Le trésor de Cluny, témoin de la Reconquista?
Pendant l'été, 2015, un trésor a été trouvé dans l'emprise de l'ancienne abbaye de Cluny:

Le trésor de Cluny le jour de sa découverte. (C: Anne Baud-Anne et Flammin/Laboratoire Archéologie et archéométrie)
Comme nous allons voir, il constitue un signe énigmatique de ce qui se tramait au sein de l'abbaye vers le milieu du XIIe siècle et témoigne de l'un des stades de la reconquête de la péninsule Ibérique par les guerriers chrétiens.
Une cornaline gravée en intaille sertie dans une bague en or pour former un sceau constitue sans doute l'objet le plus précieux du trésor:

La bague sigillaire découverte à Cluny avait une énorme valeur, sans doute plus grande que le reste du trésor. (C :Alexis Grattier-Université Lumière Lyon 2)
Cette bague servant à sceller lettres et documents est à l'évidence un objet personnel ostentatoire appartenant à quelqu'un de riche et puissant. Comment s'est-il retrouvé au milieu d'un trésor monétaire? Pour nous approcher de la réponse à cette question, commençons par examiner comment et où ce trésor a été découvert et en quoi il consiste.
Anne Baud et Anne Flammin, du Laboratoire Archéologie et archéométrie (CNRS/université Lyon 2 et Lyon 1) recherchaient à la pelle mécanique les fondations de l’ancienne infirmerie de la célèbre abbaye de Saône et Loire, lorsqu’une étudiante participant aux fouilles aperçut une pièce d’argent dans la terre. L’alerte donnée, une fouille prudente à la main ramena au jour plus de 2200 deniers et oboles d’argent frappés par l’abbaye au cours de la première moitié du XIIe siècle. Ils avaient été enterrés dans un sac de toile contenant un petit paquet de peau tannée et nouée protégeant une feuille d’or pliée de 24 grammes, un petit objet circulaire en or, la bague sigillaire évoquée et 21 dinars en or frappés entre 1121 et 1131 en Espagne et au Maroc, donc au sein de l’empire berbère almoravide. Voici le trésor complet:
Ce trésor date manifestement de la première moitié du XIIe siècle, une période pendant laquelle l’abbaye, à son apogée, vient de construire Cluny III, une nouvelle église abbatiale, qui fut la plus grande d’Occident:

Une restitution de l'église de Cluny la plus grande tirée du livre Kirchliche Baukunst des Abendlandes («L'architecture d'église en Occident») par Georg Dehio et Gustav von Bezold.
Le trésor a vraisemblablement été dissimulé au moment où Cluny, bien qu'à son apogée, était aussi difficulté, notamment financière. Au cours du XIe siècle, l'abbaye de Cluny, indépendante depuis sa fondation, avait poursuivi une impressionnante ascension étendant son réseau de monastères rattachés à toute l'Europe (France, Angleterre, Espagne,...) et à la Terre Sainte après la croisade d'Urbain II. Cet immense succès créait des tensions au sein du réseau clunisien, notamment par manque d'administration efficace. En 1109, un nouvel abbé, Pons de Melgueil (?-1126), s'attelle à la réforme de l'ordre, mais se heurte à une réaction, probablement interne. Brusquement convoqué à Rome par le pape en 1122, qui a reçu des plaintes de moines, il démissionne ou est déposé. Pons était toutefois soutenu par de nombreux moines et par des châtelains de la région, de sorte que lorsque, des années plus tard en 1126, il viendra d'Italie rendre une visite à ses amis clunisiens, un schisme spontané l'imposera à la tête de l'abbaye. Il est difficile de dire si ces troubles ont un rapport avec le trésor, mais il est clair qu'ils créèrent une ambiance favorable à la prise de mesures précipitées, par exemple la dissimulation en urgence d'une partie de la trésorerie de l'abbaye.
Qui a-pu dissimuler un tel trésor ? Dans la mesure où il contient des deniers d’argent frappés à Cluny, qui servaient aux achats communs, une possibilité serait qu’il l’ait été par le moine cellérier, l’administrateur général du monastère, ou par l'un de ses aides. Parce que nommé par Pierre le Vénérable – le successeur et ennemi personnel de Pons –, il s'inquiétait des conséquences du retour momentané de Pons à la tête de l'abbaye? Nous ne saurons pas, mais quoi qu'il en soit, le cellérier, ou peut-être ses aides, faisaient partie des seuls moines à avoir accès au numéraire servant à couvrir les besoins quotidiens des moines : des deniers que l'abbaye frappait pour payer ses fournisseurs.
Or, si elle est importante pour un individu, la somme de 2200 deniers ne l'était guère à l'échelle de l'abbaye! Le numismate Vincent Borrel, du Laboratoire Archéologie et Philologie d’Orient et d’Occident (AorOc , CNRS /ENS de Lyon), m'a en effet expliqué que dans une charte de 1122, l'abbé consigne avoir besoin de «20000 sous par an» pour couvrir les besoins en vin et céréales de ses quelque 300 moines. Comme un sous représentait 12 deniers, nous en concluons qu'il lui fallait pour le vin et les céréales de l'ordre de 240000 deniers par an, soit environ 658 par jour, et donc que 2200 deniers ne représentaient guère qu'environ trois jours d'approvisionnement du grand monastère.
Dès lors, on comprend que l'un des moines chargé des finances a fort bien pu soustraire une somme de cet ordre. Étant donné qu'il y a adjoint une bague sigillaire – un effet personnel – et ce qui ressemble à des réserves personnelles (les petits objets en or), on se dit en outre qu'il devait s'agir d'un moine de haute caste. Le moine cellérier? L'un de ses aides? Nous ne saurons jamais, mais la présence des 21 dinars d'or qu'il a aussi soustraits est remarquable:
Pourquoi? Parce qu'ils témoignent des nombreux liens qui unissaient alors les rois de Castille à l'abbaye de Cluny depuis la fin du XIe siècle. Ayant en effet réussi à devenir roi de Castille puis de tout le royaume de son père Ferdinand Iier (1016-1065), Alphonse VI de León (1040-1109) , décida de se lancer dans la reconquête des Taïfas – les royaumes musulmans d'Espagne. Toutefois, avant cette aventure, il eut pour vassal le roi maure de Tolède et avait réussi à faire payer tribu à Abbad III, roi de Séville. Soutenu par les moines de Cluny et par le pape Grégoire VII, Alphonse était aussi marié en secondes noces avec Constance de Bourgogne. Il put faire appel pour sa reconquête aux puissants chevaliers bourguignons, qui se croisèrent pour l'occasion. En 1085, après onze années de guerre et de siège, les musulmans de Tolède capitulèrent.
On comprend dès lors que ses caisses devaient contenir de nombreux dinars frappés au sein de l'espace almoravide. Il les avait obtenus par tribut, par pillage ou simplement par échange. On saisit aussi qu'Alphonse était redevable aux chevaliers bourguignons (très sensibles aux intérêts de ce phare de l'Occident qu'était alors Cluny) et à l'abbaye de Cluny. Il le fut encore plus après avoir demandé au monastère de lui envoyer des moines afin de réformer le christianisme mozarabe, celui des Espagnols qui sous la férule maure étaient restés chrétiens. En reconnaissance, il consentira à l'abbaye de Cluny un cens de 300 pièces d'or par an, qui fut ensuite réduit à 200 pièces d'or par ses descendants au milieu du XIIe siècle.
Ainsi, les 21 dinars d'or du trésor de Cluny semblent provenir de cette rente que les rois de Castille avaient constituée en faveur de l'abbaye. Bien entendu, il est aussi possible qu'il soient remontés au monastère de Cluny depuis les prieurés fondés par ce dernier en Espagne. Quoi qu'il en soit, il est clair que leur présence à Cluny illustre aussi la façon dont la Reconquista a commencé et le rôle majeur que la Bourgogne et Cluny y ont joué.
Il se peut également que les dinars d'or aient une origine moins avouable: le commerce des esclaves ! Rappelons que Verdun était l'un des plus grands centre de "castration" d'europe et de transit. Cette castration se pratiquait notamment dans les monastères par des hébraïques seuls autorisés à l'époque à pratiquer la chirurgie. La plupart de ces esclaves survivants étaient ensuite dirigés notamment vers l'espagne musulmane qui achetait à prix d'or ces esclaves. L'église, ne condamnait pas l'esclavage en particulier pour les non-chrétiens (qui n'avaient pas d'âme), et possédait aussi des esclaves en aprticulier dans les monastères.Voila une possible explication à la présence de ces "dinars"
Pourriez-vous me citer un texte contemporain qui considère que les païens de l’époque ne possédaient pas d’âmes ? Ne faites-vous pas confusion avec la religion mahométane qui justifiait la réduction des infidèles en servitude depuis l’hégire de 622 ? En ce qui concerne la traite occidentale vers l'Espagne (qui prit fin au XIe siècle), toute l'entreprise en question, de la castration à l'acheminement et vente des esclaves en Andalousie, était aux mains de négoces juifs - il vous resterait donc à établir un lien quelconque avec Cluny. Quant à l'origine de ces dinars, les cens annuels des rois Ferdinand Ier et Alphonse VI sont bien connus, et ne nécessite pas l'invocation d'une hypothèse plus alambiquée.
Pour M. Savatier, s'il vous plaît, un espace avant les signes de ponctuation !
Les tresors parlent .....