Le livre La Vénus de Lespugue de Rouquerol et Moal
D'extraction gauloise, quoiqu'abâtardie d'aristocratie franque, je suis un bon fils de bonne mère de France, et je révère la féminité. J'aime tout de la femme, mes filles, ma mère et le comportement perceptif de la compagne; j'honore tout dans la femme, notamment de mes ardeurs, mais tout en craignant son psychisme pénétrant… Bon fils de bonne mère gauloise, je sais bien que la déesse-mère est la plus grande de tous les dieux. D'ailleurs, sa fille Vénus, la déesse romaine de l'amour, mais aussi de la guerre et, plus encore, Marianne, sa petite-fille franque, sont infiniment terribles, elles qui ont horriblement réduit les cohortes de mes bons aïeux en les envoyant affronter des Germains, qui, eux-aussi n'avaient guère le choix. Ces deux là, indéniablement, sont les plus cruelles de toutes les déesses, aussi vrai qu'une vénus jeune et belle est le plus grand danger qu'affronte le garçon ; aussi vrai qu'une vénus gironde et enceinte de ton enfant est le plus grand amour possible de l'homme ; aussi vrai qu'une puissante vénus d'âge mur est le plus grand soutien de la famille et de la société pour laquelle se dévoue l'Homme ; aussi vrai qu'une Maman défunte est son plus grand deuil.
Un livre, une profonde émotion
Alors, après avoir lu le livre extraordinaire d'un homme et d'une femme révélant la beauté majeure et le sens profond de la… Vénus de Lespugue, j'ai été saisi d'une profonde émotion. Ainsi, longtemps avant moi, des hommes, des femmes, mes aïeux peut-être, semblent avoir éprouvé pour la féminité les mêmes émotions fondamentales que moi:
Qui sont les coauteurs de ce livre? Nathalie Rouquerol est une préhistorienne, dont la bibliographie montre qu'elle est une distinguée historienne des sciences (préhistoriques), qui a longtemps dirigé le musée de préhistoire d'Aurignac.

Un texte de la directrice du musée d'Aurignac d'alors, Nathalie Rouquerol, sur l'avènement du nouveau musée d'Aurignac .
Son coauteur Fañch Moal est un peintre et un sculpteur breton, titulaire de nombreux prix artistiques, dont j'ai trouvé les œuvres très belles, quand je les ai découvertes dans sa galerie numérique. L'impression qu'elles me donnent souvent est que Fañch Moal est un peintre à la fois figuratif et coloriste, dont la lumière participe davantage des contrastes forts qui caractérisent la côte bretonne, qu'elle ne le font de ceux qui sont familiers au Gaulois du sud que je suis. Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer l'une des vénus fanchiennes, La petite fille de la haute mer:
L'une des plus grandes œuvres plastiques de l'humanité?
Quant à la La Vénus de Lespugue, c'est la statuette que vous apercevez sur la couverture du livre de Nathalie Rouquerol et de Fañch Moal. Que voit-on justement? A priori, une vénus préhistorique de plus, du reste abîmée par la pioche et d'une forme bizarre, fausse physiologiquement ! En réalité, pour des deux auteurs du livre, la Vénus de Lespugue, ou plutôt la Petite Dame de Lespugue, comme ils l'appellent, serait – est ! -, et j'ai envie de les suivre, l'une des plus grandes œuvres plastiques de l'humanité.
Mais pourquoi???!!
D'abord, parce que ce qu'ils évoquent par ce jugement, c'est l'œuvre originale. Celle-ci connaît de nombreuses restitutions, toutes critiquables sans doute:
L'une des plus remarquables est sans doute est une réplique que le graphiste Florent Rivère a tiré d'un tronçon d'ivoire de mammouth fossile:

Photo de la réplique en ivoire de mammouth de la Vénus de Lespugue, réalisée par Florent Rivère (C: Nathalie Rouquerol)
Maintenant que vous la connaissez, je peux vous relayer ce que le sculpteur Fañch Moal a ressenti quand il l'a rencontrée:
Un des évènements les plus surprenants et roboratifs que m'aient offert les hasards de la matière artistique, m'est advenu à l'occasion de la rencontre avec un bel exemplaire de cette vénus, que m'a procuré une très inspirée bienfaitrice…Qu'elles soient bénies toutes les deux! Bien entendu le premier contact intime avec notre statuette, se fit tout naturellement au creux de ma main.
Outre l'émotion que procure occasionnellement une œuvre aussi ancienne, deux sentiments se sont immédiatement partagés mon implication. Tout d'abord l'effet de ce tour de force sculptural que représente cette pièce parmi les plus importantes réalisations , toutes dimensions confondues, de l'univers sculpté. J'avais un très beau moulage de cent grammes d'ivoroïd au creux de la main et l'impression de ployer sous une inhabituelle responsabilité.
Dans le même temps, il me semblait que se déployait son ombre, comme une aura sur les grandes époques à venir, que les récentes floraisons de la statuaire y étaient déjà présentes. La petite Dame de Lespugue est une proche cousine des vierges romanes et trône sur la colonne de mon bras, la main étant le pilastre où elle siège. [...] À un tel degré de maîtrise, le hasard n'a plus guère de place.
Plus loin dans son texte, Fañch Moal parle de la fluidité présente dans les formes de la statuette:
Dans un bel édifice représentant la figure humaine, le pont aux ânes de l'expression s'écrit dans les passages. La lumière court, une onde sur une hanche féminine et l'œil est interpellé et attiré en tous sens, sans avoir la moindre possibilité de se poser, ce qui va de pair avec le déraisonnable qu'évoque le sujet. Une cuisse sur un bassin, un dos, un fessier, ne s'emboîtent pas comme des gouttières sur un tonneau. Le regard de l'observateur est capté non pas deux volumes amis ou concurrents, mais par un rayonnement, une lumière qui court de l'un à l'autre, s'échappe vers un autre endroit qui le ramène par un chemin différent. Tous les sculpteurs, les dessinateurs, hantés par le modèle au point de lui consacrer des années d'études savent cela et cherchent une articulation satisfaisante au charme comme d'autres chercheraient la pierre philosophale.
Théorie des passages et passage vers notre sujet
Vous avez compris, ce saint discours, digne d'un professeur des Beaux Arts, nous parle notamment des seins de la Dame de Lespugue. Quant à moi, dans la tête de qui court à leur propos de saintes pensées, je suis plus familier des discours scientifiques, et je n'ai pas la place de vous parler des très intéressantes pages de Fañch Moal sur la «paradoxale légèreté», le «poids, la forme», les «tensions» de l'œuvre, sur sa présentation au musée, sur l'anthropologie des musées et ses rapports avec la Vénus de Botticelli, sans parler des «25000 ans de sensibilité à fleur d'ivoire» que convie la petite Dame de Lespugue, et de la «théorie des passages». Non, les commentaires de l'artiste, je ne vais que retenir à ce stade, que son appréciation de la théorie de Nathalie Rouquerol sur la vénus de Lespugue:
L'observation de Nathalie Rouquerol a ceci de roboratif qu'elle ne concerne pas que l'ordre hardi du questionnement, mais frappe l'enthousiasme d'une réponse adroite, convaincante et si tardive au vu du temps octroyé à la recherche depuis 1922, qu'elle semblera à certains aux limites de l'insolence, et qu'elle risque de valoir à son auteure autant de cinglant désaveu que de gloire méritées.
Fichtre!!! Bon, avant de tenter de mon mieux de vous exposer cette théorie – fort simple et adroite en effet – je reprends le dossier.
Reprenons le dossier
La vénus de Lespugue a été découverte le 9 août 1922 dans la grotte des Rideaux, à Lespugue. René de Saint Périer (1877-1950) achevait alors de fouiller cette grotte située dans les gorges de la Save, et c'est donc presque un ultime coup de pioche qui l'a mise au jour tout en la détruisant à moitié.
Selon les faits rapportés dans Wikipedia, l'industrie lithique et osseuse découverte dans la couche était typique du Gravettien (burins de Noailles, pointes de sagaies à rainures, lissoirs, perles en os) ; or dans le sud-ouest de la France, le Gravettien moyen à burins de Noailles est daté d'environ -26 000 à -24 000 ans avant le présent.
Nathalie Rouquerol n'est pas d'accord avec ces affirmations. Elle s'est penchée sur les notes de René de Saint Périer et relève que des outils aurignaciens (l'Aurignacien est l'ère culturelle précédant le Gravettien) étaient aussi présents. Il lui semble en outre probable que le niveau D sur le schéma, mais B sur les objets, recouvre en réalité un ensemble dont les distinctions chronostratigraphiques n'ont pas été identifiées. Une situation courante à l'époque. René de Saint Périer, pour sa part, attribuait son «gisement» à l'«Aurignacien tout à fait supérieur». Cette identification doit être replacée dans son contexte historique, puisqu'à l'époque de Saint-Périer l'appellation « Aurignacien tout à fait supérieur » définissait les couches à burins de Noailles. Aujourd'hui, les burins de Noailles sont devenus le fossile directeur du Gravettien moyen, mais à l'époque de Saint Périer, les fouilles de l'abri de la Gravette, site éponyme du Gravettien, n'avaient pas encore eu lieu…
Aujourd'hui, on fait commencer l'Aurignacien dans cette partie de l'Europe il y a quelque 40000 ans, et le Gravettien lui succède il y a quelque 30000 ans, voire davantage. Aussi une datation aurignacienne pour la Dame de Lespugue ne doit pas être exclue a priori, écrit Nathalie Rouquerol, ce qui l'amène à poser : La difficulté est insurmontable pour encadrer la Dame de Lespugue dans un segment de temps étroit : un intervalle vertigineux de 15000 ans (entre 35000 et 20000 ans environ) est seul raisonnable à l’heure actuelle.»
Une datation précise à 15000 ans près…
Vertigineux en effet, mais non pas impossible étant donné la singularité de la Dame de Lespugue à la comparer avec les autres vénus gravettiennes. Aujourd'hui, le compromis scientifique fait de cette œuvre une «vénus gravettienne». Ces dernières sont bien été précédées par quelques vénus aurignaciennes connues, la vénus de Hohle Fels notamment :
À considérer cette représentation féminine en ivoire de mammouth, comme La Dame de Lespugue, on note immédiatement qu'elle représente aussi une femme adipeuse, en quelque sorte particulièrement apte à enfanter et à nourrir le bébé pendant les mois difficiles. Pour autant, cette vénus – en partie parce qu'on la portait en pendentif (elle ne mesure que quelques centimètres) – est dénuée de tête, alors que les vénus gravettiennes ont toutes une tête schématique dotée d'une évocation de coiffure. Dès lors, le fait que La vénus de Lespugue soit dotée d'une (ou de plusieurs) évocation(s) de coiffure invite à penser qu'elle est gravettienne.
Les points communs entre la vénus de Hohle Fels et les vénus gravettiennes illustrent par ailleurs une certaine continuité culturelle de l'Aurignacien au Gravettien. Il est évident que le canon figuratif a été pétri et répété par des siècles de copies successives ; il suffit de comparer les détails des statuettes de Kostienki, de Willendorf et de Lespugue pour s’apercevoir que c’est le même archétype, mais que l’admirable figure de Lespugue est faite de volumes à un tel point remaniés par la transmission que, pris sous l’angle de la vérité anatomique, ils sont absurdes, a écrit le grand anthropologue et archéologue spécialiste de préhistoire André Leroi-Gourhan (1911-1986). Un argument impressionnant qui va dans le sens d'une continuité, et qui expliquerait l'anatomie problématique des vénus...
Sauf que, comme nous allons voir, Nathalie Rouquerol a là-dessus une autre opinion.
Le Gravettien fut une période froide pendant laquelle, les chasseurs-cueilleurs d'Europe on vécu sur la steppe, où ils chassaient rennes, chevaux et cerfs, mais aussi, comme en Ukraine, le mammouth. Les femmes nues que représentent leurs statuettes montrent donc avant tout un archétype symbolique, plutôt que la femme gravettienne quotidienne, sans doute vêtue comme une Esquimaude. Les Gravettiens entretenaient à travers l'Europe largement dénuée de forêts des réseaux d'échanges de biens, mais aussi de femmes (information déduite notamment de la circulation des perles en coquillages que les femmes gravettiennes mettaient dans leur coiffure), à longue distances. Si les Pyrénées se trouvaient au dehors des circuits couvrant les pays à mammouths, il est vraisemblable que la matière première de la vénus de Lespugue a été transportée depuis fort loin. Il s'agit en tout cas d'une matière noble et de haute valeur, peut-être déjà fossile, qui fut sans doute transportée vers un grand sculpteur, à moins que celui-ci n'ait vécu loin des Pyrénées…
La petite Dame de Lespugue est atypique
Nous ne saurons jamais, mais ce qui est clair, c'est que parmi les vénus gravettiennes, la petite Dame de Lespugue est atypique. Le cas d'une vénus gravettienne tout juste mis au jour par l'Inrap à Amiens – la première en France depuis 60 ans! – illustre par contrepoint cette singularité de La vénus de Lespugue, bien mieux façonnée dans un matériau qui plus est rare dans les Pyrénées:

La mieux conservée de la quinzaine de vénus gravettiennes découverte fin 2019 sur une station de plein air gravettienne fouillée dans un quartier d'Amiens. On note la symbolisation de la chevelure sur une tête… abstraite! (C: Inrap)
On remarque en effet immédiatement à considérer cette miss Picardie -27000 (sa datation), que ses proportions sont anatomiquement réalistes, quoique particulières. Pour sa part, La Vénus de Lespugue ne semble pas avoir de proportions réalistes lorsqu'on la regarde de face, car ses énormes seins sont posés sur le ventre sous un torse plat, voire creux:

La vénus de Lespugue vue de face a de curieux énormes seins posés sur le ventre au-dessous d'un torse creux et menu. (C: N. Rouquerol)
Vous pouvez immédiatement vérifier une grande caractéristique des vénus gravettiennes (et aurignaciennes) : elles sont à symétrie ventrale! Le milieu de la hauteur et de la largeur de la Vénus de Lespugue se trouve en haut du ventre, exactement au point de séparation inférieur des deux seins. Or le milieu de la hauteur du corps féminin passe par le pubis, à peu près à la hauteur de l'articulation de la hanche. L'anatomie de face est donc fausse, alors que de dos elles est à peu près juste. C'est cette anomalie, que Nathalie Rouquerol nomme le «centre ventral» (ou «ventre central») et dont elle a vérifié la présence sur une soixantaine d'autres figurines féminines entières du Paléolithique supérieur. Elle considère donc qu'il s'agit d'une norme sculpturale, d'une convention culturelle évidente au Paléolithique supérieur.
Pourquoi le «centre ventral» des vénus gravettiennes?
Pourquoi cette curieuse convention? Pourquoi est-ce que dans le spectacle de nudité qu'offrent ces adorables petites bonnes femmes du passé, le ventre est au centre?
Pourquoi, sinon parce que c'est là que logeait ce qui aux yeux des Gravettiens était essentiel dans le symbole que représentait une vénus ? Selon moi, les vénus gravettiennes symbolisent de façon idéalisée un aspect essentiel de la vie des femmes du point de vue des chasseurs-cueilleurs : la reproduction du clan. Le fait que pendant leur séjour en plein air en un lieu qui allait devenir une partie d'Amiens, des chasseurs-cueilleurs gravettiens aient consacré du temps à façonner des vénus dans le calcaire (voir l'image ci-dessus) suggère qu'elles servaient à la vie du clan à ce moment là, très vraisemblablement parce que plusieurs femmes enceintes et bientôt parturientes en avaient besoin pour que leur cycle reproductif se passe bien.
Or que représentent les vénus gravettiennes? Des femmes adipeuses aux hanches larges et aux seins ptosés (affaissés), bref, manifestement des femmes ayant déjà enfanté et parfaitement capables de le faire encore. Un idéal de femme, parfaitement apte à servir la survie du clan en mettant aux monde des enfants gras, puis en étant capable de les nourrir à travers un hiver qui chez les Gravettiens pouvait durer six mois…
La masse grasse apparaît comme réserve énergétique et un moyen de protection contre le froid. Cette masse augmente lentement chez la femme avec l’âge, et cette adiposité semble corrélée avec la parité, c’est-à-dire le nombre d’enfantement. Ainsi, on peut considérer l’obésité gynoïde comme physiologique, a estimé le gynécologue et obstétricien et préhistorien Jean-Pierre Duhard, que cite Nathalie Rouquerol. Jean-Pierre Duhard nous rappelle ainsi une vérité ancienne de l'humanité dépendante de la nature: Seront appréciés comme nourrice et femmes pares, toutes celles dont les seins sont ptosés. Les seins ptosés? Le moins que l'on puisse dire est que ce trait physique est sorti des canons de beauté:

L'idéal de la beauté féminine d'aujourd'hui d'une femme gracile et juvénile à la jeunesse durant possiblement toute la vie est très éloigné de celui des Gravettiens… (C: Shutterstock.com/Dean Dronot)
Cela peut surprendre en notre époque pendant laquelle les marchands imposent comme canon érotique des vénus juvéniles, voire virginales, mais dans les clans de Préhistoriques, il était évident que les femmes ressemblant aux vénus gravettiennes représentaient des femmes puissantes, puissantes du fait de leur capacité à enfanter dans un environnement exigeant.
Nombre d'autres arguments vont dans le même sens. Ainsi la vénus de Kostienki en Russie représentée avec une sorte de dispositif destiné à soulager le poids des seins lourds (un premier soutien-gorges?), cette vénus gravettienne moldave dotée d'une ceinture de grossesse,…
Le cas de la Vénus de Laussel, connue aussi sous le nom de Vénus à la corne est particulièrement frappant:
La Dame à la corne présente une corne qui symbolise quelque chose. Nous pourrions penser qu'il s'agit d'une corne d'abondance, mais ce symbole d'abondance, donc de nourriture riche et par là de fertilité date en en fait – pour autant que nous pouvons le savoir – de l'Antiquité! Une autre interprétation semble moins anachronique pourvu que l'on remarque que la corne est striée: Duhard considère que les gravures présentes sur la corne du bas-relief de la Dame à la corne de Laussel correspondent à un calendrier obstétrical : les marques successives correspondent aux phases et aux mois lunaires permettant d’estimer la date de la naissance, une grossesse durant 280 jours environ, soit environ 9,5 lunes. Franck Bourdier avait émis le premier cette hypothèse dans Préhistoire de France, Flammarion, page 276, noteNathalie Rouquerol.
Ainsi, la maternité avait une importance si centrale dans les cultures gravettiennes, que, comme dans certaines familles chrétiennes traditionalistes, où on protège ses proches par des amulettes de la vierge Marie portées en pendentif, on semble y avoir protégé les femmes en âge de se reproduire par des amulettes en forme de «nourrice et femme pare» idéale. Une observation qui fait raisonner les mots de Fañch Moal quand il écrit: La petite Dame de Lespugue est une proche cousine des vierges romanes…
Alors pour insister une fois de plus sur la signification des vénus gravettiennes, lisons Nathalie Rouquerol. Page 70 de son livre, elle relève que Randall White (de l'université de New-York) propose donc un usage de ces statuettes paléolithiques au moment difficile, à l’issue imprévisible, de l’accouchement, une situation occasionnelle, de protection avant tout de la mère: «prendre des mesure magico-religieuses pour assurer la sécurité durant une période hasardeuse de la vie d’une femme constituerait une réponse logique dans les cultures qui doivent s’adapter au climat hostile du dernier maximum glaciaire.»
La théorie de Nathalie Rouquerol
Alors, oui, la vénus de Lespugue a un rapport avec un culte de la maternité chez les Gravettiens. Mais pour Nathalie Lespugue sa signification dépasse cette seule fonction : la première preuve de ce fait est la présence d'une représentation du torse de la jeune fille prépubère. Certes, on peut essayer d'attribuer la présence de ce torse nubile à une commodité, voire à une erreur du sculpteur, mais cette résistance perdure-t-elle quand on considère la vénus de profil?
Non.
Toutefois, en même temps que cette jeune vierge, il y a bien une matrone présente dans la vénus de Lespugue quand on la considère de face. La présence de cette matrone, déjà rendue certaines par la présence de deux énormes seins, redouble d'évidence à considérer de derrière:

La vénus de Lespugue vue de derrière. On remarque qu'elle porte un curieux pagne sous fessier. (C: FS)
Pour autant, qu'est-ce que la structure rainurée sous-jacente au postérieur plus ou moins stéatopyge de la matrone? Un pagne? C'est là l'interprétation qui a été proposée le plus souvent par les préhistoriens depuis 100 ans, mais Nathalie Rouquerol en a une autre pour moi bien bien plus convaincante quand elle a retourné La vénus de Lespugue vue de dos:
Que voyons nous alors? Une jeune femme à la longue chevelure apprêtée, pleine de la séduction prometteuse de la jeunesse et à l'orée de sa période de maternité. On lit dans le livre de Nathalie Rouquerol et de Fañch Moal que ce retournement, qui transforme le pagne en chevelure, a d'abord été vu par Georges-Henri Luquet (philosophe et ethnographe, 1876-1965) dans les années 1930, et relayé par Yves Coppens dans les années 1980. Partant de là, Nathalie Rouquerol s'est demandé pourquoi le sculpteur a voulu ce retournement ?
Une jeune femme en plein âge de la séduction…
La jeune femme représentée par la statuette retournée se trouve exactement de l'âge dans lequel nos marchands travaillent de toute la force de leurs industries à figer les femmes actuelles. Pour les Gravettiens, il s'agissait là d'un âge fugace, touchant de par son charme, impressionnant de par sa beauté à mettre en valeur, mais fugace. Chut, ne dites pas aux marchands que les Gravettiens m'ont dit cela : me considérant comme un lèse-commerce délictueux, ils pourraient m'interdire de profiter de leurs promotions sur les crèmes de visage!
…et une femme en train d'accoucher
Ceci dit, la très jeune prépubère, la femme pare, nourrice idéale et la jeune femme en plein âge de la séduction ne sont pas les seules femmes représentées par La vénus de Lespugue. En la regardant d'une certaine façon, on peut aussi voir une femme en train d'accoucher:

L'accouchement particulièrement visible sur la reproduction – personnage intact – en ivoire. (C: FS)
La morale de l'histoire
Vous avez désormais compris la théorie de Nathalie Rouquerol : La vénus de Lespugue, œuvre sculpturalement très maîtrisée, est comme l'a suggéré dans les années 1930 le paléoanthropologue Georges-Henri Luquet (1876-1965), La vénus de Lespugue, c’est un souci absolument délibéré de réaliser avec une précision sans faute nulle-part, quelque Janus de la mythologie gravettienne. Janus, rappelons-le, est le «dieu romain des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes» (Wikipedia) et est représenté avec deux visages, l'un tourné vers le passé et l'autre de l'avenir. Dès lors, si l'on comprend l'allusion de Georges-Henri Luquet, il est clair que c'est bien plus qu'une dualité qu'évoque La vénus de Lespugue. En réalité, il ne s'agit pas d'une «vénus», mais d'une dame, de La Dame de Lespugue, un résumé en quatre étape du cycle de vie d'une femme, de la Femme gravettienne.
En ce sens, elle devait avoir pour les chasseurs-cueilleurs un sens profond. Pour eux qui ignoraient la mécanique céleste, mais voyait sans cesse la vie renaître et les saisons revenir, le temps devait être cyclique (du reste, il semble que la plupart des civilisations néolithiques issues du Paléolithique ont pensé le temps comme cyclique). Pour cette raison, c'est la permanence du rôle féminin dans la vie éternelle, la vie qui cycle sans fin, que symbolise et résume La Dame de Lespugue. Voilà l'émotion fondamentale que, confusément me semblent avoir ressenti tous les savant(e)s qui ont eu le privilège d'étudier la Dame de Lespugue de près. Ils l'ont ressentie, mais pas vraiment comprise à mon avis, puisqu'elle ne me semble devenir évidente qu'avec la théorie de Nathalie Rouquerol.
Dernière remarque
Il est un âge de la femme que ne représente pas la Dame de Lespugue : celui de la grand-mère. Parce qu'elle n'existait pas ou peu pendant la dure époque gravettienne? Possible, mais je ne le crois pas.
Certes, l'espérance de vie moyenne devait être faible étant donné la grande mortalité infantile, les risques et les fatigues du métier de chasseur. Toutefois, il devait exister des femmes enfantant facilement (douées pour accoucher sans complications), qui après avoir mis au monde six enfants, en avoir fait survivre trois ou quatre, entraient dans les années de la ménopause toujours bien vivante et terriblement expérimentées. N'étaient-elles alors plus que des rebuts humains sans intérêt reproductif donc inutiles, pesant sur le clan parce de plus en plus incapables de le suivre, et destinées à mourir rapidement? Non, puisque les enfants aussi ne pouvaient que le ralentir à un rythme que, vraisemblablement, les anciennes pouvaient suivre. Du reste, de très nombreux cas suggèrent que chez les préhistoriques, on n'abandonnait pas facilement les faibles, les malades et les blessés.
En fait, chez des gens valorisant autant la maternité, l'expérience du soin que possédaient les grands-mères ne pouvait qu'être très utile, voire vitale pour les femmes du clan. Est-ce un hasard si, traditionnellement, les sages-femmes, sont des «femmes sages», c'est-à-dire à l'utile expérience ancienne?
Cette tradition traduit une structure anthropologique fondamentale : la femme (et l'homme) d'expérience est précieuse pour la survie des lignées. Il est de plus en plus clair que l'une des raisons pour lesquelles la durée de vie des humains vivant dans la nature s'est allongée au cours du Paléolithique, est qu'elle a été sélectionnée. Pourquoi, sinon parce qu'elle était utile à la survie, sinon parce qu'une grand-mère dans un clan, signifie que plus d'enfants naîtront vivants et survivront pendant que leur mère s'occupe de la cueillette ou de coudre des habits, tout particulièrement des petits (ce que ma grand-mère adorait faire et faisait très bien). Oui, la grand-mère existait pendant le Gravettien, mais elle n'est pas comprise dans la Dame de Lespugue.
Pourquoi? Pour le savoir, je vais demander au shaman de mon clan d'interroger ma grand-mère par quelques invocations.
De votre côté, lisez La vénus de Lespugue révélée, et dites-moi votre avis!
"Vénus de Lespugue et artistes de plein vent" si l'ouvrage vous intéresse contactez moi
Edité en 2017 (6€+frais de port)
"Michel Batlle peintre et sculpteur lance un dialogue, avec son auteur à plus de 20000 ans de distance, imaginant la vie d'artiste en ces temps lointains. Il y fait aussi un parallèle avec l'ouvre de Brancusi"
Bonjour. Très interessant, mais vous déflorez un peu le livre non ? Avez-vous entendu parler de ce rombe préhistorique à deux faces ? Contactez moi sinon S.J.