Vers 16 heure 35 le jour de la mort des dinosaures…

À Tanis, Robert DePalma a découvert une strate attestant de la brusque mort en masse de nombreux poissons et plantes. (C: Robert DePalma, université du Kansas)

Il y a quelque 66 millions d'années, un astéroïde d’une dizaine de kilomètres de diamètre frappe la Terre près de de ce qui deviendra le village mexicain de Chicxulub dans le Yucatan au Mexique. Cet évènement cosmique marque la fin du Crétacé (145 à 66 millions d'années) et, pense-t-on, cause la disparition des dinosaures. Toutefois, que se passa-t-il exactement ce jour là vers 16 heure 35, environ une heure après l'impact?

Nous l'ignorons dans le détail bien sûr, mais pas complètement depuis que Robert DePalma de l’université du Kansas, a découvert dans le Dakota du nord une invraisemblable capsule temporelle – le dépôt sédimentaire de Tanis –  qui a traversé le temps pour nous apporter un témoignage frais ce ce qui s'est passé vers 16 heure 35 dans la vallée encaissée d'un petit fleuve côtier dans la région de Hell creek, le «ruisseau de l'enfer»… Que s'est-il passé? Des poissons, des plantes, des coquillages ont brusquement été enterrés en masse sur la berge d'un méandre, apparemment par deux tsunamis successifs remontant la vallée!

Chicxulub, késako?

L'explosion due à la collision déchaîna l’équivalent de quelque 100 000 milliards de tonnes de TNT, soit plus de cent milliards de bombes d’Hiroshima… De fait, alors que l'avant du bolide entrait en contact avec le sol, son arrière se trouvait encore à plusieurs kilomètres d'altitude, mais avançait de 11 kilomètres par seconde… Quelles signatures géologiques reste-t-il de cet évènement?

Chez les géologues, Chicxulub désigne en fait le nom d'un cratère, celui de quelque 180 kilomètres de diamètre formé par le choc. Sous la forme d'une longue faille, sa signature géologique existe aujourd'hui encore sous les terres du Yucatan et sous les eaux peu profondes entourant cette péninsule dans le golfe du Mexique. Les traces géologiques laissées par cette catastrophe prennent aussi la forme d'une mince strate intercalaire, qui peut être observée sur nombre d'affleurements rocheux datant de la transition Crétacé-Paléogène, donc d'il y a 66 millions d'années environ. Les roches qui la contiennent se rencontrent partout sur la planète, notamment dans l'ouest américain et dans le sud de l'Europe. Située entre le Colorado et le Nouveau-Mexique, la cuvette de Raton en offre quelques exemples  typiques : on y observe une couche d'argile blanche d'environ un centimètres d'épaisseur prise en sandwich entre les strates strates paléogènes (au-dessus) et les strates crétacées (sous-jacentes). Cette mince strate intercalaire est saturée d'éléments toxiques, dont le plus notables est l'iridium, un éléments dont on a appris par ailleurs que les astéroïdes en sont riches.

L'impact de Chicxulub a eu lieu au sud du continent nord américain alors traversé par la mer intérieure américaine, à l'origine des Grandes Plaines. Le site de Tanis non loin de la rive nord occidentale de cette mer est pointé en rouge. (C: Chris Butler/PLS)

Cette couche s'explique par la chute des cendres créés par l'explosion due à l'impact. Quand l'astéroïde s'est désintégré, le matériau le constituant, mais surtout des fragments de croûte terrestre qui se trouvaient jusqu'à dix kilomètres sous terre une seconde avant le choc, ont en effet été brusquement projetés dans l'atmosphère. Poussé par les gaz produits par l'explosion, cet énorme panache de cendre et de fragment de quartz s'est élevé de plus en plus vite dans l'atmosphère, a d'abord atteint un diamètre de plusieurs centaines de kilomètres, puis enveloppé la Terre qui continuait sa rotation. Par ailleurs, l'impact a aussi instantanément fondu une masse considérable de croûte terrestre  et lancé vers le ciel de nombreuses gouttes de roche fondue, qui refroidissant au contact de l'air ont formé des projectiles vitreux retombant aussi à grande vitesse vers la Terre : des tectites. Puisqu'elle est tombée dans la mer, la météorite a aussi produit un monstrueux tsunami, qui s'est propagé à partir du point d'impact, se massant en vagues de centaines de mètres de haut quand la profondeur baissait. On a aussi estimé que l'impact de Chicxulub a déclenché un séisme de magnitude supérieure à 11, sans doute plus de 50 fois plus puissant que le séisme de Valdivia au Chili, le plus puissant connu…

Mais ces conséquences hydrodynamiques, volcaniques, de pollution et sismiques ne représentant pas le pire de ce qu'a subi la planète mère des dinosaures. Quand les particules constituant le panache projeté dans l'atmosphère et l'espace par l'explosion ont ensuite commencé à retomber sur la Terre à des vitesses variant suivant leur finesse et l'altitude atteinte entre 7000 et 40000 kilomètres par seconde, elles ont d'abord illuminé le ciel puis rapidement porté de vastes volumes de l'atmosphère à des centaines de degrés, ce qui a enflammé la végétation sur une énorme partie du globe. Wendy Wolbach et des collègues de l'université DePaul à Chicago ont analysé des échantillons de cette strate provenant de diverses régions du monde et découvert qu'elle contient de la suie, d'une composition typique des résidus charbonneux que produisent les feux de forêt. Un calcul d'estimation suggère que la couche mondiale riche en iridium a pu contenir 70 milliards de tonnes de résidus charbonneux. Wendy Wolbach et ses collègues ont découvert les cendres du Crétacé!

Cette simulation numérique restitue les zones d'embrasement maximum de la Terre suite à l'impact. Pour consumer entièrement les végétaux, il faut leur appliquer une puissance thermique de 12500 watts. Cette condition a été atteinte dans de vastes zones concentrées autours de l'impact et de ses antipodes, mais la végétation est aussi morte massivement hors de ces zones. (C: D. Kring et D. Dunbar/L. Grace)

La modélisation de l’impact suggère que 70 % des forêts du monde se sont consumées (À ce propos lire l'article Le jour où la Terre brûla, Pour la Science N°315). Non seulement la plupart des forêts du monde ont brûlé, mais la fumée a dû obscurcir le ciel pendant des mois, de sorte que le cycle végétatif des plantes restées intactes a été interrompu. Même à supposer que des dinosaures survécurent loin de l'impact, on comprend que la plupart de ces animaux placés tout en haut des chaînes alimentaires terrestres, n'aient pas pu attendre sans nourriture pendant des mois, alors que les insectes et les mammifères, plus petits et sans doute capables de se nourrir de cadavres, ont manifestement traversé la crise. Les dinosaures, eux, n'y sont manifestement pas parvenus, enfin presque tous, car les dinosaures ailés, les oiseaux, qui pêchaient ou se repaissaient aussi d'insectes et de cadavres vivent toujours sur la planète désormais dominée par une espèce primate. Manifestement!

Gigantesques, le choc, la pollution de l’atmosphère, l’incendie de forêt mondial et le méga volcanisme entrainés par la catastrophe firent disparaître de nombreux groupes d’animaux, dont les dinosaures qui dominaient pourtant les écosystèmes terrestres.

Des corps brisés de poissons mêlés à des restes végétaux à Tanis (C/ Robert DePalma, université du Kansas).

Or, à Tanis, le gisement paléontologique étudié par l’équipe de Robert DePalma, les effets immédiats de la catastrophe semblent avoir été figés dans l’heure qui l’a suivie. Ce site, qui se trouvait à plus de 3000 kilomètres du centre de l’impact consiste en effet en un pêle-mêle de sédiments, de plantes et d’animaux, qui, au premier examen, semble avoir été rejeté sur la rive d’un méandre par une brusque inondation. Cette vague, apparemment, remontait le cours d’un fleuve – le paléo fleuve Tanis –, qui, coulant vers l’est allait se jeter dans la mer intérieure nord-américaine, occupant alors les futures grandes plaines du continent nord-américain.

D’emblée, l’âge du dépôt a suggéré un événement de fossilisation rapide lié à l’impact de Chicxulub : pas moins de 40 datations argon-argon (40Ar/39Ar) conduisent à un âge moyen des sédiments de 65,76 ± 0,15 millions d’années, ce qui, en effet, correspond à l’extrême fin du Crétacé. En outre, les strates de Tanis sont coiffée par la même fine couche d’argile riche en iridium associée à la météorite de Chicxulub (riche en cet élément), que l’on retrouve partout sur la planète.

D’environ 1,3 mètres d’épaisseur, le dépôt mêle sans ordre de très nombreux fossiles fragiles, mais très bien conservés : «La masse comprend des plantes étonnantes, toutes intimement entrelacées ; il y a des entrelacs de bois comprenant des poissons pressés contre des fagots de racines de cyprès et des troncs d'arbres couverts de résine, explique Robert DePalma. Normalement, les fossiles finissent tous par être pressés à plat par la pression des roches, mais ils sont tous ici très bien conservés en trois dimensions. On distingue la peau, les nageoires dorsales prises dans les sédiments et nombre d’espèces inconnues.» Les bouches ouvertes des poissons d’eau douce fossilisés – des poissons-spatule et des esturgeons – et les signes de tétanie due à l’asphyxie que donnent leurs corps prouvent aussi que c’est bien le contenu d’un fleuve, qui a brusquement été rejeté en vrac sur une rive couverte de végétaux. En outre, la présence dans les sédiments d’ammonites et d’autres organismes marins manifestement apportés dans ce milieu terrestre par l’inondation, prouvent que le site se trouvait à seulement quelques kilomètres de l’embouchure de l’estuaire du paléo fleuve.

La structure du dépôt de Tanis (C: Robert DePalma, université du Kansas)

La structure chaotique des sédiments fait penser à une tsunamite, c’est-à-dire au genre de dépôt que produisent les tsunamis quand ils envahissent les terres. Robert DePalma a donc d’abord pensé avoir affaire au dépôt formé par le déferlement dans la vallée fluviale de la fin du monstrueux tsunami déclenché par la météorite. Il a toutefois vite réalisé que ce n’était pas possible : Pour parvenir à Tanis, le tsunami de Chicxulub a dû franchir d’abord quelque 1000 kilomètres au-dessus du profond golfe du Mexique, environ 2000 kilomètres au-dessus de la mer intérieure  peu profonde, puis remonter le fleuve ; faisant quelques hypothèses vraisemblables sur les profondeurs marines franchies (dont dépend la vitesse), les chercheurs ont estimé que la propagation du tsunami a duré au moins 18 heures.

Comment estimer le temps de propagation du tsunami de Chicxulub? 

Il suffit d'appliquer la loi de vitesse des ondes de gravité v = √(g.p), où g est l'accélération de la pesanteur et p la profondeur (pour simplifier, on prendra la valeur 10 mètres par seconde carrée). Tanis se trouve à quelque 3000 kilomètres de l'impact. Aujourd'hui, le golfe du Mexique a une profondeur moyenne de l'ordre de 1700 mètres. Admettons que la mer crétacée qui le précéda avait une profondeur moyenne de 1000 mètres (compte tenu des marges continentales ) sur et que les 2000 kilomètres de mer intérieure qu'a parcouru le tsunami ensuite, la profondeur ait été de 150 mètres en moyenne (cette mer était en voie de refermement). On obtient ainsi l'estimation suivant du temps de parcours T du tsunami, qui, bien entendu, dépend de nos hypothèses:

T =   [1000.10^3/√(10.1000) + 2000.10^3/√(10.150)]/3600] ≈  17h 

L'ordre de grandeur y est!

Or deux observations contredisent la possibilité qu’un unique tsunami a balayé Tanis autant de temps après l’impact, mais suggèrent plutôt que le dépôt s’est constitué dans les heures qui ont suivi l’impact, voire dans la première heure. La première est que les ouïes des poissons contenus dans la boue de Tanis sont saturées de petites billes de quartz choqué. On nomme ainsi, des cristaux de quartz dont les plans cristallins ont été rapprochés par le genre de pression qui n’existe sur Terre que lors d’un impact météoritique (plus de 2 gigapascals). Lors d’un impact, des « rideaux » de tels microéjectas sont envoyés vers la haute atmosphère. Les chercheurs ont montré que de nombreux quartz choqués éjectés sous des angles compris entre 30° et 60° ont atteint le sommet de leur trajectoire dans la haute atmosphère, et sont arrivés au-dessus de Tanis entre 13 et 25 minutes après l’impact, après quoi, ils ont commencé à pleuvoir en masse sur le fleuve. Les esturgeons et les poissons-spatules ont alors aspiré les sphérules de quartz avant que l’inondation ne les jette sur la rive (voir ci-dessous).

En haut, les nombreuses sphérules de quartz choqué retrouvées dans les sédiments et dans les ouïes des poissons. En bas, un exemple de cratère creusé dans les strates de dépôt toutes fraiches par la chute d'une sphérule (indiquée par la flèche). (C: Robert DePalma, université du Kansas)

La deuxième observation prouvant la constitution des strates de Tanis juste après l’impact est qu’elles ont constellées de tectites, des projectiles de verre aux formes arrondies produit par l’éjection puis par la solidification en vol des roches fondues par l’impact (voir ci-dessus). Ainsi, alors que les strates de Tanis étaient en train de se former, elles ont été bombardées par les tectites de Chicxulub !

Et puis, le profil granulométrique (voir plus haut) prouve aussi que le dépôt est constitué de deux strates superposées, manifestement déposées l’une après l’autre, donc par deux vagues successives. Dès lors, comment se sont-elles formées ? Les chercheurs estiment qu’étant donné les dépôts qu’elles ont créés, elles devaient mesurer environ 10 mètres de haut. Le plus vraisemblable selon eux est qu’il s’agit de vagues engendrées par les oscillations induites dans un bassin attenant au fleuve Tanis par les ondes sismiques due à l’impact.

De magnitude supérieure à 11, le séisme de Chicxulub (l’énergie du séisme de Valdivia au Chili, le plus puissant connu, fut 50 fois moindre) a fait défiler à Tanis des ondes sismiques primaires (acoustiques) seulement six minutes après l’impact, puis quatre minutes plus tard des ondes sismiques secondaires (de cisaillement) et finalement trois minutes plus tard des ondes sismiques de Rayleigh (de surface), lesquelles ont dû mettre en oscillation les eaux de l’estuaire, voire de la mer intérieure. Les vagues qui ont alors remonté le fleuve Tanis peuvent toutefois avoir aussi été créées par un glissement de terrain sous-marin déclenché par les mêmes ondes dans la mer intérieure.

Quoi qu’il en soit, c’est bien de la première heure, ou du moins des premières heures après l’impact dont témoigne Tanis. Pour la vie, les effets hydrodynamiques de l’impact furent toutefois peu de chose comparés à ceux de l’incendie mondial ou de la longue nuit due à la pollution atmosphérique entraînés par l’explosion, dont j'expliquais la genèse plus haut. Étant donné l’abondance de charbon de bois, de bois calciné et d'ambre découvert à Tanis, Robert DePalma estime qu’au moment où les vagues ont déferlé, la forêt environnante était déjà en feu.

Malgré le caractère mondial et éminemment dévastateur de la catastrophe cosmique de Chicxulub, certains géologues attribuent plutôt leur extinction aux effets sur les écosystèmes crétacés du volcanisme massif à l’origine du plateau basaltique du Deccan en Inde, et avancent que les dinosaures avaient déjà disparu avant l’impact.

Tanis apporte des preuves du contraire : dans l’appendice de son premier article sur Tanis, Robert DePalma évoque en effet la découverte de l’os iliaque d’un cératopsidé, un dinosaure herbivore dont la carcasse démembrée semble avoir été transportée par les eaux ; il a en outre confié au premier journaliste jamais invité sur le site – Douglas Preston du journal The New Yorker – avoir trouvé une plume de dinosaure présumée et « des dents, des os cassés et des restes d'éclosion de presque tous les groupes de dinosaures connus à Hell Creek, ainsi que des restes de ptérosaure». Pour le moment, ces découvertes ne sont pas publiées, mais elles nous préciseront la date,et certainement que l'heure de la mort en masse des dinosaures est 16 heure 35.

Affaire à suivre.

 


Un commentaire pour “Vers 16 heure 35 le jour de la mort des dinosaures…”

  1. Desman Répondre | Permalink

    Quelle magnifique découverte ! Des dépôts aussi riches et contemporains de la chute de la météorite ça paraissait impossible.

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