Ca crache, ça clash, c’est cash !

17.09.2014 | par Loïc Mangin | Articles & Billets

C’est le retour du Best of Bestioles, après quelques semaines d’absence imputables aux vacances (super, merci !) et à un Dossier à boucler. Et pour fêter ça, rien de tel qu’un bon crachat !!!

Oui, je profite de la parution d’un article sur ce comportement de malotru chez un poisson pour vous proposer quelques exemples venus d’ailleurs. Préparez vos mouchoirs. Et comme d’habitude, je vais garder le meilleur et le moins ragoûtant pour la fin… patience en attendant.

D’abord, à tout seigneur tout honneur, quand on associe animal et crachat, le premier cas qui vient à l’esprit est le lama. En cause, cet incontournable épisode de Tintin dans l'album Le Temple du Soleil, où le Capitaine Haddock se fait copieusement doucher.

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« Quand lama fâché, lui toujours faire ainsi. »

Est-ce vrai ? Oui, les lamas, de la famille des camélidés (ils sont des cousins sud-américains des chameaux et des dromadaires) ont bien l’habitude de cracher, mais le plus souvent, sur leurs congénères. En général, on peut le prévoir. D’abord, un lama fâché rabat ses oreilles en arrière. Puis, il émet des claquements produits par sa langue. Or, ces mouvements génèrent de la salive qu’il faut bien évacuer ! Alors, en fin de compte, la bestiole crache l’excédent. Si cela ne suffit pas à décourager l’inopportun, un deuxième crachat constitue l’arme atomique : c’est une vomissure de jus de rumen verdâtre, le rumen étant l’un des estomacs de ces ruminants.

Les humains, et même les enfants, sont parfois victimes de la mauvaise humeur des lamas.

Un autre exemple connu est celui du cobra cracheur, ou plutôt des cobras cracheurs, car on compte plusieurs espèces (sur tout le continent africain et en Asie du Sud-Est) capables de projeter du venin à la face d’un ennemi. La plupart sont du genre Naja.

© Mike Perry

© Mike Perry

En 2009, Bruce Young, de l'Université du Massachusetts à Lowell, aux États-Unis, et ses collègues avaient étudié cette arme d’une redoutable efficacité. Ils voulaient notamment savoir pourquoi le reptile manque si rarement sa cible.

Un peu d’anatomie pour commencer. Les jets des cobras résultent de contractions musculaires qui écartent des tissus devant les orifices des crochets, puis appuient sur les glandes à venin qui expulsent alors leur contenu, lequel peut atteindre jusqu’à deux mètres de distance. De plus, le serpent contracte ses muscles de façon à agiter sa tête selon un mouvement circulaire. De la sorte, le jet de venin balaie une large portion d'espace. Qui plus est, le venin n'est pas expulsé sous la forme d'un jet continu ou d'un aérosol, mais plutôt en deux séries parallèles de petites gouttelettes ovales, un autre moyen d'étendre encore la surface couverte par le liquide !

Venons-en maintenant au poisson dont je parlais au début. Il s’agit du poisson archer Toxotes jaculatrix (plusieurs membres du genre Toxotes crachent également) que l’on trouve en Asie du Sud (de l’Inde jusqu’à Sumatra) et en Australie. Là où il étonne, c’est qu’il se nourrit d’insectes terrestres qui ont la malencontreuse idée de faire une pause, sur une brindille ou une feuille, au-dessus de l’eau où nage le poisson archer. Celui-ci va alors faire tomber l’arthropode dans l’eau grâce à un jet très précis d’eau qui va le déstabiliser.

Le poisson archer vise sa proie en crachant un jet d’eau. © Ingo Rischawy.

Le poisson archer vise sa proie en crachant un jet d’eau. © Ingo Rischawy.

Toxotes jaculatrix, en Indonésie, fait chuter un insecte dans l’eau. © A. & J. Visage, Alamy.

Toxotes jaculatrix, en Indonésie, fait chuter un insecte dans l’eau. © A. & J. Visage, Alamy.

Le jet d’eau, qui peut atteindre 50 centimètres de hauteur voire trois mètres selon certains auteurs, est envoyé via un tube constitué un d’un sillon creusé dans le palais du poisson et du bord de la langue. L’eau est propulsée par la brusque fermeture des ouïes. Le mieux est de le voir en action.

Fait remarquable, En 2006, Stefan Schuster, alors l’Université d’Erlangen, en Allemagne, et ses collègues ont montré que les poissons archers apprennent à viser en observant des membres de leur groupe tirer (ils vivent en petits bancs, notamment lorsqu’ils sont jeunes), sans avoir à eux-mêmes pratiquer. On en déduit que les poissons en apprentissage peuvent « changer leur point de vue » pour parfaire leur tir.

Plus récemment, S. Schuster, désormais à l’Université de Bayreuth, toujours en Allemagne, a précisé ses travaux et a montré que Toxotes jaculatrix pouvait moduler son jet de façon à en modifier les propriétés hydrodynamiques. Plus précisément, en variant le diamètre du tube par où est éjectée l’eau, le poisson fait en sorte qu’une grosse goutte d’eau se forme juste avant l’impact avec la proie afin de maximiser les chances de chute. Le ralenti est explicite.

Et maintenant, pour finir… le ver de velours (en anglais, velvet worm) du genre Onychophora. Quelle étrange bestiole ! D’une quinzaine de centimètres de longueur, on les trouve dans les régions tropicales de l’hémisphère Sud. En voici un qui, à première vue, ne semble guère particulier.

© G. Gallice

© G. Gallice

Approchons nous de sa bouche. Elle est équipée de deux paires de crochets très acérés fort utiles pour se nourrir.

Les crochets d’un ver de velours (on en distingue quatre, en marron, qui brillent). © P. Naskrecki

Les crochets d’un ver de velours (on en distingue quatre, en marron, qui brillent). © P. Naskrecki

D’un point de vue évolutif, ce sont des membres qui ont évolué en crochets : en d’autres termes, les vers de velours mangent avec leurs pieds ! Aussi invraisemblable qu’il paraisse, ce phénomène de récupération anatomique n’est pas isolé. Ainsi, les trois petits osselets de l’oreille moyenne des mammifères étaient dans un lointain passé des os de la mâchoire.

Et de quoi est constitué l’ordinaire de ces vers ? De petits arthropodes, notamment des insectes, qu’ils capturent en… crachant (ça reste bien le thème de ce billet) un liquide visqueux sous la forme de longs filaments jusqu’à plus de 20 centimètres de distance. Et c’est spectaculaire !

La proie est alors immobilisée un peu comme les méchants pris dans les rets de Spiderman. La suite diffère un peu… Le chasseur se rapproche et plante ses crochets dans la victime, la musculature sollicitée étant suffisamment puissante pour venir à bout de la cuticule. Reste ensuite à injecter une salive qui va digérer les organes internes et à aspirer la mixture produite. Rien ne se perd, le ver ingère aussi son mucus.

Pour en savoir plus :


4 commentaires pour “Ca crache, ça clash, c’est cash !”

  1. patricedusud Répondre | Permalink

    Merci pour ce billet. On ne crache pas dessus ces merveilles d'habileté que nous propose la nature 🙂

  2. Bruno Répondre | Permalink

    passionnant,

    les cobras cracheurs se retrouvent sur certaines fresques égyptiennes avec un "rayon" aveuglant. Ils seraient à la base de certaines légendes du Moyen Age, où des serpents aveuglants (jets de venin) sont présents. La légende du basilic (cf. Harry Potter, T.2) y trouve également son origine

  3. Berger Jean-Claude Répondre | Permalink

    C'est le cobra qui m'a le plus impressionné ! quelle technique ... peu de proies doivent lui échapper ! Merci à ceux qui ont relié l'article à l'histoire, peu de crachats passent à la postérité finalement !

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