L’énigmatique Homo naledi: humain, pré-humain, trop humain?

Lee Berger est un paléoanthropologue américain, vivant en Afrique-du-Sud, qui pratique la science par coups médiatiques. Il n'est pas le seul. Il y a quelques années, il découvrait dans le «berceau de l'humanité» – une région calcaire percée de nombreuses grottes se trouvant à quelque 50 kilomètres au nord de Johannesburg – Australopithecus sediba. Dans cet australopithèque austral, il voyait aussitôt la lignée australopithèque à l'origine du genre Homo, laquelle était traditionnellement vue plutôt dans l'autre grande région fossilifère riche en fossiles pré-humains : la région du grand rift africain située à l'est du continent.

Il vient de récidiver en découvrant dans une salle profonde et inaccessible de la grotte Rising star près du Cap plus de 1500 ossements fossiles correspondant à pas moins de 15 individus (lire l'actualité de PLS sur le sujet). Aucune espèce fossile humaine ou préhumaine africaine n'est connue par autant d'individus!!! Et ce n'est pas fini : le lieu de la découverte, la salle Dinaledi, en contiendrait encore beaucoup... Selon l'équipe de Lee Berger, ces fossiles sont ceux d'une espèce humaine très archaïque (très ancienne donc?), à qui elle a attribué le nom de la salle : Homo naledi, c'est-à-dire l'«homme étoile» en sesotho la langue africaine locale (lire l'actualité de PLS sur le sujet).

Les ossement de la nouvelle espèce H. naledi montrée par l'équipe de Lee Berger courant septembre 2015.

Les ossements de la nouvelle espèce H. naledi montrée par l'équipe de Lee Berger courant septembre 2015.                   (C: Lee Berger)

 

Bref, c'est quasi sûr, il semble que Lee Berger a découvert à tout le moins la toute première espèce humaine... La façon dont il s'y prend affole ses collègues. D'une part il accumule des découvertes qui sont des énormités en ce sens que normalement un paléoanthropologue chanceux en fait à la rigueur une dans toute sa vie : lui qui avait découvert l'ancêtre du genre Homo aurait maintenant aussi mis au jour une espèce humaine très archaïque, c'est-à-dire une forme rarissime, plus que rarissime, surtout représentée par un tel registre fossile... D'après l'équipe des découvreurs, il s'agit en effet clairement d'une espèce humaine, ce que la denture, les pieds et la construction du corps indiquent à peu près... Sauf que ces nouveaux êtres humains sont petits comme des australopithèques et semblent avoir une capacité crânienne ridicule s'il s'agit d'humains. Yves Coppens, le codécouvreur de l'australopithèque des Afars Lucy, n'a pas manqué de le relever (lire l'actualité de PLS sur le sujet). Vraiment, les collègues de Lee Berger sont perplexes.

Plus curieux encore, Lee Berger et son équipe suggèrent que le groupe humain ou préhumain qui nous a légué ses fossiles dans la salle Dinaledi, l'aurait utilisée comme une crypte mortuaire, c'est-à-dire que ses membres seraient venus y déposer leurs défunts pendant de nombreuses générations. L'équipe de Lee Berger aurait donc découvert aussi la plus ancienne tombe de l'humanité… Une affirmation énormissime qui étonne. Laurent Bruxelles de l'INRAP, qui a déjà travaillé en Afrique du Sud pour contribuer à dater l'australopithèque Little foot trouve pour sa part difficile à croire qu'en pratique, les utilisateurs de la grotte sont parvenus pendant des générations à y transporter leurs morts dans le noir et par les passages extraordinairement difficiles donnant accès à la salle Dinaledi. Que l'on en juge:

La chambre Dinaledi, où ont été retrouvés les fossiles de la nouvelle espèce présumée est extrêmement difficile d'accès.

La chambre Dinaledi, où ont été retrouvés les fossiles de la nouvelle espèce présumée est extrêmement difficile d'accès. (C: Lee Berger)

 

Comme le montre ce schéma de la grotte, on accède à la «crypte» par un raidillon quasi vertical de 12 mètres de haut… Et encore faut-il progresser dans le noir pour y parvenir et cela après avoir traversé plusieurs boyaux étroits en rampant et sans lumière (lire l'actualité de PLS sur le sujet). Laurent Bruxelles s'attend donc à ce qu'il ait existé une autre entrée du temps où cette salle fut employée comme crypte, comme garde-manger, comme moyen pratique de se débarrasser des morts, etc. Si c'est le cas, on découvrira peut-être que l'intention funéraire n'existait pas, ou du moins pas dans le sens anachronique que nous serions tentés de lire dans l'extraordinaire dépôt de la salle Dinaledi.

Toutefois, ce qui irrite vraiment les collègues de Lee Berger est qu'il a publié sa découverte sans la moindre datation, ni même tentative de datation (lire l'actualité de PLS sur le sujet), de sorte que son statut phylogénétique reste plus que mystérieux. Manifestement, les chercheurs de l'équipe qui a découvert H. naledi ont une idée en tête, puisqu'il ont comparé leur forme tant aux australopithèques qu'aux espèces humaines archaïques qui en sont sorties. Toutefois, ils n'ont pas donné d'âge et ont choisi de publier leurs résultats dans la revue en ligne eLife, plutôt que dans les grandes revues Nature ou Science, où aucune publication ne se serait faite sans d'abord une intense discussion scientifique entre les chercheurs du comité de lecture et les découvreurs. Ce choix peut s'interpréter tant comme une crainte de la critique des pairs (redoutable en effet, notamment parce qu'il arrive qu'elle soit accompagnée d'exigences plus ou moins abusives, comme le savent les initiés), qu'au contraire comme une nouvelle façon, plus transparente, de publier une grande découverte. Quant à une publication sans datation, cela ressemble à une manière de se garder l'information clé pour maîtriser la suite du spectacle... Même si, en Afrique du Sud, les datations de fossiles n'ont rien de simples (lire l'actualité de PLS sur le sujet dans le cas de la datation de l'australopithèque Little foot), une estimation aurait été bienvenue.

Que se passe-t-il au royaume de la paléoanthropologie? L'accélération de la vie sociale qui caractérise notre époque se traduit-elle dans cette vénérable science par une tendance à la multiplication des découvertes, des affirmations seulement partiellement fondées, des abus de définition (humain, pas humain?) et des mises en scène de la recherche? Pour impressionnants que soient les résultats de Lee Berger, sa façon de les faire connaître et de les publier sans faire participer l'élite mondiale de la paléoanthropologie à leur validation trouble. D'un autre côté, elle est aussi innovante, car elle bouscule aussi l'ordre établi. La publication en ligne et assez rapide à la mode d'eLife change la façon dont le travail des laboratoires et celui des chercheurs est évalué. Or, en France du moins, elle est insupportablement bureaucratique et politique. Seul le temps et la sédimentation des idées qui l'accompagne diront quelle solide roche de savoir pourra être formée à la longue à partir des découvertes des 20 dernières années et de leurs interprétations.

En attendant, ce n'est pas le pied… et celui d'H. naledi ne permet pas de conclure, même si je conclus avec lui:

Le pied de H. naledi serait humain, très humain, complètement humain. (C: Lee Berger)

Le pied de H. naledi serait humain, très humain, complètement humain, comme ses découvreurs.                      (C: Lee Berger)

 

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