L’exposition «Circulez, y a tout à voir!» à Lattes près de Montpellier

De passage dans mes patries du sud cet été, j'y ai pris une autoroute à remonter le temps en me rendant au Musée Henri Prades de Lattes voir l'exposition Circulez, y a tout à voir!

Depuis des dizaines d'années en effet, une partie de la Voie domitienne moderne – l'autoroute A9 – est redoutable, car le trafic urbain, celui des vacanciers et celui des camions s'y ajoutent et s'y bloquent mutuellement. Aussi l'État a-t-il soutenu de grands travaux de contournement autoroutiers et ferroviaires des villes de Montpellier et de Nîmes. Et ces grands travaux routiers et ferroviaires ont entrainé de grands travaux archéologiques:

Les sites fouillés au préalables de la construction d'un doublement de l'autoroute A9 entre Nîmes et Montpellier (C: Saluces).

Les sites fouillés au préalables de la construction d'un doublement de l'autoroute A9 entre Nîmes et Montpellier (C: Saluces).

 

Avec le soutien des constructeurs et pendant plus de 10 ans, l'INRAP a repéré, puis fouillé 28 sites répartis sur un linéaire de plus de 100 kilomètres (voir ci-dessus) couvrant une surface de plus de 1200 hectares. Des dizaines d'hectares prometteurs ont été décapés par les 170 archéologues engagés dans l'opération et fouillés plus ou moins systématiquement selon la situation rencontrée.

Résultat: les sites rencontrés racontent l'évolution des habitants de cette région qui allait devenir le Languedoc depuis le Paléolithique le plus lointain jusqu'au Moyen-Âge. Les archéologues ont résumé les très nombreuses données recueillies dans un atlas et l'exposition Circulez, y a tout à voir! les présente au public sous la forme d'un parcourt au sein du Musée archéologique de Lattes (Le Musée Henri Prades):

La cour du Musée Henri Prades à Lattes près de Montpellier. (C: Musée Henri Prades)

La cour du Musée Henri Prades à Lattes près de Montpellier. (C: Musée Henri Prades)

Que vous en dire? Voici trois trois aspects du passé languedocien révélés par trois sites fouillés par l'Inrap.

Le site du Mas de Vouland, un site du Paléolithique ancien!

Le Paléolithique ancien ou inférieur, ce sont les 3 à 4 millions d'années (on vient de découvrir des outils plus ancien que l'humanité) jusqu'à il y a 300000 ans. Pendant cette très longue période, des hommes sont passés d'Afrique en Europe à partir d'il y a 600000 ans, où ils ont répandu le marqueur de leur stade évolutif dit «acheuléen» : le biface. Ces hommes étaient des nomades si mobiles qu'ils vivaient le plus souvent en plein air le plus près possible de leurs ressources principales: les troupeaux d'herbivores.

Il y a plus de 300000 ans, des bandes se sont établies dans les Costières nîmoises, des terrasses de galets déposés par le paléo Rhône (Paléolithique) au sud de Nîmes. Sur le site du Mas de Vouland, situé entre les villages de Générac, Caissargues et Aubord dans le Gard, les archéologues de l'Inrap ont découvert de nombreux objets de pierre taillée datant du Paléolithique ancien. Leurs tailleurs ne peuvent être que des Néandertaliens, des pré Néandertaliens ou leur ancêtres que l'on pense avoir constitué une espèce nommée Homo heidelbergensis. Un biface illustre la taille acheuléenne qu'ils pratiquaient:

Le petit mais très caractéristique biface du Mas de Vouland dans le Gard (C: Inrap).

Le petit mais très caractéristique biface du Mas de Vouland dans le Gard (C: Inrap).

Ce biface, qui a manifestement été taillé dans un galet local, servait avant tout à découper et à désarticuler des animaux. Il s'agit du premier jamais découvert lors d'une fouille lors d’une fouille dans les Costières nîmoises. Avant lui, un seul biface trouvé en surface était connu dans les Costières. Il a été découvert associé à de grands éclats et de nucléus.

Le climat et l’environnement dans lequel vécut la horde à l'origine de ces outils était très différent de celui d'aujourd’hui, et sans doute glaciaire. Un indice permet de s'en rendre compte: les outils ont été trouvés au sein d'une lentille correspondant  au remplissage sédimentaire d'une petite fosse vers laquelle ils furent transportés après avoir longtemps séjourné sur le sol. Cette constatation évoque les nombreux trous et lacs qui se forment dans le sol lorsque le pergélisol dégèle parce que la glace qu'il contient disparaît:

Des milliers de petits marais se forment spontanément quand fond le pergélisol. (C: USGS )

Des milliers de petits marais se forment spontanément quand fond le pergélisol. (C: USGS )

Ainsi, si le biface et les éclats qui l'accompagnent ont pu être transportés vers un tel trou une fois celui formé, c'est parce qu'ils ont séjourné longtemps sur un sol où rien ne sédimentait. Pourquoi? Parce qu'il était dur, parce que gelé.

Ainsi, l'autoroute à remonter dans le temps que l'on vient de construire dans le Languedoc nous a mené à un très ancien biface, qui nous apprend qu'un jour le sol du Languedoc consistait en pergélisol, en sol qui ne dégèle pas. Pensez-y la prochaine fois que vous dégusterez un Costières-de-Nîmes, l'un de ces rouges très alcoolisés, brûlés par le soleil et au goût de fruits cuits, qui sont devenus de plus en plus fréquents dans le Languedoc depuis que le climat s'est réchauffé…

Le très intéressant Néolithique languedocien

Le Néolithique, vous savez cette période de l'arrivée des paysans en Europe est très frappant en Languedoc, tant il y a laissé de traces, voire déjà dévasté le biotope à force de brûlis et de pâtures en nombre d'endroits aujourd'hui recouverts de pauvres garrigues calcaires. Lors de l'un mes autres passages à Montpellier, j'avais visité au Musée Henri Prades une passionnante exposition sur l'œuvre d'un grand savant local, qui fit tant pour faire connaître cette période : Jean Arnal.

Jean Arnal aurait été ravi de pouvoir suivre la moisson néolithique des archéologues de l'autoroute à remonter le temps : elle illustre une fois de plus comment au Néolithique, le paysage a commencé à se structurer en «pays» fait de champs et de pâtures autour d'un village. Les artisanats se développent alors, prenant de multiples formes. Il s'illustrent particulièrement dans les arts funéraires, puisque les objets déposés en offrandes dans les tombes sont aussi ceux qui nous sont parvenus en meilleur état…

Ainsi, au début du Néolithique languedocien, il y a quelque 6500 ans, les tombes sont encore frustes : les défunts, couchés sur un côté en position fœtale, sont accompagnés de quelques outils ou parures. Puis l'accompagnement des défunts vers l'au-delà va se complexifier avec les sociétés, qui deviennent de plus en plus hiérarchiques. Dans la plaine languedocienne, au Néolithique moyen entre 4700 et 3500 avant notre ère, les inhumations se font tout près des habitations, souvent dans des silos abandonnés ou réutilisés pour cela. Les offrandes funéraires s'enrichissent alors d'objets du quotidien reflétant les rôles différents des hommes et des femmes.

Puis la mode des sépultures collectives monumentales touche le Languedoc, se traduisant dans la plaine par le rassemblement des morts dans des grottes artificielles (fautes de naturelles). Ainsi au Mas rouge, près de Montpellier, les morts avaient été déposés sur différents niveaux en planchers, le tout protégé par un petit bâtiment. Les dépôts d’accompagnement des défunts se diversifient alors : offrandes alimentaires, banquets funéraires, objets brisés volontairement, équipements spécialisés (pointes de flèches, mortier), animaux entiers...

Des parures néolithiques trouvées au Mas rouge. (C: MMM)

Des parures néolithiques trouvées au Mas rouge. (C: MMM)

 

L'exposition présente ainsi un assemblage remarquable de témoignages de ces phénomènes funéraires néolithiques.

Et les Étrusques, inévitablement...

Lattes, où se trouve le Musée Henri Prades, se nommait Lattara dans l'Antiquité. Le terme provient d'une racine gaulois late signifiant «terrain plat», «marais», qui se retrouve par exemple dans la nom gaulois d'Arles (Arelate signifiant «devant les marais»). Toutefois, malgré son nom gaulois, Lattara accueillit aussi un comptoir étrusque dès le VIe siècle avant notre ère, et le Musée Henri Prades étant justement le musée de ce comptoir, l'exposition se termine et se complète par l'exposition permanente qui lui est consacré.

Et le rapport avec l'autoroute à remonter le temps? Sa réalisation a mené à la découverte d'un village gaulois voisin, d'un village gaulois des marais, où les marchands étrusques venaient sans doute habiter, échanger, chercher femme peut-être…

Des trous de poteau et un réseaux de fosses trahissent la présence d'un ancien habitat protohistorique à la Cougourlude. (C: Denis Gliksman/Inrap)

Des trous de poteau et un réseaux de fosses trahissent la présence d'un ancien habitat protohistorique à la Cougourlude. (C: Denis Gliksman/Inrap)

Ce village, celui de la Cougourlude, était en fait gallo-étrusque! Il a peut-être précédé l'établissement étrusque lui-même, de sorte qu'il pourrait constituer le premier «Lattara». En ce sens, ce serait après avoir éprouvé l'accueil des habitants du pays que les Étrusques auraient décidé de mieux s'installer pour échanger davantage avec eux. Aujourd'hui, ce premier Lattara présumé se trouve sous trois mètres de remblai et sous le flux continu des voitures et des camions qui foncent on ne sait pourquoi sur l'autoroute à remonter le temps…

 

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