Astérix, Thor, Hermès… et les insectes à six ailes

26.09.2014 | par Loïc Mangin | Articles & Billets

Si je vous dis : « casque » et « ailes » ? À supposer que vous soyez normalement constitués, votre premier réflexe est de répondre : « Gaulois » et « Astérix ! ». Ce n’est pas faux. Le héros de Uderzo et de Goscinny, ainsi que tous ses irréductibles comparses, porte bel et bien un casque ailé.

Astérix et son magnifique casque ailé

Astérix et son magnifique casque ailé

Le dessinateur se serait inspiré de l’illustration des paquets de cigarettes de la marque Gauloises.

Fumer nuit gravement à la santé

Fumer nuit gravement à la santé

Pour autant, cet ornement n’a aucune justification archéologique. Cette erreur résulterait d’une mauvaise interprétation : au xixe siècle, les archéologues ont confondu les cache-joues des casques (fragmentés) avec des ailes décoratives. Cigarettes et bandes dessinées ont pérennisé l’image.

Néanmoins, on trouve bien dans l’antiquité des exemples de casques ailés, le plus souvent d’apparat.

Un casque ailé en bronze, du classique tardif, en Grèce, du IVe siècle avant notre ère. © Christie’s

Un casque ailé en bronze, du classique tardif, en Grèce, du IVe siècle avant notre ère. © Christie’s

De l’Antiquité à la mythologie, il n’y a qu’un pas, et plusieurs dieux sont souvent eux aussi affublés de couvre-chef avec des rémiges (les plumes des ailes). Ainsi en est-il d’Hermès…

Le dieu Hermès et son casque ailé. © Louvre

Le dieu Hermès et son casque ailé. © Louvre

…ou plus au Nord, de Thor

La version Marvel du dieu nordique Thor.

La version Marvel du dieu nordique Thor.

Par Toutatis, le Best of Bestioles serait devenu un Best of Babioles ? Non, non, rassurez-vous, les bestioles arrivent. Et celles qui vont nous occuper ont aussi à voir avec les casques et les ailes. Quand nous en aurons fini avec elles, nous reviendrons sur les Gaulois. Tout se tient, vous verrez ! Les créatures du jour sont des membracides, des cousins des cigales (la famille des hémiptères). On trouve ces insectes suceurs de sèves surtout en Amérique du Sud, mais aussi sur les autres continents. On connaît ainsi quatre espèces européennes.

À propos d’insectes, une autre question : combien d’ailes a une coccinelle ? Quatre ! Deux sont effectivement utilisées pour le vol et deux autres sont transformées en élytres rigides qui protègent les deux premières lorsqu’elles sont repliées. C’est la coque rouge à points noirs. En cela, la coccinelle est conforme au plan général d’organisation des insectes : trois parties (tête, thorax et abdomen), deux antennes, six pattes et deux paires d’ailes au plus, parfois modifiées (par exemple en balanciers chez les mouches), voire éliminées (chez les puces et les poux). On imaginait ce schéma incontournable. Ce n’est pas le cas.

En 2011, Nicolas Gompel et Benjamin Prud’homme, de l’Institut de biologie du développement de Marseille-Luminy ont montré, avec leurs collègues, que les membracides ont trois paires d’ailes ! Les appendices supplémentaires sont notablement transformés et constituent des casques aux rôles variés et aux formes exubérantes. J’avais promis dans une photo du Best of Bestioles un port folio des membracides, c’est le moment. Je vous retrouve après une longue série de photos spectaculaires.

Ceresa taurina

Ceresa taurina

Cladonota benitezi

Cladonota benitezi

Guayaquila xiphias

Guayaquila xiphias

Membracis foliata

Membracis foliata

Cymbomorpha

Cymbomorpha

Cladonota inflatus

Cladonota inflatus

Heteronotus trinodosus

Heteronotus trinodosus

Umbelligerus

Umbelligerus

Umbonia crassicornis

Umbonia crassicornis

Gigantorhabdus

Gigantorhabdus

Bocydium

Bocydium

Hemikyptha marginata

Hemikyptha marginata

Heteronotus

Heteronotus

Sphongophorus Cladonota ballista

Sphongophorus Cladonota ballista

Cyphonia trifida

Cyphonia trifida

Un membracide

Un membracide

Un membracide

Un membracide

Heteroncelus maculatus

Heteroncelus maculatus

Membracis dorsata

Membracis dorsata

Enchenopa

Enchenopa

Alchisme grossa

Alchisme grossa

Ouf, voilà ! Jolies bestioles, non ? Et je rappelle qu'elles sont toutes de la même famille...

Les casques des membracides évoquent, selon les espèces, des feuilles mortes, des épines, des déjections d’oiseaux, des fourmis en posture d’attaque, des guêpes... À cette diversité morphologique correspondent autant de rôles possibles : intimidation des prédateurs, camouflage, etc. Mais quelle est l’origine évolutive de cette structure ?

En se fondant sur l’exemple des scarabées rhinocéros, les entomologistes voyaient dans le casque une excroissance du pronotum, le premier segment du thorax.

Oryctes nasicornis

Oryctes nasicornis

Cependant, un examen minutieux a révélé qu’il est relié au corps par des articulations complexes (un assemblage de cuticule flexible et rigide), une de chaque côté de l’animal. Or ce type de configuration est semblable à celle qui relie les ailes aux deuxième et troisième segments du thorax. Le casque serait donc une troisième paire d’ailes : une innovation évolutive inédite !

Des analyses du développement des nymphes ont montré que le casque croît à partir de deux ébauches latérales qui se rejoignent ensuite et fusionnent au-dessus du dos. Des détails anatomiques, tel un réseau de veines (comparable à celui que l’on distingue sur une aile de mouche) couvrant l’ensemble font du casque l’homologue des ailes.

Cette homologie se retrouve dans le programme génétique qui préside à la formation des ailes et du casque. En effet, les biologistes ont mis en évidence dans le développement du casque plusieurs gènes, tel Nubin, Distal-less et Homothorax, connus pour participer spécifiquement au développement de l’aile.

Au cours de l’évolution, la répression du développement des ailes par le gène Src a été modifiée. Inexistante au départ (1 et 2, tous les segments sont dotés d’appendices), elle a ensuite conduit aux insectes actuels chez qui elle s’exerce partout sauf dans les deuxième (T2) et troisième (T3) segments du thorax (3), qui portent chacun une paire d’aile. Cette inhibition a disparu du premier segment (T1) chez les membracides (4). © N. Gompel et al.

Au cours de l’évolution, la répression du développement des ailes par le gène Src a été modifiée. Inexistante au départ (1 et 2, tous les segments sont dotés d’appendices), elle a ensuite conduit aux insectes actuels chez qui elle s’exerce partout sauf dans les deuxième (T2) et troisième (T3) segments du thorax (3), qui portent chacun une paire d’aile. Cette inhibition a disparu du premier segment (T1) chez les membracides (4). © N. Gompel et al.

Ces résultats génétiques et anatomiques font bien du casque une troisième paire d’aile. Pour expliquer cette modification du plan général des insectes, on doit remonter à l’origine de ces animaux. Selon les archives fossiles, les premiers insectes, datés de 350 millions d’années, avaient des ailes ou des appendices apparentés sur tous leurs segments. Puis, ces organes ont été restreints aux seuls deuxième et troisième segments du thorax. Cette évolution résulte de l’activité de gènes dits Hox qui répriment la formation d’ailes dans tous les segments exceptés deux. En particulier, le gène Src empêche le développement des ailes dans le premier segment du thorax. Chez les membracides, cette inhibition ne fonctionnerait plus (le gène Src est actif, mais les gènes en aval n’y seraient plus sensibles) et aurait autorisé le développement du casque, il y a 40 millions d’années. Non assujetti au vol (les autres ailes y pourvoient), il a été « libre » d’évoluer sans contrainte, ce qui explique l’exubérance des casques observés aujourd’hui.

Précisons que l’hypothèse de N. Gompel et B. Prud’homme a été remise en cause partiellement (seule l’analyse morphologique est contestée) en 2012 par István Mikó, de l’Université de Caroline du Nord, à Raleigh, et ses collègues. Pour l’heure, rien n’est tranché, mais l’idée d’une troisième paire d’ailes est séduisante (et puis sinon qu’aurais-je pu raconter ici ?).

Pour finir, un dernier membracide.

Cladonota apicalis

Cladonota apicalis

Cette fois, le casque ailé de l’insecte est bel et bien semblable à celui des Gaulois, et en particulier à l’un de ceux mis au jour en 2004, à Tintignac, en Corrèze.

Un des casques de Tintignac. © P. Ernaux/ INRAP

Un des casques de Tintignac. © P. Ernaux/ INRAP

Par Odin, par Zeus et par Belesima, on attend avec impatience la découverte du membracide correspondant à cet autre casque de Tintignac !

Un casque à anneaux © C. Pironnet/INRAP

Un casque à anneaux © C. Pironnet/INRAP

 

Pour en savoir plus :


3 commentaires pour “Astérix, Thor, Hermès… et les insectes à six ailes”

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