Le livre «Spartacus» de Yann Le Bohec
Entre 73 et 71, Spartacus dirigea une grande insurrection des esclaves contre Rome. Cette guerre civile d'un genre particulier fut mythifiée, de sorte que Spartacus est aujourd'hui très présent dans nos esprits. Toutefois, il s'agit d'un Spartacus qui n'a jamais existé et dont les motivations n'étaient pas celles que laissent imaginer les nombreuses œuvres modernes qui lui ont été consacrées. Yann Le Bohec, reprend le dossier à zéro en relisant pour nous méticuleusement les sources, puis en les interprétant en historien. Le Spartacus qu'il évoque ressemble alors à cela:
C'est-à-dire qu'il ressemble à un gladiateur émergeant de la plus totale obscurité des bas-fonds de la société romaine pour marquer l'histoire, sans que l'on comprenne très bien comment une telle chose a pu être possible. En effet, la guerre servile animée par Spartacus est un phénomène stupéfiant, puisqu'il faut bien admettre que des esclaves de toutes origines, ne parlant pas les mêmes langues, sans formation militaire ni armes, sont parvenus à s'organiser, puis à se discipliner assez afin de vaincre la meilleure armée du monde antique : la légion; et à la faveur de nombreuses grandes batailles, ils sont parvenus à anéantir pas moins de cinq légions, soit 25000 hommes. Un cataclysme!
Alors, pour comprendre, Yann Le Bohec peint un portrait de Spartacus avec le réalisme de l'historien : sur le plan physique, c'était un homme fort, puisqu'il avait été acheté pour être gladiateur (logique) ; sur le plan moral, il était ignoble et méprisable pour ses ennemis romains puisqu'il était esclave (un fait), ce dont on peut déduire qu'il était révolté contre eux (imparable) ; mais un révolté, avertit Yann Le Bohec, qui n'était pas un humaniste (notion issus du XVe siècle!) menant une lutte contre l'injustice (anachronisme). Dans l'ordre social romain, sait très bien nous représenter Yann Le Bohec, un esclave n'avait en effet que certains droits, mais jamais celui de se révolter par la force. S'il le faisait, il mourrait socialement aux yeux de tous donc aux siens aussi, de sorte que seule la mort l'attendait, laquelle il acceptait sans guère de révolte, puisqu'elle était inéluctable…
Cela, les hommes de Spartacus le savaient tous, et cela explique sans doute qu'un chef ait pu les unir envers et contre toutes les difficultés immenses qui s'opposaient à eux pour donner la mort à qui voulait la leur donner. Néanmoins, pour y être parvenu, Spartacus a dû être spectaculairement courageux, comme l'a bien prouvé le mépris de la mort typique d'un gladiateur avec lequel il a choisi de mourir sur le champ de bataille lors de son dernier combat. Cela, qui est impressionnant, était aussi peut-être la limite de Spartacus, que sa mentalité de champion de l'arène, a sans doute empêché, se demande Yann Le Bohec, de se comporter en véritable stratège. Une question légitime, mais bien sévère à propos de celui qui, à l'instar du plus impressionnant général de tous les temps, Hannibal (247 à 183 avant notre ère), faillit mettre un terme à la domination d'une ville éternelle, qui faillit ne plus l'être par sa faute!
Comme Hannibal, Spartacus sut forger une armée étonnamment cohérente, à partir d'un noyau (de gladiateurs) habitué au combat (des troupes carthaginoises et ibériques dans le cas d'Hannibal) et, sinon, d'un invraisemblable assemblage d'hommes de toutes origines, langues, motivations, âges et expériences… Quelle autorité naturelle et ruse inouïe dut avoir ce meneur d'hommes pour réussir une telle prouesse humaine et militaire! Le résultat de son génie est une épopée militaire tellement étonnante qu'elle en semble impossible. Pour autant, force est de se rendre à l'évidence que Yann Le Bohec nous distille en nous racontant à sa manière vivante et précise les combats qui se succèdent plusieurs années durant contre les armées que Rome, avant que les légionnaires ne parviennent finalement à vaincre l'armée des esclaves. Une victoire difficile qui lava enfin la honte profonde que les légionnaires éprouvaient pour leur camarades, que de misérables esclaves avaient pu vaincre… Aussi, une fois l'honneur de leurs camarades vaincus rétabli, les légionnaires purent enfin, en pleine bonne conscience,… crucifier les compagnons survivants de Spartacus tout au long de la route reliant Naples à Rome. C'est tout ce que de si valeureux combattants méritaient. Malheur au vaincu, prononça une fois un certain Gaulois après avoir pris Rome...
De ce livre, que vous lirez avec plaisir, jaillissent trois conclusions évidentes:
1) Que les historiens, malgré la précision et la fiabilité auxquelles ils s'astreignent, sont des écrivains très agréables à lire quand ils restituent de façon vivante un passé… mort .
2) Que l'histoire de Spartacus illustre une fois de plus que l'on a tort de sous estimer son ennemi.
3) Que dans la société romaine, comme dans les autres, la révolte part des bas fonds et qu'elle est d'autant plus intense, que ceux qui y vivent y vivent mal. Les gladiateurs, pour leur part, vivaient tous les jours dans l'horreur.
Et ils n'avaient même pas la vie à perdre!