Urbanisation + Changement climatique = Inondations
« Je tiens à ce qu’en France les fleuves, comme la révolution, rentrent dans leur lit, et qu’ils n’en puissent plus sortir » Napoléon III (Arles, lors des crues du Rhône de 1856)
Trois fois 300 mm d’eau en 3-4 heures, soit chaque fois la moitié des précipitations annuelles… Dans le sud de la France, nous avons vécu une année unique par le nombre des épisodes cévenols qui sont devenus méditerranéens : cela ne s’était jamais été vu et mérite réflexion. Les épisodes cévenols résultent de la condensation des masses d’air humide provenant de la mer surchauffée en automne. Poussées vers le golfe du Lyon par un vent du sud, elles s’élèvent sur les terres et les contreforts des Cévennes pour se refroidir, se condenser et précipiter. Ces pluies diluviennes, qui se produisent certaines années, étaient connues avant même les premiers relevés météorologiques et constituent les précipitations les plus abondantes de notre pays. D’après les spécialistes du CNRS, le nombre de jours concernés n’a pas augmenté depuis 1950, mais le volume des pluies est en très forte augmentation (de l’ordre de 5% par an), certainement sous l’influence du changement climatique en cours. Va-t-on vers plus de pluie ou de sécheresse ? Les deux à la fois : le climat de l'Hérault, du Gard et des Bouches du Rhône va devenir plus aride mais avec des pluies diluviennes et des épisodes orageux de plus en plus violents…
Face à cette montée programmée du danger, que font les autorités ? Les inondations de 2014 dans l’Hérault illustrent à la fois cette intensification des catastrophes climatiques et la faillite française de la gestion du risque, qui a d’ailleurs été condamnée en 2010 par la Cour de Justice européenne. Les élus attribuent généralement ces drames matériels et humains au ciel, comme les habitants d’Ales qui, chaque année pendant trois siècles, ont organisé des processions pour obtenir la protection divine contre ‘Les petits déluges’… La ‘culture de l’eau’ est pourtant bien plus développée dans ces piémonts des Cévennes que dans la région montpelliéraine, avec des organismes publics de gestion des bassins versants comme le SMAGE des Gardons. Il encourage par exemple le maintien des zones humides qui, en cas de crue, fonctionnent comme des trop-pleins, et va jusqu’à aider les petits propriétaires à entretenir les béals, ces petits canaux d’irrigation aujourd’hui moins entretenus qui dérivaient une partie de la rivière. Il veille en particulier au nettoiement des cours d’eau pour empêcher les embâcles, les végétaux emportés par les crues créant des barrages qui cèdent brutalement. Comme à Lamalou-les-Bains où quatre campeurs ont trouvé la mort dans la nuit du 17 septembre : la municipalité et les riverains se renvoyaient la balle pour nettoyer les berges du Bitoulet, le terrain de camping n’était même pas répertorié comme zone inondable…
Il faut reconnaître que, dans la gestion du risque d’inondation, il est à peu près impossible de savoir qui décide et qui finance. Comme souvent chez nous, c’est un empilement de comités Théodule et d’organismes sans grands moyens auxquels l’Etat essaie de plus en plus de passer le mistigri de la responsabilité financière et morale en cas de catastrophe. Une inondation ne résulte pas seulement de la quantité de pluie comme veulent nous le faire croire les responsables qui bottent en touche, mais d’une conjonction de facteurs qui, s’ils ne sont pas évalués et gérés, fabriquent une bombe à retardement chaque année plus meurtrière. Le 29 septembre à Montpellier, les bassins de rétention ont débordé au bout de trois minutes. Le Préfet et la société Predict, filiale de Météo-France qui doit prévenir les services de l’agglomération, n’ont rien vu venir. La station d’épuration Maera, débordée, a dû ouvrir les vannes pour tout expédier à la mer… La principale cause de l’accroissement du ruissellement des eaux dans une ville surdouée en bétonnage est pourtant connue, c’est l’artificialisation des sols et des berges. En transformant les zones inondables sans valeur marchande en terrains constructibles qui enrichissent les propriétaires et les communes, on remplace ces éponges naturelles et ces bassins de rétention par des surfaces imperméables qui provoquent ensuite des drames pour les nouveaux habitants, des catastrophes coûteuses dans les réseaux de distribution d’eau (3 millions d’€ de dégâts cette fois-là) et des mises en causes de maires trop complaisants qui se disent : « Après moi, le déluge ! ».
C’est sans doute ce qui s’est passé à Grabels où le précédent maire a donné le permis de construire pour un quartier qui a été sinistré deux fois de suite alors qu’il avait été classé zone inondable interdite à la construction... Le Plan Local d’Urbanisme d’octobre 2013 aurait pourtant pu être modifié par l’actuel maire... Ne leur jetons cependant pas trop vite la pierre : quel est l’édile qui peut dire non à l’urbanisation galopante, synonyme de développement communal et d’augmentation des taxes foncières ?
Dans ces régions où les zones inondables se transforment en terrains à bâtir, où la viticulture bat de l’aile, les enjeux changent. Une mutation est en cours qui fait que des viticulteurs deviennent conseillers municipaux pour modifier le Plan Local d’Urbanisme de leur village et multiplier par cent la valeur de leurs terrains jusqu’alors inconstructibles. On voit aussi des élus qui détournent la loi en créant des Zones dites d’Aménagement Concerté pour pouvoir exproprier à vil prix les petits propriétaires au nom de la collectivité puis qui les rendent constructibles et les revendent jusqu’à cent fois plus cher aux promoteurs… Comme le dit Ruy Blas : « Bon appétit, messieurs ! Ô ministres intègres ! ».
William Shakespeare avait par avance répondu à Victor Hugo car tout n’est pas pourri dans le Royaume du Danemark. Dans nos sociétés en crise qui n’incitent pas à l’optimisme, il existe encore des maires qui défendent l’intérêt général et la qualité de vie, qui savent dire non à l’urbanisation aveugle, qui ont conservé la culture de l’eau et ont évité à leurs administrés les inondations en mettant à profit les enseignements des anciens. Par exemple à Fourques près d’Arles, Gilles Dumas a toujours tenu sa commune à l’abri des crues du Rhône. Avant de faire un PLU ou un SCOT, ce vice-président du SYMADREM, organisme de gestion des digues du Rhône, prévoit le cheminement de l’eau en temps de crue, bon sens qui évite de construire des lotissements dans l’ancien lit du fleuve comme cela arrive. Ce maire anticonformiste n’a jamais transformé ses zones inondables en zones constructibles. Mieux, il a écouté ses administrés qui refusaient d’augmenter la taille de la commune. Ainsi il a pu rester au-dessous du seuil de 3.500 habitants qui oblige à payer des amendes quand la commune n’atteint pas le quota de 20% de logements sociaux… Ses administrés ne lui tiennent pas rigueur de ne pas transformer leurs terrains sans valeur en mines d’or puisqu’il a été réélu sans interruption depuis 1977 ! Bref, il fait la politique inverse de celle de quasiment tous les maires de l'Hérault, du Gard et des Bouches du Rhône...