Une tête de loup à gueule d’ours découverte en Sibérie

 

Conservée avec sa chair, cette tête de loup géant vient tout juste d'être exhumée du pergélisol en Iakoutie. (C: Albert Protopopov)

La plus grande des sous-espèces actuelles de loup est Canis lupus albus, le loup de Sibérie. Tandis que sa tête peut mesurer jusqu’à 28 centimètres de long, son corps atteint les 140 centimètres de tête à queue pour un poids de 55 kilogrammes chez les mâles adultes. Des proportions qui suggèrent que le loup pléistocène adulte dont la tête de 40 centimètres vient d’être découverte intacte dans le pergélisol en Yakoutie (extrême nord-est de la Russie) aurait pu mesurer jusqu’à deux mètres de long pour quelque 80 kilogrammes…

Toutefois, ce n’était certainement pas le cas pour Albert Protopopov de l’Académie des sciences de la république de Sakha (Yakoutie), qui coordonne l’étude du fossile, daté d’environ 40000 ans, c’est-à-dire de la fin du Pléistocène (2,58 millions d'années à 11 700 ans avant le présent). Pour lui, ce loup, qui avait entre 2 et 4 ans était « clairement plus petit que les loups arctiques modernes, et plus près du loup commun par sa taille.» Il exclut aussi qu’il puisse s’agir d’un spécimen de Canis dirus parvenu en Sibérie par le pont qui la reliait alors à l’Amérique. Le fossile n'est pas sans faire penser en effet à Canis dirus – littéralement le «loup sinistre» –, une espèce américaine de canidé robuste (jusqu’à 80 kilogrammes) disparue il y a quelque 10000 ans. Mais alors, si la tête fossile découverte n’est ni exactement celle d’un loup, ni celle d’un canis dirus, de quoi s’agit-il ?

Pour le savoir mieux, peut-être serait-il utile se savoir d’où elle provient et pourquoi elle est isolée ? Il s’avère qu’elle a été apportée par Pavel Efimov, un chasseur d’ivoire de mammouth, à Love Dalén du Muséum suédois d'histoire naturelle de Stockholm, qui participait au tournage d’un documentaire en Yakoutie. Dans le nord de l’Eurasie et de l’Amérique, cette activité minière particulière est rendue possible par le fait qu’avec le réchauffement climatique de plus en plus de pergélisol dégèle en été. Malheureusement, les méthodes des mineurs d’ivoire sont violentes (explosifs), ce qui pourrait tout autant expliquer la séparation de la tête du corps, que le cisaillement dû au gel et au dégel qui a été largement invoqué dans la presse pour l’expliquer. Le reste du corps est-il encore dans le sol gelé ?… Nous ne saurons pas sans doute, mais c’est sur une rive de la rivière Tirekhtyakh, un affluent du fleuve Indigirka, qui se jette dans dans la mer de Sibérie orientale, que Pavel Efimov a découvert la tête de loup.

Ce scan de la tête de loup révèle la structure du crâne du paléo loup yacoute. (C: Albert Protopopov, Naoki Suzuki)

Naoki Suzuki, professeur de paléontologie à l’école de médecine Jikei à Minato au Japon qui a réalisé un scan de la tête a constaté son parfait état de conservation : elle comprend poils, chair, os, dents et cerveau ! Les chercheurs ont été frappés par le fait que certaines parties du crâne sont plus développées que ce n’est le cas chez les loups modernes.

Le museau du paléo loup yakoute n'a pas la forme pointue de celui de Canis lupus, le loup contemporain, mais presque la forme épaisse d'un mufle d'ours. (C: Albert Protopopov)

Du reste, c’est évident simplement à la regarder: la gueule de ce loup ancien a en effet une forme carrée, qui rappelle davantage le mufle d’un ours que celui – triangulaire, pointu et fait pour renifler et fouiller prudemment – d’un loup actuel. Manifestement, la robuste espèce de canidé à laquelle appartient cette tête avait une écologie différente de celle de Canis lupus, peut-être plus proche de celle la panthère chassant seule que de celle d’un animal social chassant en horde.

Cette impression et un fait paléontogique relevé par Love Dalén permet peut-être d’identifier le curieux loup fossile de Yakoutie... Love Dalén souligne en effet qu’un « proche parent de Canis lupus vivait dans l'hémisphère nord pendant la dernière période glaciaire. Ce loup des steppes du Pléistocène représente une lignée différente de celle des loups actuels. Légèrement plus gros, ils étaient aussi dotés de mâchoires plus robustes.» Pour Love Dalén, la tête de loup découverte en Yacoutie est sans doute un autre fossile issu de cette lignée, mais qui, chose inespérée, nous arrive intact… L’équipe du chercheur suédois prévoit d’en étudier l’ADN, qu’il s’agira de comparer à celui des loups actuels. Elle pourra aussi, si cela s’avère possible le comparer à celui qui est probablement contenu dans le corps intact d’un louveteau vieux de 50000 ans découvert en 2018 au Yukon.

La recherche va se poursuivre, mais un point est déjà clair depuis longtemps : ce curieux loup fossile de Yakoutie n’est qu’une illustration de plus du fait que pendant l’expansion d’Homo sapiens en Eurasie, de nombreuses espèces de mammifères de grandes tailles du Pléistocène ont disparu. Nous avons tant changé la nature : à l'échelle des grands mammifères, celle-ci est devenue un nid entièrement aménagé par nous et pour nous. Il nous faut cesser de considérer la «nature» comme indépendante de la «culture», donc de nous, et en prendre enfin la responsabilité, comme on s'occupe d'aménager sa maison et de la rendre avenante pour la vie de tous ses habitants.

 

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