Le livre César, chef de guerre, par Yann le Bohec
Paru pour la première fois en 2001, ce livre est d'un grand intérêt. Son auteur y présente un point de vue particulièrement juste sur ce quasi fondateur involontaire de notre nation qu'est César :

Le Livre César, chef de guerre, de Yann le Bohec a été édité pour la première fois en 2001 aux éditions du Rocher. Il vient d'être réédité en poche dans la collection Texto par les éditions Tallandier (515 pages, 11,50 euros).
Yann le Bohec, professeur émérite de l'Université Paris-IV-Sorbonne est un historien de l'Antiquité, dont les textes plein de subtilités et de prudence par rapport aux sources antiques ou antiquisantes font ressentir aux lecteurs toutes les difficultés de la restitution historique d'un passé lointain, tout en étant particulièrement faciles à lire, ce qui est une prouesse. Du reste, l'équipe de Pour la Science ne s'y est pas trompée, puisqu'elle s'enorgueillit d'avoir cet auteur parmi ses critiques de livre (voir un exemple concernant un livre sur le roi Hérode ici). Yann le Bohec a deux spécialités : l'armée romaine (voir son article La redoutable efficacité des armes romaines dans Pour la Science) et l'Afrique romaine, ce qui n'a rien d'étonnant puisque, lui qui est né dans les années 1940 à Carthage, n'a pu que vouloir comprendre ce qui est arrivé à sa ville dans les années 140… avant notre ère!
Pourquoi César, chef de guerre, me semble-t-il particulièrement pertinent? Parce que l'auteur suit sans que nous nous y attendions la véritable logique de la vie de César: celle de son affrontement avec la classe patricienne dont il était issu, donc avec le sénat et le parti aristocratique. Pour des raisons que nous avons du mal à saisir, même en lisant ce livre, Julius Caesar semble avoir été si clairement surdoué (à la façon romaine), que dès sa jeunesse, ses talents et sa volonté faisaient peur; aussi intriguait-on déjà pour l'éloigner et le confiner à des rôles médiocres. Or la tante de César avait épousé Marius, dont l'ascension est due à une alliance avec les populares devenus populistes. Naturellement, César était sur la même ligne que son oncle par alliance : aristocrate, il réussit son ascension notamment grâce à l'appui du parti populaire. Comme Marius, il eut des débuts difficiles, puis dut mener une longue lutte qu'il réussit grâce à l'appui de l'armée qu'il avait su mieux que tous rendre particulièrement efficace. Alors que l'on s'attend à quelque nouveau récit de la Guerre des Gaules, Yann le Bohec, avant de se consacrer au reste de l'aventure césarienne, nous montre que cet épisode de l'ascension de César ne fut pour lui qu'une sorte d'exercice, dans lequel jamais les Gaulois ne furent véritablement en mesure de s'approcher de la capacité militaire romaine:
L'armée romaine de la guerre des Gaules préparait l'armée de la guerre civile, puis l'armée impériale, celle d'Auguste. Elle constituait alors, contrairement à ce qu'ont écrit certains historiens, un des instruments de guerre les plus efficaces qu'ait connu l'histoire de l'humanité. Et dans le domaine politique, elle constituait un excellent levier pour soulever le monde.
Tout l'enseignement de Yann le Bohec contenu dans ce livre est résumé là : aussi impressionnantes qu'elles soient, notamment pour nous Français qui nous sentons liés (ou pas!) aux Gaulois vaincus (facilement) par César, les guerres de prédation romaines ne sont en fait que la réflexion des combats politiques mesquins empreints de populisme, de démagogie et de tricherie qui avaient lieu dans un tout petit monde : Rome. Si ce n'était la grandeur des talents césariens, son inlassable capacité à penser puis à réussir malgré tout et tous ce qu'il entreprenait, le monde actuel n'aurait pas la forme qu'il a et nous parlerions sans doute toujours quelque forme évoluée de celtique (comme les Allemands parlent aujourd'hui une forme évoluée de germanique). Jamais un homme n'a réussi à ce point à transformer tant de médiocrité humaine (romaine surtout!) et de diversité (européenne et méditerranéenne!) en un ensemble durable. Pourquoi l'a-t-il fait? Sans raison! Cela semble être en quelque sorti naturellement de la logique de sa lutte contre le milieu aristocratique et de celle de ses alliances politiques toujours populaires, mais variables . Une vérité vexante et stupéfiante, que vous ressentirez en lisant ce livre.