L’exposition Jardins d’Orient, à l’Institut du monde arabe

L'affiche de l'exposition Jardins d'Orient. (C: IMA)

L'affiche de l'exposition Jardins d'Orient à l'Institut du monde arabe. (C: IMA)

L'Institut du monde arabe, que dirige Jack Lang, a encore frappé fort. L'exposition consacré au jardin d'Orient qu'il propose vaut le détour, non seulement pour profiter de l'ombrage installé près de la buvette sous l'anamorphose en jardin (une illusion d'optique en forme de jardin géométrique) installée devant l'Institut, mais aussi pour prendre conscience de l'influence du jardin oriental sur notre imaginaire et… nos jardins.

Pour une première présentation de cette exposition, lire l'article de mon collègue Loïc Mangin : Un jardin qui coule de source. Vous y découvrirez le premier aspect fort de cette exposition: le jardin d'Orient est le résultat du génie hydraulique des Mésopotamiens. En Orient ou dans les pays de la rive sud de la Méditerranée, la gestion de l'eau a très tôt été un enjeu économique essentiel, et il n'est pas étonnant que les progrès accomplis pour amener la terre à donner plus aient eu leurs retombées techniques quant à l'organisation des jardins d'agréments et de prestige. Les jardins suspendus de Babylone :

Une représentation d'artiste des jardins suspendus de Babylone du XXe siècle.

Une représentation d'artiste des jardins suspendus de Babylone du XXe siècle.

constituaient l'une des sept merveilles du monde antique. Sans doute parce que le génie hydraulique mis en œuvre pour les rendre possibles était «merveilleux» du point de vue d'un Ancien. Ce sujet est amplement évoqué dans l'exposition de l'Institut du monde arabe, où un film montrant une restitution en trois dimensions d'un dispositif qui pourrait leur avoir ressemblé est présenté.

Quoi qu'il en soit, ce que l'exposition nous apprend aussi, c'est que le jardin d'Orient, en d'autres termes le jardin arabe, est à l'origine un jardin perse. Son organisation dérive d'un concept perse, mais qui me semble l'émanation de conceptions mésopotamiennes plus anciennes. Un roi mésopotamien invitait en effet au jardin ceux qu'il voulait honorer, et c'est aussi dans un jardin que Gilgamesh, le héros mésopotamien par essence, trouvera la plante de vie conférant l'immortalité. Manifestement, le jardin d'Orient est l'un des héritages que nous avons de la grande civilisation mésopotamienne, dont la fin est plus éloignée de ses débuts, que nous ne le sommes de sa fin... Or cette civilisation de l'eau, née entre deux fleuves traversant un désert, est une civilisation de l'oasis. Cela suggère que pour tous ceux que la civilisation mésopotamienne a beaucoup influencé (les Perses, les anciens Hébreux et les anciens Arabes notamment), le jardin d'agrément est une sorte d'oasis aménagée par l'homme pour y retrouver l'arbre de vie (l'immortalité) présent dans les jardins divins, ou ce qui sur le plan symbolique revient au même les principes divins. Le jardin des délices ou jardin d'Éden de la Bible est une illustration de ce phénomène.

Il me semble clair, par ailleurs, que le jardin d'Orient, cette métaphore terrestre du paradis, est aussi la métaphore du lieu de bien être que l'on tend naturellement à imaginer lorsque l'on est membre d'une civilisation de l'eau précieuse et rare qui coule dans le désert, et par là du génie hydraulique. Le jardin se doit d'être une oasis parfaite, c'est-à-dire parfaitement agréable. Pour un Mésopotamien où l'un des membres des cultures du désert, chercher son paradis, c'est confusément chercher à arriver quelque part où l'on est bien, c'est-à-dire dans une oasis.

Remarquons en passant, que les Européens ont aussi reçu cette notion par l'intermédiaire du christianisme. En Europe, où l'eau coule à profusion et, souvent envahit les terres, c'est aussi le paradis-oasis, où la soif et la chaleur le cède à une agréable fraicheur humide, qui a intégré l'imaginaire. En ce sens, les Européens christianisés sont en partie des «Orientaux acculturés», des «Mésopotamiens culturels» qui ignorent aspirer au paradis au sens mésopotamien du terme.

Du reste, d'où vient le terme de paradis? Je lis dans le Wikipedia anglais que le mot provient du latin paradisus, lequel est venu du grec parádeisos (παράδεισος) ramené par les Grecs anciens du «pays de l'entre fleuves» (la Mésopotamie), puisqu'il s'agit d'un terme de vieil iranien (avastique) signifiant «enclos muré». Ainsi, la signification originelle du mot «paradis» illustre aussi le fait que le paradis est une oasis artificielle entre murs, où l'on se rend pour trouver enfin le bonheur, lequel est proche de Dieu (ou anciennement des dieux), du moins de ses principes.

Les anciens Hébreux, eux aussi très liés à la civilisation mésopotamienne, qui les domina longtemps, en avait une notion proche, puisque le terme désigne dans la Bible le jardin de Dieu, dont la fonction est de garder l'arbre de la vie, ce qui explique qu'un jardin, donc une oasis (de vie) se doit d'être un endroit plein d'arbres fruitiers.

Ces notions se retrouvent dans le jardin perse, lequel à la faveur de l'expansion de l'Islam sera repris et interprété par la civilisation arabo-musulmane au sein de laquelle le paradis est aussi un jardin-oasis. Ainsi, le Coran désigne le paradis comme un jardin, mais emploie aussi le terme perse sous la forme farādīs (فردوس,), et décrit l'endroit comme parcouru de fleuves. Les versets 16 et 17 de la sourate 47 stipulent:

«Voici le tableau du paradis qui a été promis aux hommes pieux : des fleuves d'eau qui ne se gâte jamais, des fleuves de lait dont le goût ne s'altérera jamais, des fleuves de vin doux à boire,

Des fleuves de miel pur, toute sorte de fruits, et le pardon des péchés.»

Nous y retrouvons cette notion d'un endroit où l'on arrive pour y trouver le bien-être, de l'ombrage, des ressources alimentaires à profusion et même des «femmes purifiées»… Notons que la  description coranique mentionne la présence de fleuves de lait, cette nourriture fondamentale chez les  éleveurs nomades, de miel, le seul sucre de l'Antiquité, et aussi… de vin. La mention du vin est congruente avec celle du paradis perse si l'on pense que les plus anciennes traces de viticultures proviennent de l'espace iranien... Ainsi, le Coran décrit une notion de félicité très traditionnelle dans la civilisation proche-orientale ancienne, qui dénote une très ancienne influence iranienne.

L'exposition Jardins d'Orient donne aussi à voir le caractère très géométrique de tous les jardins inspirés des jardins perses:

Un jardin de l'Inde Moghole (ici, à Hyderabad, au-dessus d'un lac et face à un paysage de collines) est construit selon le modèle persan mis au point près de vingt siècles plus tôt. Il est découpé en quatre parties par des canaux rectilignes alimentés par un bassin.

Un jardin de l'Inde Moghole (ici, à Hyderabad, au-dessus d'un lac et face à un paysage de collines) est construit selon le modèle persan mis au point bien des siècles avant lui. (C: Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris)

Cet aspect, qui relève d'une recherche mathématique de la perfection, sera transportée dans le jardin arabo-andalou, que découvriront les Européens en se rendant dans Al-Andalus, la partie musulmane de l'Espagne:

Le jardin mauresque de l'Alhambra appartient à la culture hispano-musulmane tardive. (C: Bobbylamouche)

Le jardin mauresque de l'Alhambra appartient à la culture hispano-musulmane tardive. (C: Bobbylamouche)

 

Ces jardins sont du type des jardins d'Orient, puisque leurs principes ont été importés d'Afrique du nord, qui les avait reçus d'Orient. Voici comment l'historien maghrébin Al Maqqari (1578-1632) décrit un beau jardin qui se situait probablement dans le quartier de la porte Nord de Cordoue : Ce jardin est l'un des lieux les plus magnifiques et les plus réussis ; ondoyant tel un serpent, un ruisseau le traverse, qui se jette dans un bassin. Le toit, les murs et les parois de son pavillon sont ornés d'or et de lapis-lazuli. Ce jardin est organisé par des rangées de plantes disposées symétriquement, et dont les fleurs semblent sourire. Le soleil ne parvient guère à toucher sa terre humide, tandis que la brise disperse ses parfums la nuit comme le jour, comme si elle était faite de regards d'amour, ou en train de se séparer des jours de sa jeunesse.

Cette description nous est familière, car dans l'organisation en « rangées de plantes disposées symétriquement », nous reconnaissons immédiatement le jardin baroque! Le ruisseau nous fait  penser aux jardins-paysages anglais. Les symétries, la disposition de l'installation sur des terrasses reliées entre elles, les fontaines et les bassins… au jardin français. Tout cela relève en tout cas des canons régissant les jardins de la Renaissance, de sorte qu'il apparaît très vraisemblable (et des indices historiques concrets vont dans ce sens : lire à ce propos l'article Des jardins mauresques à la Renaissance, par Félix Arnold dans le Pour la Science d'avril 2013) que les éléments fondamentaux du jardin de la Renaissance proviennent d'Al-Andalus, donc d'Afrique du Nord, donc d'Orient. Le jardin d'Orient, comme le paradis d'Orient sont en nous!

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