Marathon du sexe pour couple brésilien inversé
Branle-bas de combat dans le Landernau de la sexualité. On connaissait l’exubérance des modes de reproduction dans le règne animal, et le Bob s’en est fait souvent l’écho, mais là, mais alors là… c’est selon l’expression consacrée « un paradigme qui s’effondre » ! Lequel ? Rien de moins que celui qui stipule que le pénis est un attribut masculin et le vagin un organe féminin ! La bestiole du jour bouscule cette idée, qui devient alors une « idée reçue fausse ».
L’animal en question est un insecte qui ressemble à une mouche de trois millimètres de longueur. Découvert en 2010 dans une grotte au Brésil par Rodrigo Ferreira, de l’Université de Lavras, il a été décrit par l’entomologiste Charles Lienhard, du Muséum d’histoire naturelle de Genève, en Suisse, qui n’a pas manqué d’observer d’étranges organes reproducteurs : il a fallu créer un nouveau genre (l’expression est de bon aloi, nous le verrons), en l’occurrence Neotroglia.
Les mœurs sexuelles de quatre espèces de Neotroglia (N. curvata, N. truncata, N. aurora et N. brasiliensis) ont été récemment étudiées par Kazunori Yoshizawa, de l’Université d’Hokkaido, à Sapporo, au Japon, et ses collègues. Voici la bête, en plein accouplement.
L’individu sur le dessus est la femelle et le mâle est en dessous. Lorsque l’heure des amours est venue, la première introduit dans le mâle un organe, nommé gynosome et qui correspond à un pénis. Admirez l’organe en question.
Le mâle est doté d’un orifice reproducteur (le phallosome) équivalent à un vagin. Et là, c’est parti pour un marathon du sexe, l’accouplement pouvant durer jusqu’à 70 heures ! Lors du rapport, le gynosome se plie et même gonfle (c’est bien un pénis !), solidarisant les deux partenaires ! Des épines renforcent l’adhésion du mâle parfois peu enclin à la chose. Un expérimentateur ayant essayé de séparer les deux tourtereaux n’a pu que… découper le mâle en deux sans parvenir à séparer les organes sexuels.
D’un point de vue anatomique…

Les parties du gynosome sont ainsi colorées (la partie mâle est en gris) : une partie terminale rigide (en bleu clair), une partie basale (en orange), une région membraneuse avec un lobe dorsal (en jaune) ainsi que les zones hérissées d’épines (en violet, en vert et en rouge). Parmi les différents composants de ces appareils reproducteurs, certains éléments sont notables : le conduit mâle par où les spermatozoïdes arrivent (seminal duct) et celui par où ils pénètrent dans la femelle (spermatecal duct). © K. Yoshizawa et al./Current Biology
Comment être sûr que ce n’est pas le mâle qui est pourvu du gynosome ? Les sexes ne sont pas déterminés par les organes, mais par les cellules sexuelles, c’est-à-dire les gamètes, (spermatozoïdes et ovules) qui font foi.
L’inversion des rôles va plus loin. Dans les grottes sèches pauvres en ressources alimentaires (excréments et rares cadavres de chauves-souris), ce sont les femelles qui se battent pour les mâles. De fait, lors du transfert des spermatozoïdes vers la femelle (sous la forme d’une capsule de la taille d’une goutte d’eau) via le gynosome, le mâle fournirait également des nutriments qui profiteront à la future mère. De fait, K. Yoshizawa a observé des femelles trop jeunes pour se reproduire et néanmoins accepter la « capsule de sperme ».
Ces dons bénéfiques pour les femelles et coûteux en énergie pour les mâles ont rendu ces derniers très sélectifs lors du choix d’une partenaire. Ce serait même, à en croire les biologistes, ce caractère qui aurait conduit à l’inversion des organes reproducteurs chez l’insecte Neotroglia.
Ce scénario de l’évolution (celui qui donne excite les convoitises, se fait difficile et déclenche en retour des stratégies pour mieux en profiter) a le plus souvent conféré aux femelles le statut de donneur et aux mâles celui de convoiteur, sauf chez Neotroglia. Des études ultérieures sur ces insectes apporteront sans doute des informations sur la sélection sexuelle et l’évolution des organes génitaux.
Élargissons un peu le sujet, et voyons ce qu’il en est de la confusion des sexes chez d’autres espèces. Chez les hyènes tachetées (Crocuta crocuta) femelles, on observe des pseudo-pénis qui résultent de l’hypertrophie du clitoris, une croissance dépendante des hormones. L’organe, érectile, ressemble à s’y méprendre au pénis mâle, car il est quasiment aussi long et a le même diamètre.
Plus encore, à la base de ce pseudo-pénis, la femelle est pourvue de deux protubérances riches en graisses et en tissus conjonctifs qui, ensemble, constituent une sorte de pseudo-scrotum. En apparence, il se distingue du scrotum mâle par une pilosité plus développée.
Autre cas d’inversion par rapport à une prétendue « normalité », chez les antilopes Topi (Damaliscus korrigum), selon les conditions démographiques, ce sont les femelles qui se battent et font preuve d’agressivité pour conquérir le cœur des mâles.
La conclusion : aucun ordre naturel n'existe ! Tout est diversité, diversité et diversité.
Pour en savoir plus :
- K. Yoshizawa et al., Female penis, male vagina, and their correlated evolution in a cave insect, in Current Biology, prépublication en ligne, 17 avril 2014.
- C. Lienhard et al., A new genus of Sensitibillini from Brazilian caves (Psocodea : « Psocoptera » : Prionoglarididae), in Rev. Suisse Zool., vol. 117, pp. 611–635, 2010.
- J. Bro-Jørgensen, Reversed sexual conflict in a promiscuous antelope, in Current Biology, vol. 17, pp. 2157–2161, 2007.
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