Pas besoin d’un tiers de confiance !

Pour illustrer l'intérêt de la programmation par la blockchain (voir le billet précédent ), voici un remarquable exemple de protocole qui résout un délicat problème que nous avons tous rencontré.

Le commerce entre particuliers sur internet est freiné par l'impossibilité d'établir une relation de confiance avec un inconnu. Vous mettez en vente un magnifique vase, vous trouvez un acheteur, vous lui envoyez l'objet... et il ne vous paye jamais. Autre possibilité, il vous envoie l'argent et vous gardez le vase !

Le problème est grave car dans un tel échange — même si c'est malhonnête — il est économiquement rationnel à celui qui reçoit l'envoi de son correspondant de ne pas envoyer ce qu'il a promis en échange. Chez eBay, on précise « nous ne pouvons pas obliger le vendeur à remplir ses obligations.»  (voir ici ou ici).

Leboncoin recommande l'échange en direct en se rencontrant. L'envoi contre remboursement est une solution mais ne fonctionne pas bien. Certains sites (parfois associé à Paypal) proposent leurs services pour limiter les risques.

(a) Soit ils bloquent l'argent envoyé avant que le produit ne soit reçu ;

(b) soit ils proposent un système de notation qui indique si les personnes avec qui on fait affaire ont été correctes dans leurs précédentes transactions (« système de réputation ») ;

(c) soit encore ils proposent une assurance.

Il existe pourtant une solution bien meilleure grâce à la blockchain. Oleg Andreev a en effet proposé un système qui, s'appuyant sur la blockchain du bitcoin, permet de résoudre le problème et cela sans frais. L'idée qui peut se décliner de plusieurs façons et sur toute blockchain disposant d'un système d'unités monétaires permettant les transactions à plusieurs entrées et plusieurs sorties (c'est le cas de la blockchain du bitcoin) est assez simple dans son principe.

- Alain veut vendre un vase à 100 euros à Béatrice qui habite très loin. Ils sont d'accord sur le prix, mais ils ne peuvent pas se rencontrer et doivent donc faire l'échange par la poste.

- Alain et Béatrice vont — indépendamment des 100 euros convenus — engager simultanément 200 euros chacun qui seront mis sous séquestre sur la blockchain. Cela signifie, qu'ils vont déposer chacun 200 euros sur un compte particulier, et que les 400 euros y resteront tant que Alain et Béatrice ne seront pas tous les deux d'accord pour les débloquer. Lorsque l'échange sera terminé — envoi du vase, envoi de 100 euros pour le payer —, Alain et Béatrice signeront la transaction qui débloquera les 400 euros qui seront alors restitués  : 200 euros pour Alain, et 200 euros pour Béatrice.

La procédure de mise sous séquestre sur la blockchain est telle que personne ne peut s'emparer de cet argent sauf Alain et Béatrice s'ils donnent tous les deux leur accord. Seul, l'un d'eux ne peut rien faire. En conséquence, à moins d'être prêt à perdre 200 euros pour un objet qui en vaut 100, Béatrice aura intérêt à payer le vase. De même si Béatrice paye avant de recevoir le vase, Alain aura intérêt à envoyer le vase (qui vaut 100 euros) pour récupérer ses 200 euros bloqués. Avec ce procédé, il est rationnel de se comporter honnêtement ! Bien sûr une telle mise sous séquestre pourrait se faire avec l'aide d'un tiers, mais l'intérêt des blockchain est justement qu'on peut grâce à elles mener toutes sortes d'opérations qui autrement exigeraient des tiers de confiance.

La somme de 200 euros (pour une transaction concernant un objet qui en vaut 100) est modifiable, mais il faut que la somme mise sous séquestre par les deux acteurs soit supérieure à la valeur de l'objet échangé, car sinon celui qui reçoit l'envoi de l'autre en premier aura intérêt à ne pas envoyer ce qu'il doit, quitte à perdre la somme séquestrée. Cependant, il ne faut pas que la somme mise sous séquestre soit trop importante, car le petit risque que la somme ne soit pas récupérée deviendrait trop grand comparé au prix de l'objet échangé. Ce système à base de blockchain permet sans l'action d'aucune autorité centrale de mener une opération d'échange avec un risque très réduit de se faire escroquer.

On trouvera des précisions et des discussions sur la mise en œuvre technique de cette idée en :


8 commentaires pour “Pas besoin d’un tiers de confiance !”

  1. Diziet Sma Répondre | Permalink

    Bonsoir,
    si la mise sous séquestre sur la blockchain pour une transaction d'un montant somme toute modeste me parait effectivement ètre une solution satisfaisante pour les 2 parties,
    le coup de cette immobilisation de fonds sur des milliers de transactions cumulées ne devient-il pas excessif,voire prohibitif ?

    • Jean-Paul Delahaye Répondre | Permalink

      Il est vrai que pour des montants très élevés ou pour des achats très nombreux la méthode oblige à disposer et à bloquer des fonds importants et que cela peut être ennuyeux. La méthode se propose surtout de résoudre le problème pour les achats faits par un particulier à un autre particulier et pour un prix pas trop élevé.

  2. t0t9 Répondre | Permalink

    reprenant l'exemple du vase, si celui-ci arrive cassé à l'acheteur, ce dernier serait alors obligé d'accepter la transaction si il veut revoir sa "caution", alors qu'il n'y est sans doute pour rien ... clairement il est lésé dans cette situation, ce qui montre que ce procédé n'est pas suffisant en soi !

    • Jean-Paul Delahaye Répondre | Permalink

      Dans un tel cas, les deux acteurs de l'échange sont dans une situation symétrique : chacun peut menacer l'autre de ne pas signer, et alors ils perdent tous les deux 200 euros. Le plus sage est donc d'arriver à un accord équitable (par exemple un partage de la perte due à la casse du vase). Une fois l'accord exécuté, chacun sera d'accord pour signer la transaction qui libérera les 400 euros.

  3. D. bismut Répondre | Permalink

    Article très intéressant... Je trouve que ça fait toujours du bien de lire un article sur le Bitcoin, dans lequel l'auteur sait de quoi il parle, ce qui est relativement TRES rare en matière de Bitcoin.
    De plus l'auteur s'abstient, fort heureusement, de toute spéculation sur le cours futur du Bitcoin...
    Et sinon, le site de vente entre particuliers décrit ici existera bientôt (et concurrencera à terme ebay (qui ne va pas tarder à se mettre au Bitcoin d'ailleurs) : Openbazaar.
    http://www.coindesk.com/openbazaar-bitcoin-build-decentralised-ebay/

  4. Ω Répondre | Permalink

    Merci pour cette présentation.

    Une question : comment se faire mutuellement confiance lors de l'approvisionnement du portefeuille de séquestre ? Je m'explique : une fois les termes de l'échange définis, qu'est ce qui empêche Béatrice d'attendre qu'Alain place 200€ sous séquestre et de ne placer pour sa part qu'un seul euro (voire moins) ? Elle pourrait alors ensuite contraindre Alain de lui envoyer le vase gratuitement sous peine de ne jamais récupérer ses 200€ (et elle ne perdrait elle qu'un euro). Bien entendu, cela fonctionne aussi dans l'autre sens (Alain escroquant Béatrice en exigeant alors une autre contrepartie).

    • Jean-Paul Delahaye Répondre | Permalink

      La réponse est simplement que la mise sous séquestre n'est effective que lorsque les deux contractants ont donné leur accord pour qu'elle se fasse.
      La mise sous séquestre est composée : chacun indique ce qu'il engage ; chacun voit ce que l'autre engage. Si cela leur convient ils valident chacun à leur tour (l'ordre n'a pas d'importance à ce moment là) et il n'est donc pas possible que l'un engage 200 euros et l'autre un seul.

Publier un commentaire