 4,5 | 4,5 | 1,10 | 0,244 | 8 | 13,74 | Ve siècle avant notre ère |
Temple de la Concorde, Agrigente | 13,2 | 6,7 | 6,5 | 1,50 | 0,227 | 6 | 12,80 | Ve siècle avant notre ère |
Temple de Zeus, Agrigente, modèle | 19,2 | 9,7 | 9,5 | 2,10 | 0,219 | 7 | 12,34 | Ve siècle avant notre ère |
Temple de Neptune, Paestum | 10,4 | 5,6 | 5,8 | 1,20 | 0,231 | 6 | 12,99 | Ve siècle avant notre ère |
ÉTRUSQUES | ||||||||
Temple étrusque de la villa Julia, Rome, Reconstitution | 5 | 2,5 | 2,5 | 0,85 | 0,340 | 2 | 18,78 | ? |
ROMAINS | ||||||||
La Maison carrée à Nîmes | 17 | 8,5 | 8,5 | 2,75 | 0,324 | 6 | 17,93 | Ie siècle de notre ère. |
Temple d'Auguste et de Livie, Vienne, Isère | 17,2 | 9,1 | 9,1 | 2,97 | 0,346 | 6 | 19,08 | Ie siècle de notre ère. |
Temple de Minerve, Assise | 14,8 | 7,9 | 7,9 | 2,30 | 0,311 | 6 | 17,27 | Ie siècle de notre ère. |
Panthéon, Rome | 15,6 | 8,35 | 8,4 | 3,12 | 0,400 | 8 | 21,79 | 118-128 |
CONTEMPORAIN | ||||||||
Le Panthéon, Paris | 13,2 | 7 | 7 | 2,33 | 0,353 | 19,46 | 1757-1790 | |
Église de la Madeleine, Paris | 14 | 7,4 | 7,4 | 2,40 | 0,343 | 18,92 | 1763-1850 | |
La Maison blanche, États-Unis | 4,5 | 2,4 | 2,4 | 0,84 | 0,371 | 20,36 | 1792-1800 |
Bien entendu, je n'ai qu'une seule mesure de l'angle du temple phrygien, ce qui affaiblit cette démarche exploratoire. Toutefois, si l'on suppose que l'angle typique de la ferme de charpente phrygienne représentée dans les sanctuaires à Cybèle est bien de quelque 21°, alors il faut se rendre à l'évidence : cet angle n'est pas passé chez les Grecs, du moins en ce qui concerne le temple dorique pour lequel l'angle est aux alentours de 13°.
D'après l'unique reconstitution d'un temple étrusque – les Étrusques avaient dès l'Antiquité la réputation d'être venus d'Anatolie – que j'ai peut trouvé, cet angle n'est pas non plus passé chez les Étrusques, chez qui d'après mon très petit échantillon il aurait été d'environ 19°.
Sur les temples romains, ce même angle semble avoir tourné autour de 18°, mais le triangle de fronton du Panthéon, qui n'a pas le plan d'une cabane de bois phrygienne, a un angle complètement différent.
Dans les triangles de fronton contemporains, les angles semblent être divers.
Manifestement, les architectes de chaque culture se sont sentis libres d'interpréter librement le triangle de fronton possiblement d'origine phrygienne ou anatolienne. Du reste, même au sein de la culture phrygienne, on représente ce triangle différemment dans une tombe et sur une façade de sanctuaire à Cybèle.
Conclusion après cette exploration: seule la forme triangulaire du fronton de temple est – éventuellement – un invariant culturel, pas ses proportions.