Les hippopotames de Pablo Escobar
Une petite histoire rigolote, et néanmoins inquiétante, avant ce long week end. Si je vous dis « espèces invasives », à quelles bestioles pensez-vous ? La liste est longue, très longue, mais parmi les plus connues on peut citer le frelon asiatique, les tortues de Floride, le lapin (en Australie), la perche du Nil (dans le Lac Victoria)… S’il est bien une espèce que l’on a du mal à qualifier d’invasive, c’est peut-être bien l’hippopotame ! Pourtant, c’est bien le cas, en Colombie, et le responsable n’est autre que Pablo Escobar, le célèbre baron de la drogue !
Pour rappel, Pablo Emilio Escobar Gaviria (1949-1993), à la tête du cartel de Medellín, fit fortune grâce au trafic de cocaïne à la fin du xxe siècle. Au faîte de sa puissance (en 1989, il fut quand même classé septième homme le plus riche du monde d'après le magazine Forbes, avec une fortune estimée à trois milliards de dollars), il se lança dans une carrière politique. En 1982, il est élu à la Chambre des Représentants au Congrès Colombien. Le trafiquant était très populaire auprès de la population pauvre de Medellín grâce notamment à la redistribution de ses narcodollars via la construction de logements, de routes, d’hôpitaux. Néanmoins, recherché par les polices de plusieurs États et plusieurs tueurs à gages alléchés par la prime de plusieurs millions de dollars offerte par les États-Unis, il a été tué le 2 décembre 1993.
Dans les années 1980, Escobar fit l’acquisition de l'Hacienda Nápoles, une immense propriété à Puerto Triunfo, à 320 kilomètres au Nord Ouest de Bogotá. Sur une surface de 20 kilomètres carrés, on y trouve un aéroport privé (indispensable au trafic), un circuit de karting et un zoo complet !
S’y ébattaient des girafes, des bisons, des zèbres, des autruches, des éléphants, des poneys, des antilopes rares, des oiseaux exotiques et… des hippopotames ! À la fin des années 1980, quatre spécimens furent achetés à la Nouvelle-Orléans.
Après la chute d’Escobar, la propriété fut acquise par le gouvernement, mais le coût de l'entretien du zoo était trop élevé et l’on décida de se séparer de la plupart des animaux de la ménagerie. Ils furent donnés à des zoos colombiens et internationaux. Mais ce ne fut pas le cas de tous !
Les hippopotames, jugés trop difficiles à capturer, ont été laissés libres sur le domaine en friche. Plus de 20 ans plus tard, en 2007, les animaux se sont multipliés à 16 (soit plus de 60 individus) et se sont lancés à la conquête du territoire, notamment le bassin de la rivière Magdalena, celle chantée par Gabriel Garcia Marquez dans L’Amour au temps du choléra et Le général dans son labyrinthe.
En 2009, deux adultes et un jeune se sont échappés du troupeau et se sont attaqués à des fermiers et au bétail. L’un des adultes, nommé Pepe, a été tué par des chasseurs. L’essor de l’espèce, devenue invasive et sans prédateur local, continue : les descendants des quatre spécimens initiaux ont colonisé au moins quatre lacs de la région et se diffusent dans les rivières voisines. Début de 2014, on comptait encore 40 hippopotames dans la région de Puerto Triunfo issus. Les populations locales de loutres et de lamantins en pâtiraient.
Les pêcheurs locaux, exaspérés par cette présence pour le moins incongrue, en appellent aux autorités pour une régulation de la population, voire son éradication. Précisons que les craintes des Colombiens sont fondées. En effet, les hippopotames sont réputés être parmi les animaux les plus dangereux d'Afrique : ils tueraient plus d’humains qu’aucun autre mammifère ! Une telle réputation s’accorde bien avec les méfaits de Pablo Escobar. Il aurait dû prendre l’hippopotame comme emblème !
Peut-on imaginer l'hippopotame envahir l'Europe ? En fait, ça a déjà été le cas ! L'hipppopotame européen (Hippopotamus antiquus) a vécu sur ce continent (de la péninsule Ibérique aux îles Britanniques et à la Grèce) jusqu’à la fin du Pléistocène, il y a 12 000 ans. Il était plus gros que l'hippopotame actuel.
On trouvait également une espèce naine en Crête (Hippopotamus creutzburgi), une autre à Chypre (Hippopotamus minor)… En fin de compte, les hippopotames, comme la cocaïne, ont conquis le monde !