Les dessous de la recherche polaire

08.12.2015 | par Pierre Jouventin | Non classé

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La recherche polaire, qui s’est longtemps confondue avec l’exploration et l’occupation de territoires au bout du monde, repose aujourd’hui sur une logistique lourde constituée de plusieurs navires, d’hélicoptères et de bases modernes. Le chercheur n’est plus un aventurier, il n'est pas jugé professionnellement sur des tests de résistance physique et psychologique mais sur des progrès dans l’avancement des connaissances. Ce n'est pas pour cela une vie de dilettante car on est, au retour, plongé dans une compétition nationale et internationale avec les collègues travaillant sur les mêmes sujets, ce qui surprend parfois les étudiants qui imaginent que la recherche naturaliste devrait être un havre de paix et de sérénité.

Ce qui surprend surtout les novices, c'est qu'à la différence d'un fonctionnaire habituel dont il est difficile de juger précisément de l'efficacité, tout est évalué dans la carrière d'un chercheur. Il est déjà hors de question de publier un résultat déjà obtenu par d'autres, ce qui oblige à connaître tout ce qui a été publié dans ce domaine et nécessite environ six mois de recherches bibliographiques avant d'attaquer un nouveau sujet. Si la recherche ne donne pas de résultat net et original, il n'est pas possible de le publier, quels que soient le temps et l'énergie investis.

PierTA856Si le résultat est remarquable, on essaie de le publier dans une bonne revue internationale, donc en anglais… Pour juger du niveau de la revue, toutes les citations de ses articles dans d'autres revues scientifiques sont répertoriées par des organismes de recherche bibliographique et, chaque année, les revues sont classées par leur indice de citation. La Recherche, Pour le Science, Science & Vie ne sont pas des revues scientifiques de résultats originaux mais de vulgarisation scientifique de résultats déjà publiés ailleurs. L'éditeur de la revue sollicitée demande à deux ou trois spécialistes du sujet traité d'analyser l'article soumis et il décide ensuite de l'accepter souvent avec des modifications ou de le rejeter, les  grandes revues refusant la plupart des articles proposés.

L'ordre de signature des auteurs de l'article est codé : le premier est celui qui a fait le plus, le dernier est le chef d'équipe ou celui qui a fourni en second le plus de travail, les signataires du milieu sont moins importants et le moindre est l'avant-dernier signataire. Pour juger de la production scientifique d'un chercheur, son jury d'avancement pourrait donc tout quantifier et lui donner une note objective ! Il est en plus tenu compte des responsabilités administrativo-scientifiques que remplit le chercheur comme chef d'équipe ou directeur de laboratoire ou responsable de programme international.

Certains biologistes, comme moi, ne mènent pas leurs recherches dans un laboratoire avec des élevages mais se contentent d'y retourner ensuite pour effectuer les analyses et rédiger les résultats obtenus sur le terrain. À la poursuite d’oiseaux rares, il nous arrive ainsi souvent de nous éloigner du cocon douillet des bases pour nous retrouver dans des situations qui, sans être comparables à celles de naufragés, sont tout de même peu enviables pour un fonctionnaire public supposé travailler en laboratoire !

 

 

Pierre Jouventin

Biologiste polaire CNRS-IFRTP pendant 40 ans & Responsable de programme environnement antarctique CNRS pendant 20 ans

 

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