L’écureuil vampire, un dévoreur de cœurs

Après le dauphin et l’escargot, je m’attaque à nouveau à la bonne réputation – que je trouve usurpée – d’une bestiole. Non, ce n’est pas encore l’heure du chaton ou du poney ! Aujourd’hui, c’est la popularité de l’écureuil qui va être démontée. Oui, l’écureuil si adorable et mignon sur un calendrier de feu les PTT…

…ou d’autres

Et bien la bestiole du jour ne correspond pas du tout à cette image d’Épinal. Il s’agit de Rheithrosciurus macrotis. L’animal hante les forêts de Bornéo, mais il s’y fait très rare au point qu’il figure sur la liste des espèces vulnérables de l’UICN. Il est remarquable à plus d’un titre. D’abord, ses plus proches cousins ne sont pas des écureuils du Sud-Est asiatique, mais ceux d’Amérique du Sud. Deux éléments anatomiques en font foi : ses incisives et son... os pénien. Rheithrosciurus macrotis aurait colonisé Bornéo il y a 36 millions d’années.

Ensuite, l’écureuil en question détient un record, et non des moindres : il aurait la queue la plus volumineuse par rapport au corps de tout le règne animal. C’est la conclusion à laquelle sont arrivés Erik et Emily Meijaard, ainsi que Ronna Davis (leur fille) à partir de photographies et d’enregistrements vidéos réalisés par des appareils à déclenchement automatique dissimulés dans la forêt. Dans leur étude publiée en juin 2014, ils calculent que le volume de la queue correspond à 130 pour cent de celui du corps ! Sachant que le rongeur est déjà bien plus gros (environ 30 pour cent) que la moyenne des écureuils à travers le monde…

© D. Augeri

© R. Dennis

© R. Dennis

Le rôle d’un tel accessoire ébouriffant et touffu à l’extrême est inconnu, mais l’on suppose qu’il effraierait d’éventuels prédateurs tels le léopard tacheté de Bornéo Neofelis diardi, aussi nommé chat diard et panthère nébuleuse de Bornéo.

Un léopard tacheté de Bornéo Neofelis diardi

Reste une particularité, celle qui va faire que vous ne regarderez plus jamais un écureuil comme avant : le goût prononcé qu’aurait Rheithrosciurus macrotis pour le sang et les viscères ! En effet, les populations locales rapportent un étrange comportement qui aurait été observé dans la province du Kalimantan central, une province de l’île de Bornéo. L’écureuil attendrait, tapi sur une branche basse, que passe un muntjac Muntiacus muntjak, un petit cervidé du Sud-Est asiatique...

Un muntjac Muntiacus muntjak. © Subramanya C. K.

…puis il bondirait sur son dos, viserait la jugulaire qu’il trancherait de ces incisives coupantes comme des rasoirs. Une fois l’herbivore mort, l’écureuil s’attaquerait alors aux viscères de sa proie et dévorerait le foie, le cœur et le contenu de son estomac, délaissant le reste de la chair de l’infortuné.

Dans certains villages on raconte l’attaque similaire de poulets. Là encore, seuls le foie, le cœur et l’estomac intéressent l’écureuil. Les auteurs de l’étude ont du mal à croire ces témoignages, mais ils laissent la porte ouverte au doute, en attendant des preuves tangibles tant Rheithrosciurus macrotis les a étonnés. À quand l’enregistrement vidéo de l’attaque d’un écureuil vampire ?

De plus, on sait que l’écureuil géant Ratufa affinis, que l'on trouve en Indonésie, en Malaisie, à Singapour, en Thaïlande et à Bornéo, chasse les oiseaux.

Un écureuil géant Ratufa affinis.

Qui plus est, une légende locale longtemps attribuée à l’imagination fertile des populations a bel et bien été vérifiée par l’observation. Elle concerne le petit chevrotain du genre Tragulus.

Un Tragulus javanicus. © Dcoetzee

L’animal est le héros du cycle malais de Sang Kancil, une série de fables dans lesquelles le chevrotain, malicieux et rusé, berne de nombreux animaux plus puissants.

À Bornéo, des chasseurs prétendaient en avoir vu des spécimens se cacher sous l’eau pour échapper aux chiens. Des cerfs sous l’eau ? N’importe quoi ! Et pourtant, en 2010, Erik Meijaard a pu constater par lui-même que c’est en effet le cas. Un individu a passé plus de 60 minutes à se cacher sous la surface d’une mare.

Un chevrotain Tragulus sous l’eau. © G. de Silva Wijeyeratne

Est-ce si étonnant ? Pas autant qu’on peut l’imaginer, car en 2007, l’équipe de Hans Thewissen, de l’Université de l’Ohio, a publié l’étude d’un fossile vieux de 48 millions d’années, celui de Indohyus. Au premier abord, c’est un ruminant qui ressemble à un petit cerf, mais il est également doté de caractéristiques morphologiques qui pourraient en faire un ancêtre des baleines.

Indohyus. © C. Buell

Puisqu’un cerf adepte de l’apnée existe à Bornéo, pourquoi pas un écureuil vampire ? De toute façon, c’est bien connu que les noisettes ne nourrissent pas assez… et qu’il vaut mieux manger de la viande !

Pour en savoir plus :

• E. M. Meijaard et al., Tall Tales of a Tropical Squirrel, in Taprobanica, vol. 06, n° 01, pp. 27-31, juin 2014.
• E. Meijaard et al., Aquatic escape behaviour in mouse-deer provides insight into tragulid evolution, in Mammalian Biology, vol. 75, pp. 471-473, 2010.
• H. Thewissen et al., Whales originated from aquatic artiodactyls in the Eocene epoch of India, in Nature, vol. 450, pp. 1190-1195, 2007.