L’éprouvante vie d’épouse de la fille d’Egtved

A-t-elle pris froid à cheval? Fut-elle blessée en route? En tout cas, à peine rentrée chez elle dans la péninsule danoise depuis le Sud de l'Allemagne actuelle, elle est morte. Ce fut triste et on lui fit de grandes funérailles; c'était il y a 3400 ans. Qui est-elle?

La fille d'Egtved!

Une jolie restitution de la tenue de la fille d'Egtved trouvée sur Pinterest.

La «fille d’Egtved» est une jeune femme de 16 à 18 ans à l'origine de l'une des plus remarquables momies européenne : enterrée sous un grand tumulus à Egtved dans le Jutland au Danemark, elle était manifestement de haut rang. Karin Margarita Frei du Musée national du Danemark et ses collègues viennent d'étudier les radio isotopes des matériaux de tout ce qui était contenu dans le cercueil de la fille d'Egtved. Les constatations faites par les chercheurs suggèrent que cette très jeune femme a couvert 2400 kilomètres à pied ou à cheval en 15 mois…. pour faire des aller-retour entre sa patrie et le Pays des Jutes (le Jutland), où elle venait d'arriver quand elle est morte…(voir l'actualité de Pour la Science rendant compte de ces recherches). Cette extrême mobilité d'une femme de haut rang illustre une fois de plus un fait bien connu : les élites de l'Âge du bronze entretenaient des réseaux d'échange à longue distance.

Il peut certes sembler étonnant que les Nordiques de l'Âge du bronze, des paysans vivant sur des terres inhospitalières et pauvres, dans les marges septentrionales de l'Europe, aient entretenu des relations commerciales ou du moins d'échanges jusqu'en Allemagne du sud. Toutefois, très tôt, de nombreux objets de bronze ont été importés dans le Nord  depuis le centre de l'Europe, et échangé contre, pense-t-on, de l'ambre de la Baltique. Puis des bronziers nordiques développèrent un artisanat local (même si l'on a continué quelques temps à produire des outils de pierre). Leurs productions sont vite originales: elles comprennent des épées à manche incrusté, des boucliers décorés de spirales (comme le disque de la fille d'Egtved), des casques à cornes (d'où le personnage de bandes dessinées du Viking), des boucles de ceintures, des fibules, des trompes, des forces, etc. L'originalité de cette métallurgie nordique illustre une forme de prospérité atteinte dans le Nord, sans doute grâce aux échanges, que cette «Méditerranée du Nord» qu'est la mer Baltique, facilitait.

Peut-être est-ce justement dans le cadre des échanges «ambre jaune contre cuivre alpin», qu'un homme fort du Jutland – le futur mari de la fille d'Egtved – a souhaité créer des liens avec un ami du sud capable de partager avec lui le cuivre qu'il se procurait dans les Alpes proches? En effet, transporter du minerai de cuivre sur d'aussi grandes distances était impossible, de sorte qu'il fallait se procurer des lingots, et être en mesure de sécuriser leur transport, peut-être en se déplaçant soi-même avec un groupe important de guerriers et de porteurs sur les chemins peu carrossables et peu sûrs de l'Âge du bronze (du reste, un cas horrible raconté dans Pour la Science, illustre comment,  presque à l'époque de la fille d'Egtved, une petite tribu d'Allemagne du nord a été totalement exterminée par un parti hostile qui lui avait tendu une embuscade soigneusement préparée ; après le massacre, les assaillants se sont gardés les jeunes femmes…) Une fois arrivé chez un partenaire lointain, il valait mieux pouvoir se poser en sécurité et avoir de l'aide pour se rééquiper… Toutes ces nécessités vitales demandaient de pouvoir faire confiance, de sorte que les partenaires, même distants, avaient intérêt à créer des liens, et dans une Europe aussi violente que tribale, les liens les plus fiables étaient les liens familiaux!

C'est pourquoi, si elle a passé son enfance dans le sud de l'Allemagne, la fille d'Egtved semble être la fille d'une influente famille du sud, que l'on a donné à marier à un précieux partenaire du Nord, sans doute quelque sorte de chef tribal, qui entretenait des échanges au long cours. Ce scénario explique pourquoi, au moment de sa mort, elle portait des habits de laine fine, qui avaient été produite et tissée dans le sud:

La jupe, la ceinture à pompon et la chemise de laine de la fille d'Egtved. Tandis que la jupe est une assemblage de cordons de laines fixés sur une ceinture, la chemise est tissée (C: Musée national du Danemark).

En Allemagne et au Danemark, le fait que la fille d'Egtved vienne probablement de la Forêt-Noire n'étonne pas, puisque l'on sait bien (et des trouvailles archéologiques en attestent) que le Jutland et la Forêt-Noire se trouvaient pendant l'Âge du bronze sur des routes les reliant par lesquelles circulaient les objets échangés. Pour autant, quelle était la nature de ces réseaux d'échanges à l'échelle européenne? Quel rôle les femmes y jouaient-elles? Pour préciser ces questions, j'ai interrogé Patrice Brun, un professeur d'archéologie de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne.