DARWIN MORALISTE
Considéré comme un pur scientifique, les écrits intimes de Darwin et ses actes révèlent sa 'face cachée' de philosophe et moraliste qu’il a niée pour éviter les polémiques religieuses et sociales. Il a été clairvoyant puisque darwinisme et 'darwinisme social', c’est-à-dire la justification du libéralisme comme ‘loi de la jungle’, étaient jusqu’à récemment confondus. Comment la Création sans Dieu et l'Animalité de l'Homme pouvaient-ils ne pas créer de débat éthique de fond ? L’opposition Animal/Homme, Nature/Culture, Inné/Acquis se révèle artificielle, ce qui interroge de plus en plus la culture occidentale. En tout cas, la ruse de Darwin, fuyant le plus possible la polémique pour se cantonner dans la biologie, a fonctionné à merveille puisqu’après avoir démontré que la Bible était une belle histoire, il a été enterré à l’Abbaye de Westminster. Aujourd’hui, il convient de pousser plus loin l’analyse pour redécouvrir Darwin.
PHILOSOPHE MALGRE LUI
Darwin a révolutionné la biologie mais aussi la philosophie en donnant une solution naturelle au problème jusqu’alors insoluble de la Création. Il était déjà sensibilisé par son entourage familial aux problèmes posés par l’origine des espèces, son grand-père Erasmus étant l’auteur célèbre d’un livre sur ce qu’on appelait le Transformisme. Désespéré de son peu d’intérêt pour les études de médecine et donc pour lui succéder dans sa carrière brillante, son père lui fit suivre la formation de pasteur et lui acheta une cure pour qu’il puisse donner libre-cours à son gout pour les collections naturalistes comme bien des hommes d’église de cette époque, mais Darwin ne ressentait pas la vocation pour entrer dans les ordres et préféra après son tour du monde se consacrer à la science.
Tout à fait par hasard donc, il avait la formation pour rechercher l’origine des êtres vivants et découvrir les lois de l’évolution qui mettent à mal notre statut de ‘maîtres du monde’. Ce problème de la Création et de ses conséquences éthiques, de ce que l’on nomme ‘la téléologie’ (le monde a-t-il une finalité ?), l’obsédait non seulement comme scientifique mais comme croyant puis, au retour -après la mort de sa fille qui lui fit perdre la foi et le rendit agnostique- comme être moral. C’est en faisant son tour du monde qu’il constata que des espèces fossiles étaient très proches d’espèces vivantes et qu’il en vint à penser qu’elles avaient évolué en se modifiant au cours du temps. En comparant les faunes des îles Galapagos entre elles et avec celles du continent américain, il comprit que les espèces n’étaient pas fixes comme il le croyait au départ mais qu’elles dérivaient les unes des autres.
L’idée de l’évolution des espèces avait déjà été défendue par bien d’autres auteurs mais personne n’était parvenu à en expliquer le mécanisme sans faire appel à la Volonté Divine ou à des mécanismes erronés comme, pour Lamarck, l’hérédité des caractères acquis[2]. C’est en lisant Malthus que Darwin réalisa que les capacités de reproduction des espèces dépassaient très largement le nombre des descendants observés et donc qu’il existait une sélection naturelle qui triait en permanence les êtres vivants, ne laissant se perpétuer que ceux qui avaient pu s’adapter à leur milieu physique (température pour les espèces terrestres, salinité pour les espèces marines, etc…) et biologique (puisque chaque espèce se trouve en interaction avec les autres vivant en ce lieu).
Or, comme tout bon naturaliste de terrain, il avait remarqué que les individus d’une même espèce sont tous différents : il existe donc une variabilité individuelle des caractères héréditaires sur laquelle peut jouer la sélection en fonction des conditions du milieu. Quand il est mis à l’échelle géologique, ce double mécanisme de variation puis de tri est le levier qui permet de soulever le monde du vivant sans faire appel au surnaturel. Il explique la Biodiversité par des modifications avantageuses qui s’additionnent pour passer lentement mais sûrement d’un unicellulaire à un mammifère par une adaptation de plus en plus fine à l’environnement et en comblant peu à peu les possibilités de colonisation de la planète.
Darwin était un amateur fortuné qui ne subissait pas les contraintes matérielles des professionnels mais il en avait d’autres, liées à son sens des responsabilités et à sa tolérance : il aimait sa pieuse épouse alors qu’il était incroyant… Outre ses états d’âme personnels qui donnent à sa biologie une profondeur philosophique comme nous allons le voir, il se trouvait donc confronté à un cruel dilemme, ayant épousé une cousine qui se désolait de ne pouvoir le retrouver après sa mort, dans l’autre monde auquel elle croyait. Pour ne pas la peiner et face aux conséquences religieuses prévisibles de sa théorie, Darwin aurait retardé la publication de son ouvrage majeur sur l’origine des espèces. Il ne le fit que contraint par la concurrence de Wallace, autre naturaliste voyageur qui était parvenu aux mêmes conclusions. Certains de ses biographes modernes considèrent que la maladie mystérieuse qui cloîtra Darwin toute sa vie chez lui avait une forte composante psychosomatique, due à ce conflit profond entre ses convictions scientifiques et religieuses, entre son sens de la vérité et de la moralité. Son sentiment de culpabilité était si fort qu’il écrit dans une de ses lettres avoir eu l’impression, en publiant sa théorie de l’évolution, d’‘avouer un crime’.
Darwin est donc tout le contraire du savant caricatural sans scrupule, du démiurge qui ne se préoccupe que de sa passion et de la gloire qu’il en retirera. Il était tout à fait conscient de l’importance de sa découverte mais était épouvanté par le scandale et les drames qu’il allait provoquer involontairement. Contrairement à ce qu’ont écrit ses biographes, ce bourgeois pacifique et discret mais amoureux de la vérité savait qu’il allait déclencher une révolution non seulement scientifique mais religieuse, philosophique et morale…
Pour contrôler cependant les retombées de sa théorie, il publia après son ouvrage majeur un livre sur La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle (1871) qui appliquait ses découvertes sur l’évolution des espèces à la nôtre. Plus important pour notre propos, il écrivit L’expression des émotions chez l’homme et les animaux (1890) qui dépassait l’intuition d’Aristote qu'il y a une continuité entre l'homme et les autres espèces animales en soutenant qu’il n’y a pas une différence de nature mais de degré, y compris dans la morale ! Cet ouvrage pionnier traitait du lien moins évident qui nous lie sur le plan émotionnel et intellectuel aux autres espèces, en particulier aux autres mammifères. Notre parenté, d’après Darwin, est aussi comportementale, y compris des traits comme l’intelligence, la raison, et même l’abstraction, la culture, l’altruisme, l’esprit religieux et artistique, que bien des philosophes et des hommes cultivés considèrent encore un siècle et demi plus tard comme ‘Le propre de l’homme’…
L’éthologie moderne a démontré[3] que la réalité est à l’opposé de la conception de l’‘animal-machine’ de Descartes, fondateur de la science moderne et de l’idéologie du Progrès infini. Pour lui, si l’animal ne sent pas et ne pense pas puisqu’il ne parle pas, toute exploitation de l’animal est justifiée et le Royaume de Dieu nous est réservé… Cette évidence nouvelle que nous sommes parents a été prouvée par la biologie moléculaire et a de plus en plus d’implications dans le respect que nous devons aux autres êtres vivants, en particulier aux chimpanzés avec lesquels la divergence génétique est de l’ordre de 1%. Les universités américaines enseignent d’ailleurs depuis 1970 le droit de l’animal alors qu’il est apparu en France en 2017. A la suite de ce mouvement nord-américain qui a pris en compte les avancées évolutionnistes, la philosophie et l’éthique animales commencent à diffuser dans notre pays où de nombreux livres sont en ce moment publiés sur ce sujet[4]. Alors que la philosophie occidentale ignorait jusqu’à récemment l’animal et tenait peu compte des avancées scientifiques en biologie, l’éthique animale est dans notre pays en plein essor[5].
CROYANT (OU INCROYANT) MALGRE LUI
Dès 1647, Blaise Pascal proposait dans sa Préface sur le traité du vide de séparer science et théologie. En deux siècles, cette distinction s’est accrue sous la pression du darwinisme. Pour la plupart, le jumelage entre science et religion n’est plus crédible aujourd’hui, y compris pour les croyants cultivés qui ont admis que La Bible ne pouvait pas être littéralement vraie puisque, par exemple, l’existence des fossiles est dans ce contexte inexplicable. Alors que Pie IX avait qualifié Darwin de ‘doigt du démon’ et que Pie XII en faisait dans une encyclique la cause du communisme et de l’existentialisme, Jean-Paul II estimait le darwinisme « plus qu’une hypothèse » et compatible avec la foi chrétienne ! Dans sa lettre du 22 octobre 1996 à l’Académie pontificale, il reconnaissait la pertinence de l’évolution : « La convergence, nullement provoquée, de résultats de travaux menés indépendamment les uns des autres constitue par elle-même un argument significatif en faveur de cette théorie. » Mais il précisait cependant que ces théories qui « considèrent l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière, sont incompatibles avec la vérité de l’homme », posant ainsi le problème de ‘l’exception humaine’…
Il est généralement admis depuis Karl Popper qu’il n’est pas possible de confirmer des hypothèses invérifiables comme l’existence de Dieu puisqu’elles ne sont pas réfutables. A la différence de Paley et Newton, Stephen Jay Gould, paléontologiste et historien des sciences, en a déduit que science et religion ne relèvent pas des mêmes méthodes d’analyse. Pour la plupart des penseurs actuels, on peut tester une hypothèse scientifique si on a des éléments tangibles, mais on ne peut pas plus prouver que Dieu existe que prouver qu’il n’existe pas. La position de Darwin était donc en avance sur son temps : il ne se considérait pas comme un athée (qui risque d’être mis en difficulté s’il ne peut prouver que Dieu n’existe pas) mais plus prudemment comme un agnostique (qui ne cherche pas à prouver la non-existence de Dieu mais qui s’en passe en l’absence de preuve de son existence). Comme répondait l’astronome Laplace à Napoléon qui lui demandait où se trouvait Dieu dans ses calculs, Darwin n’avait plus besoin de cette hypothèse puisque la sélection naturelle lui permettait d’expliquer ‘le mystère des mystères’ sans jamais plus faire appel au surnaturel.
Se passer de Dieu et le nier n’est pourtant pas nécessairement aussi éloigné que les modérés comme Darwin le supposent. Dans son Ethique, Spinoza se plaignait de ce que « les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux-mêmes, en vue d’une fin » et il considérait Dieu comme un ‘asile d’ignorance’. Diderot estimait incompatibles la foi et la raison, quand Freud traitait la religion d’‘illusion’ destinée à nous protéger de nos angoisses. Ce débat sur les limites de la connaissance rappelle celui entre Haeckel, le professeur libre-penseur scientiste, et le sceptique Emile Henri du Bois-Reymond, fondateur de l’électrophysiologie et inventeur du néologisme ignorabimus qui est l’abréviation de la formule latine Ignoramus et ignorabimus (nous ne savons pas et nous ne saurons jamais).
Dans le revirement de Darwin à son retour de voyage autour du monde, il n’y a pas seulement un aspect logique et scientifique mais aussi un engagement social, discret à son habitude. Il l’avouait d’ailleurs dans un de ses Carnets intimes : « Je dois éviter de montrer à quel point je crois au matérialisme. » Jean-Claude Ameisen[6] a collecté ces écrits épars de Darwin qui démontrent, derrière son personnage de savant prudent et neutre, son engagement moral et son interrogation religieuse de départ : « Quel livre pourrait écrire un chapelain du diable à propos des réalisations […] horriblement cruelles de la nature […] Je ne peux pas voir, aussi banalement que d’autres le font, une évidence de dessein et de bienveillance autour de nous. Il me semble qu’il y a trop de misère dans le monde […] Un homme innocent et bon se tient sous un arbre et est tué par un éclair. Est-ce que vous croyez (et j’aimerais vraiment l’entendre) que Dieu a tué intentionnellement cet homme ? De nombreuses –voire toutes- les personnes le croient ; je ne peux le croire et ne le crois pas […] Le doute rampa sur moi à un rythme très lent, mais fut à la fin complet […] J’ai été amené graduellement à perdre ma foi en […] une révélation divine. »
Parti avec une Bible dans son voyage sur le Beagle et la citant comme une autorité morale indiscutable, ce qui faisait rire de lui les officiers, Darwin a assisté en Patagonie à une purification ethnique avec mise à mort des indiennes de plus de vingt ans, au Brésil aux tortures et au suicide d’une esclave recapturée, au Chili à l’exploitation jusqu’à épuisement physique des mineurs, en Argentine à une guerre d’extermination, en Australie et en Tasmanie à la chasse aux indigènes par les colons, ce qui lui a fait écrire : « Les aborigènes australiens semblent ne plus avoir le droit d’exister dans ce pays ». Ce qui doit être compris dans ce dévoilement de la face cachée de Darwin, c’est que son voyage naturaliste est en même temps un voyage initiatique à l’anthropologie. Si son passage aux Galapagos constitue le point culminant de l’exploration scientifique et a toujours attiré l’attention de ses biographes, l’échec de la tentative de colonisation de la Terre de Feu représente le point d’orgue de l’aventure humaine qui se déroule en parallèle. Pour un esprit aussi vif que celui de notre jeune biologiste, comparer les sauvages fuégiens avec les quatre indigènes christianisés que le Beagle ramenait chez eux a été une révélation. Ces fuégiens habillés en bourgeois londoniens devaient fonder une colonie dans leur pays d’origine, mais ce fut un échec. Le constat du désastre de cette mission civilisatrice a été traumatisant pour tous, y compris Darwin, et encore plus le capitaine Fitzroy qui a rembarqué le pasteur qui les accompagnait et qui avait failli être mangé… Devant les atrocités qu’il a découvertes chez les animaux (comme le parasitisme qui le révulsait) et encore plus chez les hommes (comme l’esclavage qui l’a toujours scandalisé), Darwin a perdu la confiance en un Dieu bienveillant. Son livre favori à bord était d’ailleurs Le paradis perdu du poète Milton !
A l’issue de ce voyage qui s’est révélé initiatique à double titre, il ne croyait plus en un Etre supérieur en privé mais, comme toujours en public, il a évité les affrontements et s’est tenu sur la réserve. Après le mariage qui a suivi son retour, son épouse a bien senti ce recul poli mais ferme quand elle lui a confié : « il y a le risque que l’habitude des entreprises scientifiques de ne croire en rien tant que ce n’est pas prouvé, n’exerce trop d’influence sur ton esprit en ce qui concerne d’autres choses qui ne peuvent être prouvées. Le danger que tu t’éloignes de l’importance de la révélation […] Tout ce qui te cause souci me cause souci et je serais extrêmement malheureuse si je pensais que nous ne nous appartenons pas l’un à l’autre pour l’éternité. » Sur cette lettre d’Emma qu’il a conservée toute sa vie, le tendre Charles a écrit : « Quand je serai mort, sache que bien souvent, j’ai embrassé et pleuré sur ça. » Ecartelé entre une épouse profondément croyante qu’il vénérait et un père ainsi qu’un grand-père libres penseurs, on sait qu’il a perdu définitivement la foi à la mort de sa fille en 1851. Cette année-là, sa foi en un Dieu bienveillant et tout-puissant disparait lorsque sa fille chérie, Annie, meurt à l’âge de 10 ans : « Comment un Dieu de bonté, confie-t-il à un proche, peut-il créer une aussi belle petite fille pour la faire autant souffrir ? » Alors qu’il a bien fait la part des choses sur le plan public et familial, alors qu’il s’est protégé en se déclarant agnostique et non athée militant, Darwin révèle ainsi le lien profond qu’il établit sans oser le proclamer entre science et religion, entre raison et éthique.
Dans une lettre de 1860 au botaniste Asa Gray, Darwin se désolait de toutes ces controverses autour de son livre L’origine des espèces qu’il surnommait par autodérision ‘L’évangile du diable’ : « En ce qui concerne le côté théologique de la question, le sujet m’est toujours pénible. Je suis confondu, je n’avais pas l’intention d’écrire irréligieusement. » Malgré son agnostisme, Darwin était tout le contraire d’un anticlérical ; il respectait les croyants pour leur moralité et c’est la raison pour laquelle il s’est senti trahi par la préface agressivement athée de Clémence Royer, sa première traductrice en France. S’il n’a jamais précisé publiquement ses vues sur la religion, évitant tout conflit ouvert avec les théologiens dont certains étaient ses amis, il est difficile cependant de se méprendre sur ses convictions. Vers 1870, Darwin rappelait à son fils l’enseignement de Voltaire qui : « avait découvert que les attaques contre le christianisme […] ont peu d’effet permanent (et que seuls) les assauts de biais, lents et silencieux, ont du bon. » En 1880, il confirmait : « Bien que je sois un ardent défenseur de la libre-pensée dans tous les domaines, il me semble […] que les raisonnements directs contre le christianisme et le théisme n’ont presque pas d’effet sur le public et que la liberté de pensée est mieux servie par l’illumination progressive de l’esprit des hommes qui suit l’avancée de la science. J’ai donc toujours évité d’écrire sur la religion et je me suis limité à la science. »
Un congrès international de libres penseurs s’étant tenu à Londres, Darwin a accédé à la requête de trois d’entre eux qui voulaient le rencontrer. Il les a invités le 28 septembre 1881 et, après le repas, Edward Aveling, qui deviendra le compagnon de la plus jeune fille de Marx et tentait de rapprocher le darwinisme du socialisme, a rapporté le dialogue. Les libres penseurs ont essayé de le convaincre de militer avec eux dans l’incroyance mais Darwin a répliqué : « Pourquoi être aussi agressif ? Gagne-t-on quoi que ce soit à essayer de forcer les masses à adopter ces nouvelles idées. Cela est très bon pour les individus éduqués, cultivés et pensants ; mais les masses sont-elles mûres pour cela ? [...] Pourquoi vous qualifiez-vous d’athée et dites-vous qu’il n’y pas de Dieu ? »[7]
Certains au contraire, comme Lady Hope qui a publié un témoignage en 1915, ont soutenu que Darwin était revenu à la religion au cours de sa dernière maladie, ce qui a été démenti par ses enfants et les historiens. Sa fille, Henrietta, qui était près de lui à son lit de mort, a témoigné qu’il a déclaré : « Je n’ai pas peur de mourir » et que ses derniers mots ont été adressés à Emma, cette épouse qu’il peinait tant par son incroyance : « Rappelez-vous la bonne épouse que vous avez été »…
Plus troublant, certains de ses biographes récents[8] ont conclu qu’il croyait en l’existence non d’un Dieu barbu, mais d’une entité qui serait à l’origine des lois de l’univers et ne s’occuperait pas des hommes, bref un précurseur du concept moderne de ‘Dessein intelligent’ (Intelligent Design). Einstein et Darwin considéraient en effet la Bible comme un conte pour enfant et ce dernier a écrit dans la première version de son Autobiographie : « Une telle réflexion me pousse à considérer une Cause première douée d’une intelligence plus ou moins semblable à celle de l’homme ; et m’expose à être qualifié de déiste. » Mais il a ajouté plus tard que cette conclusion, qu’il jugeait solide en écrivant L’Origine des espèces, s’est ensuite effritée. « Ne sous-estimons pas, notait-t-il dans un passage de son Autobiographie censuré par sa femme après sa mort et rétabli plus tard par sa petite-fille, la probabilité que l’éducation, inculquant aux enfants la croyance en Dieu, puisse produire un effet puissant et peut-être héréditaire sur leurs cerveaux encore malléables, et que se débarrasser de la croyance en Dieu leur serait aussi difficile que, pour un singe, de se débarrasser de la peur instinctive du serpent ». Cet « aspect irrévérencieux » de l’origine de la morale heurtait évidemment son épouse Emma qui disait vouloir « éviter de faire de la peine aux amis religieux » de son mari…
Malgré donc les tentatives habituelles de récupération, Darwin est bien mort incroyant et agnostique mais il est facile de jouer sur les mots pour brouiller, ici encore, une pensée aussi nuancée, prudente et complexe. Une anecdote illustre ce jeu de miroir. Son épouse l’emmène assister à une séance de spiritisme, Darwin s’éclipse prétextant un malaise et, quand il revient, il secoue la tête en disant : « Doit-on vraiment croire en ce genre d’absurdité ? » Emma interprète à sa manière cette réaction dans un courrier à une amie : « Il ne veut tout simplement pas y croire, il déteste l’éventualité que cela puisse être possible et il refuse donc de voir les preuves[9] »… Pauvre Darwin, à jamais incompris, même de sa femme chérie qui l’a censuré pour son bien après sa mort et qui, contre sa volonté, a donné son accord pour les funérailles nationales de son mari hérétique sous les auspices de l’Eglise anglicane à l’abbaye de Westminster… Du moins, sa mémoire est-elle sauve puisqu’il a pu transmettre son message impie malgré l’exigence religieuse de son épouse ! De la même manière qu’il est parvenu sans parler d’homme et de religion à éviter la polémique sur sa théorie qui permet pourtant de se passer de créateur, il semble avoir été plus efficace comme libre-penseur en évitant d’attaquer de front la religion, puisque son œuvre est devenue la Bible du matérialisme !
Avec ce mélange surprenant de modération et de radicalisme, Darwin tout en ménageant la religion est allé jusqu’à rechercher son origine dans la biologie ! Au même titre que les comportements moraux les plus élevés comme l’altruisme dont il estimait qu’ils se trouvaient déjà chez l’animal, cette approche iconoclaste propose une hypothèse testable aux études scientifiques les plus récentes d’imagerie médicale et de neurobiologie sur un sujet aussi délicat. Chez les ‘sauvages’ comme chez les animaux, il trouve des prémisses de religiosité dans leurs tendances ‘animistes’ qui prêtent facilement aux objets une âme. Il cite en note dans L’expression des sentiments chez l’homme et l’animal la théorie du professeur Braunbach selon laquelle « le chien regarde son maître comme un dieu »… Or les études génétiques récentes sur le chien prouvent d’une part qu’il est issu du loup qui, dans sa première année, suit aveuglement le chef de meute et d’autre part que le chien a subi une forte sélection pour lui conserver ses caractères d’immaturité qui l’attachent à son maître et en font un éternel adolescent[10]. En outre, une théorie évoquée par les primatologues Adriaan Kortlandt et Georges Schaller avance que les comportements sociaux des humains et des canidés ont convergé par adaptation à la même niche écologique de chasseurs coopératifs de gros gibier, notre espèce étant la seule espèce de primate à l’avoir occupée jusqu’à il y a 10.000 ans, c’est à dire pendant 290.000 ans pour Homo sapiens et 2.500.000 ans pour le genre Homo… Bref, la croyance en Dieu ne serait-elle pas seulement culturelle mais serait-elle issue du respect inné du leader, comme le suggère discrètement mais toujours aussi hardiment Darwin ?
EPISTEMOLOGUE MALGRE LUI
« Il ne me semble pas y avoir plus de plan concerté dans la variabilité des êtres vivants et dans l’action de la sélection naturelle que dans la direction où souffle le vent.» Pour Darwin, l’évolution n’est ni téléologique, ni anthropocentrique : nous ne sommes pas le but de l’évolution et la nature n’a même pas de projet, ce que l’on nomme aujourd’hui le ‘Dessein Intelligent’ et qui est parfois devenu la position de repli des croyants en matière d’évolution, la Bible n’étant plus une référence solide pour expliquer la Création. Après Darwin, la biodiversité n’est pas plus un mystère que les fossiles ou notre ressemblance avec les autres primates : l’homme n’est plus un extra-terrestre sans lien avec le monde et notre espèce n’a plus de problème d’identité puisqu’elle s’est réconciliée avec sa famille ! La portée des conclusions darwiniennes est donc sans commune mesure avec les pures sciences naturelles, son statut d’autodidacte, ses études décousues, et même sa fonction à bord au départ du Beagle qui était celle de compagnon du capitaine mais qu’il a transformé en celle de naturaliste, puis de savant célèbre et aujourd’hui de philosophe.
Le généticien Théodosius Dobzhansky, le père avec Ernst Mayr de la théorie synthétique de l’évolution qui actualisait le darwinisme, avait cette magnifique formule : « Rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de l’évolution. » Ce qui était l’hypothèse de l’évolution, il y a un siècle, a été confirmé des milliers de fois au point que le qualificatif de ‘théorie’ est devenu superflu. C’est devenu le ciment de la biologie et toutes les disciplines ont dû intégrer la dimension évolutive, y compris l’éthologie et l’anthropologie. Le débat scientifique a presque cessé mais la controverse sociale se poursuit. Le darwinisme intéresse enfin les sciences humaines dont il avait été expulsé pour cause de ‘biologisme’. L’anthropologie, la psychologie, la médecine, la philosophie et même l’éthique réclament son éclairage. Toute personne cultivée admet aujourd’hui notre origine animale sur le plan morphologique puisqu’elle sait qu’un chimpanzé diffère génétiquement à peine d’un homme. Pourtant, bien des gens ne sont pas convaincus par cette démonstration qui ne fait pas appel au ciel et nous ramène à la bête… A l’époque de Darwin, l’épouse de l’évêque anglican de Worcester se serait écriée : « L’homme descend du singe ? Pourvu que cela ne soit pas vrai. Mais si cela était, prions pour que cela ne se sache pas ! »
Aux Etats-Unis, eut lieu le célèbre ‘procès du singe’ en 1925 à Dayton dans le Tennessee où un enseignant fut condamné pour avoir appris à ses élèves l’existence de la théorie de l’évolution. Plusieurs Etats américains continuent à interdire son enseignement et les évangélistes, toujours très nombreux au point d’avoir élu le président actuel des U.S.A., considèrent la Genèse comme un texte tout aussi scientifique, ‘la science de la création’ étant enseignée par radio, internet et dans un ‘Institute for Creation Research’ à San Diego. Dans le pays de Descartes, avec un retard de 80 ans sur les pays anglophones, le darwinisme a été enfin officiellement accepté. Mais il est peu et mal enseigné car on continue souvent à confondre progrès et évolution[11]. En outre, la formation des futurs chercheurs comporte très rarement une réflexion sur la science[12], ce qu’on nomme l’épistémologie dont l’objet le plus complexe est justement la théorie de l’évolution…
Cette parenté étroite avec les autres membres de la famille animale sur les plans morphologique et physiologique se poursuit évidemment sur les plans psychologique et émotif. Ce n’est pas seulement une conviction d’ami des bêtes mais un fait scientifique. L’acceptation de cette proximité était d’ailleurs intuitive dans bien d’autres civilisations dites primitives. De l’Egypte antique à l’Inde moderne, l’animal fait partie de la famille et de la mythologie. La culture occidentale issue du monothéisme en a imposé l’antithèse, opposant l’Homme à l’Animal jusqu’à ce qu’il y a 150 ans Darwin ait montré scientifiquement l’inverse, ce qu’à chaque découverte, la génétique et l’éthologie confirment. La théorie de l’évolution est triomphante malgré la prédiction de l’éditeur de L’origine des espèces qui la jugeait « aussi absurde que la contemplation de l’union fructueuse d’un porc et d’un lapin[13] ». Une partie du message darwinien reste cependant à assimiler et cette remise en question peut être comparée à la révolution copernicienne : pas plus que la terre n’est le centre du monde physique, l’homme n’est le centre du monde vivant…et il nous faudra encore un peu de temps pour l’admettre car c’était, jusqu’alors, une position bien confortable !
Le XVIIIe est le siècle des Lumières. Dans un premier temps, ce grand espoir d’amélioration de l’homme a favorisé le développement des idées d’évolution, synonyme à cette époque de foi en le progrès. Les idéologues de tous bords, qui ont tenté de récupérer et de prolonger Darwin[14], n’avaient pas les connaissances scientifiques pour tout assimiler de sa thèse. La confusion avec le darwinisme social a paradoxalement d’abord constitué un avantage majeur, un heureux concours de circonstances pour Darwin car elle a grandement favorisé la diffusion de sa théorie mal comprise. Il était, en effet, facile d’extrapoler de l’évolution des espèces au progrès social, d’assimiler le darwinisme au perfectionnement des êtres vivants avec notre espèce au sommet de la hiérarchie : dans la symbolique chrétienne, l’homme constituait le dernier barreau de l’échelle de Jacob juste avant les anges puis Dieu ; dans la doxa libérale, le capitalisme suivait la loi de la nature... Mais dans un second temps qui se poursuit, cette confusion entre darwinisme et darwinisme social a nui à la compréhension et à la portée de son message.
Cette promotion du darwinisme par la confusion victorienne entre évolution et progrès a souvent été signalée. ‘L’origine des espèces’ a, en outre, bénéficié de la tactique darwinienne qui a consisté à ne pas heurter de front les croyants. Il a même entretenu la confusion dans la dernière phrase de son livre majeur : « N’y-a-t-il pas une véritable grandeur dans cette conception de la vie, ayant été avec ses puissances diverses insufflées primitivement par le Créateur dans un petit nombre de formes, dans une seule peut-être, et dont, tandis que notre planète, obéissant à la loi fixe de la gravitation, continuait à tourner dans son orbite, une quantité de formes admirables, parties d’un commencement des plus simples, n’ont pas cessé de se développer et se développent encore ? » Ce n’était pas seulement de la ruse mais peut-être l’expression de sa conviction profonde qu’il n’y a pas d’opposition réelle entre croyants et incroyants mais une continuité morale et logique qui l’a lui-même fait passer du statut d’apprenti théologien à celui de Newton de la biologie, la science ayant relayé la religion et la sélection naturelle ayant remplacé la Providence Divine… On trouve d’ailleurs ses disciples et admirateurs de tous temps dans des champs culturels très opposés, certains étant profondément religieux et d’autres athées…
MORALISTE MALGRE LUI
Le darwinisme est donc moins simple et plus trompeur qu’il n’y parait. Possédant tant de facettes, la plupart de ses vulgarisateurs n’en ont compris que ce qui les arrangeait à court terme, même si c’était moins satisfaisant pour rendre compte de la complexité du réel que l’explication darwinienne. Beaucoup, même convaincus par son aspect scientifique, ont encore du mal à en accepter les conséquences sociales. En effet, objectivement, depuis Darwin, l’Homme n’est plus le Roi de la Création, sinon dans notre imaginaire, comme se plaisaient à le croire ses disciples victoriens en pensant que cela avait été démontré par la science. Mais aujourd’hui, la plupart des athées cultivés le pensent encore... Sans doute l’évolution augmente-t-elle dans le temps en complexité mais cela n’est pas synonyme de supériorité hiérarchique. Beaucoup de nos contemporains croient encore en la Religion du Progrès, comme Condorcet qui clamait en 1794 « qu’il n’a été marqué aucun terme au perfectionnement des facultés humaines ; que la perfectibilité de l’homme est réellement indéfinie et le progrès de cette perfectibilité, indépendant de tout pouvoir qui voudrait l’arrêter, n’a d’autres limites que la durée du globe sur lequel la nature nous a jetés […] La perfectibilité ou la dégénération organiques des races dans les végétaux, dans les animaux, peut être regardée comme une des lois générales de la nature »[15].
Darwin a donc été mal lu, même et surtout après L’origine des espèces. Pourtant, dès la parution en 1871 de La descendance de l’homme traitant enfin de notre espèce et que nous allons abondamment citer, Darwin avait pris nettement position, en particulier contre le racisme et le darwinisme social. Les conséquences de ce livre, plus iconoclaste encore que L’origine des espèces, ont été perçues à l’époque par certains critiques : « Si ces thèses sont exactes, une révolution de la pensée est imminente, qui ébranlera la société jusque dans ses racines, détruisant le caractère sacré de la conscience, et le sentiment religieux » lisait-on dans l’Edinburgh Review. Certains sont allés jusqu’à écrire que Darwin avait ‘détrôné’ Dieu !
Si la théorie de l’évolution est autrement plus dérangeante que la physique de Newton ou même d’Einstein, c’est qu’elle ne se contente pas de révolutionner la science : elle remet en cause la religion et la philosophie occidentale, en particulier la philosophie morale. Jusqu’alors, la science répondait à la question ‘Comment ?’ et la religion, à la question ‘Pourquoi ?’. Les deux concurrents se partageaient même l’avenir : la science promettait le Progrès et la religion, le Paradis. Avec le darwinisme qui répond au Pourquoi tout en niant tout finalisme, « L’ancienne alliance est rompue » selon la formule de Jacques Monod qui conclue Le hasard et la nécessité en prenant de la hauteur : « L’homme sait qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres. ».
L’évêque Wilberforce qualifiait déjà à l’époque le darwinisme de ‘doctrine immorale et antichrétienne’ car il ne voyait plus alors sur quoi baser la moralité. Dans son Autobiographie, Darwin renverse cette critique : « Un être aussi puissant et aussi riche de connaissance que le Dieu qui a pu créer l’univers est, pour nos esprits finis, omnipotent et omniscient ; notre compréhension se révolte de supposer que sa bienveillance ne soit pas sans limites, car quel est l’intérêt de la souffrance de millions d’animaux inférieurs pendant un temps presque infini ? Cet argument très ancien, tiré de l’existence de la souffrance, contre une cause première intelligente, me semble fort ; alors que, comme on l’a remarqué, la présence de tant de souffrances s’accorde bien à l’idée que tous les êtres organiques se sont développés par variation et sélection naturelle ».Dans une lettre à son ami Asa Gray (1860), il est encore plus direct : « Je ne parviens pas à voir aussi pleinement que d’autres, ni aussi pleinement que je le souhaiterais, la preuve d’un dessein et d’un dessein généreux dans ce qui nous environne. Il me semble qu’i y a trop de misère en ce monde. Je n’arrive pas à me persuader qu’un Dieu bienveillant et tout-puissant ait pu créer délibérément les ichneumons [guêpes parasites] avec l’intention de les faire se nourrir de l’intérieur du corps de chenilles vivantes, ni les chats qui jouent avec des souris. »
Le mot sélection, s’il est frappant comme le voulait Spencer qui l’a trouvé, prête à confusion en supposant un but à l’évolution et donc un sélectionneur, alors que Darwin décrivait un mécanisme aveugle qui se suffit à lui-même… La moralité humaine ne résulterait plus d’une volonté divine bienveillante ou même d’un progrès évolutif, elle serait une conséquence accidentelle de l’évolution sociale et elle aurait pu aller dans une toute autre direction : si « les hommes étaient élevés dans les mêmes conditions que les abeilles de ruche, il ne ferait guère de doute que nos femelles célibataires penseraient, comme les abeilles ouvrières, qu’elles ont le devoir sacré de tuer leurs frères, et que les mères tenteraient de tuer leurs filles fécondes ; et personne ne songerait à y faire obstacle ».
D’où vient donc la moralité si ce n’est de Dieu ? La position darwinienne peut se résumer ainsi : « Le sens moral de l’homme émerge à partir de deux éléments que l’on peut observer au sein du règne animal. D’une part, l’existence de capacités intellectuelles et affectives. D’autre part, la présence d’un certain nombre d’instincts sociaux à partir desquels le sens moral est à même de se développer. »[16].
L’éthologie moderne a infirmé l’animal-machine de Descartes et confirmé Darwin. Les capacités cognitives et affectives des animaux, en particulier des mammifères sociaux, sont développées et proches de celles de l’homme. Darwin l’énonce nettement : « On peut évidemment admettre qu’aucun animal ne possède la conscience de lui-même si l’on implique par ce terme qu’il se demande d’où il vient et où il va, et ainsi de suite. Mais sommes-nous bien sûrs qu’un vieux chien, ayant une excellente mémoire et quelque imagination, comme le prouvent ses rêves, ne réfléchisse jamais à ses anciens plaisirs, à la chasse ou aux déboires qu’il a éprouvés ? Ce serait là une forme de conscience de soi ? […] Si les facultés mentales de l’homme différent immensément en degré de celles des animaux qui lui sont inférieurs, elles n’en différent pas quant à leur nature. Une différence en degré, si grande qu’elle soit, ne nous autorise pas à placer l’homme dans un règne à part […] Il n’existe aucune différence entre l’homme et les animaux supérieurs pour ce qui est de leurs facultés mentales »
En ce qui concerne les instincts sociaux, Darwin dans La descendance de l’homme annonce Kropotkine et Hamilton, c’est-à-dire l’entraide et la sélection familiale dite de parentèle qui sont la suite logique de sa théorie : « Les animaux doués des instincts sociaux prennent plaisir à être en compagnie, s’avertissent mutuellement du danger, se défendent et s’aident mutuellement de maintes façons […] L’impression de plaisir que procure la société est probablement une extension des affections de parenté ou des affections filiales ; on peut attribuer cette extension principalement à la sélection naturelle, et peut-être aussi, en partie, à l’habitude. Car, chez les animaux pour lesquels la vie sociale est avantageuse, les individus qui trouvent le plus de plaisir à être réunis peuvent le mieux échapper à divers dangers […] Il est inutile de spéculer sur l’origine de l’affection des parents pour leurs enfants et de ceux-ci pour leurs parents ; ces affections constituent évidemment la base des affections sociales »[17].
Sa vision de l’évolution morale chez l’homme est fondée non sur l’individu mais sur le groupe social, annonçant aussi la génétique des populations et le malentendu de la sociobiologie : « Bien qu’un haut niveau de moralité ne donne qu’un avantage léger ou nul à chaque homme individuel ou à ses enfants sur les autres hommes de la même tribu, néanmoins un accroissement dans le nombre d’hommes bien doués et un avancement dans le niveau de moralité donneront certainement un immense avantage à une tribu sur une autre. » Il a même donné la définition d’une forme d’altruisme que le sociobiologiste Robert Trivers décrira seulement en 1971 sous le nom d’altruisme réciproque : « Comme les capacités de prévision et de raisonnement des membres (des tribus) s’amélioraient, chaque homme apprit bientôt que s’il aidait ses pareils, il recevrait généralement de l’aide en retour ».
L’affirmation de Darwin, que les plus hautes facultés intellectuelles et sociales de l’homme se trouvent en germe chez les animaux, a des implications évidentes en morale. Bien au-delà de ce que les cyniques grecs, philosophes les plus hardis sur nos liens avec les animaux, ont osé avancer par les provocations de Diogène de Sinope, il pousse ce continuisme jusqu’à ses ultimes conséquences : « Tout animal, quel qu’il soit, doté d’instincts sociaux bien affirmés, incluant les affections parentale et filiale, acquérait inévitablement un sens moral ou conscience dès que ses capacités intellectuelles se seraient développées au même point, ou presque que l’homme ». Néanmoins, Darwin a considéré le sens moral comme la marque distinctive de l’humain (« de toutes les différences existant entre l’homme et les animaux inférieurs, c’est le sens moral qui est le plus important ») et même il en a fait une sorte de ‘propre de l’homme’ : « Un être moral est quelqu’un qui est capable de réfléchir sur ses actions passées et sur leurs motifs, d’en approuver certains et d’en désapprouver d’autres ; et le fait que l’homme soit le seul qui mérite cette qualification constitue la plus grande différence qui soit entre lui et les animaux inférieurs ». C’est justement sur cette haute idée de la moralité comme marque de l’humanité qu’il a établi une hiérarchie entre les sociétés et a différencié notre civilisation des ‘races inférieures’, expression de l’époque qui l’a fait parfois qualifier de raciste ce qui est un contre-sens. Il prônait au contraire un humanisme antiraciste comme tous les membres de sa famille et de sa belle-famille : « A mesure que l’homme avance en civilisation, et que les petites tribus se réunissent en communautés plus larges, la plus simple raison devrait aviser chaque individu qu’il doit étendre ses instincts sociaux et ses sympathies à tous les membres de la même nation, même s’ils lui sont personnellement inconnus. Une fois ce point atteint, seule une barrière artificielle peut empêcher ses sympathies de s’étendre aux hommes de toutes les nations et de toutes les races ».
Sa morale était utilitariste puisque, d’après lui, les instincts sociaux ne sont pas apparus par la Providence Divine ou comme un but de l’évolution, ainsi que le proclamait Spencer qui confondait complexité et supériorité. Ils se sont développés simplement par une adaptation de certaines espèces à leur mode de vie. Pour lui, les instincts sociaux ne sont chez l’homme que des pulsions que l’éducation oriente pour une meilleure adaptation au milieu. Darwin fait appel à la fois à l’inné et à l’acquis, au lieu de les opposer comme beaucoup le font encore, l’être humain n’ayant pas la capacité innée de distinguer le bien du mal, comme on l’observe chez les jeunes enfants ou à travers la diversité des moralités interculturelles. La morale est désacralisée et l’altruisme n’est qu’un égoïsme au second degré, la résultante d’un intérêt collectif, ce qui n’enlève rien à sa valeur : « Ainsi se trouve écarté le reproche de placer dans le vil principe de l’égoïsme les bases de ce que notre nature a de plus noble ; à moins, cependant, qu’on appelle égoïsme la satisfaction que tout animal éprouve lorsqu’il obéit à ses propres instincts, et le regret qu’il ressent quand il en est empêché. »
ANTISPECISTE AVANT L’HEURE
Ainsi dans La descendance de l’homme, Darwin se démarque nettement de Spencer et de Malthus : loin de conseiller l’abandon ou l’élimination des plus faibles, il va jusqu’à encenser une civilisation où l’on protège ‘les idiots, les estropiés et les malades’ ! Darwin ne se contentait pas de l’écrire, il pratiquait quotidiennement la charité chrétienne sans pour cela croire au paradis comme son épouse. Les témoignages concordent pour reconnaître que c’était un homme de bien, bon fils, bon époux, bon père de famille, ami fidèle et tolérant, préférant ses enfants et ses recherches aux honneurs et à l’argent, aimant passionnément la nature, les plantes et les animaux, un être extrêmement sensible qui a abandonné ses études de médecine pour ne pas voir couler le sang, assister aux dissections et entendre crier les patients, ému par les misères et les souffrances du monde humain aussi bien qu’animal.
Dans un de ses carnets de notes[18], il exprime cette compassion : «Nos animaux, nos compagnons, nos frères dans la douleur, la maladie, la mort, la souffrance et la famine, nos esclaves dans les travaux les plus pénibles, nos compagnons dans nos divertissements, il se peut qu’ils participent de notre origine dans un ancêtre commun, il se peut que nous soyons tous liés ensemble. » Il ne supportait pas les mauvais traitements aux animaux que ce soit pour les chiens de cirque ou les chevaux de trait et il fut tourmenté pendant longtemps pour avoir corrigé un chiot ! Il réduisait ses collectes naturalistes au strict minimum et cessa la chasse, comme il le décrit plaisamment dans son Autobiographie écrite pour sa famille : « Les instincts primitifs du barbare cédèrent lentement la place aux goûts acquis de l’homme civilisé »… Bien que scientifique expérimentaliste, il a soutenu l’action de son gendre pour obtenir une loi encadrant la vivisection et il a adressé au Times une lettre publique de soutien. En 1871, il répondait au professeur Ray Lankester : « Vous demandez quelle est mon opinion au sujet de la vivisection. Je conviens parfaitement qu’elle peut se justifier pour de véritables investigations physiologiques, mais non par une curiosité condamnable et détestable. C’est un sujet qui me rend malade d’horreur, et pour cette cause, je désire ne plus dire un seul mot, autrement je ne dormirai pas de la nuit. »
Darwin, qui est considéré comme le fondateur de l’évolution, de l’éthologie et de l’écologie, peut donc aussi être présenté comme un précurseur de l’éthique animale[19]. En dehors de l’exemple précédent, il ne s’est jamais exprimé publiquement sur ce sujet comme l’ont fait Montaigne, Vinci, Hugo, Zola ou Tolstoï. Mais d’une part, la théorie de l’évolution fournit les fondements objectifs de l’antispécisme en prouvant que la supériorité de notre espèce sur les autres est un jugement subjectif et non une donnée scientifique, que ce que l’on a appelé à tort le propre de l’homme se trouve déjà en germe chez l’animal comme l’a confirmée l’éthologie moderne. D’autre part, bien que la réserve naturelle de Darwin soit le contraire de l’activisme vegan d’aujourd’hui, les exemples dans sa vie quotidienne abondent de sa sensibilité à la souffrance animale et même -pour une fois dans sa vie et cela est d’autant plus remarquable- de son engagement social : un fermier voisin ayant laissé mourir de faim ses moutons, cet ennemi des polémiques réunit les preuves et porte l’affaire en justice. Autre anecdote significative, son fils Francis rapporte qu’il rentre tout ému de promenade : sorti de sa réserve habituelle, il s’est querellé violemment avec un cocher qui maltraitait un cheval malade…
Cette sensibilité extrême à la souffrance animale et humaine ne cadre pourtant pas avec le portrait que Darwin a voulu donner de lui-même. La science académique s’appuie sur ses déclarations prudentes qui, en effet, paraissent claires et distanciées de toute revendication sociale, mais que je considère comme des écrans de fumée destinés à éviter les controverses stériles. Par exemple, Guillaume Lecointre, Professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, considère que la théorie de l’évolution n’a pas de message philosophique à transmettre[20]. Un scientifique qui veut lui donner cette fonction serait aussi condamnable que l’émule trop zélé de Darwin, Spencer, avec son darwinisme social. Je ne partage bien sûr pas cette analyse. Nous classer parmi les autres espèces ou assumer que les plus hautes facultés intellectuelles et morales de l’homme se trouvent au moins en partie chez les autres mammifères n’a pas seulement des implications scientifiques mais aussi philosophiques et éthiques, malgré ce qu’en dit Darwin lui-même pour éviter les polémiques sociétales qui auraient nuit à la diffusion de sa théorie de l’évolution. Il a volontairement limité le débat à la pure biologie pour ne pas se perdre dans des discussions stériles qui ne l’intéressaient pas et qui auraient fait de l’ombrage à son œuvre maitresse. Pourtant les faits qu’il a démontrés induisent des valeurs dont chacun est juge mais qui s’imposent à nous comme à lui. C’est aussi la position de Patrick Tort, qui est allé jusqu’à intituler un de ses livres ‘La seconde révolution darwinienne’[21] pour bien la distinguer de la première, purement scientifique et seule à être revendiquée par Darwin.
Mon interprétation est proche aussi de celle de Richard Dawkins qui considère dans ‘Pour en finir avec Dieu’[22] que la réfutation du créationnisme n’est pas neutre et anodine en matière religieuse. Darwin -dont ce professeur de biologie à Oxford est comme moi un admirateur- ne nous donne pourtant pas raison puisqu’il évitait de se déclarer athée par tempérament pacificateur. Sa subtile stratégie de communication a été gagnante puisqu’il repose à l’Abbaye de Westminster après avoir prouvé que la Bible est un ancien conte mythologique ! A la limite de la manipulation, nous l’avons même vu rajouter entre la première et la deuxième édition de L’origine des espèces une phrase de conclusion pour faire croire qu’il était déiste comme la plupart de ses contemporains alors que ses écrits personnels prouvent le contraire… S’il est exact que la sélection naturelle aveugle et dépendant du milieu rend caduque toute notion de ‘destinée’, la théorie de l’évolution –et c’est son originalité en science- induit des valeurs morales dont il est difficile de ne pas tenir compte, en matière de religion comme le prétend Dawkins et en matière de morale comme je le suggère avec Patrick Tort. Instruit par l’échec de la tentative de son grand-père et de Lamarck à démontrer l’évolution des espèces à cause des conséquences religieuses et morales de l’évolution, Charles Darwin s’est bien gardé de revendiquer les implications sociales de sa théorie scientifique. Ce n’était pas nécessairement de l’hypocrisie car sa bonne entente avec son épouse et ses amis intimes témoigne du fait qu’il respectait profondément les croyants bien qu’il ne partagea pas leurs convictions.
Pourtant le darwinisme a non seulement des implications sociales mais militantes en matière de cause animale et les actes comme les écrits intimes de Darwin prenant la défense des animaux, témoignent qu’il ne s’agit pas d’une interprétation subjective. Voici ce qu’en disait récemment Afeissa, un philosophe de l’éthique : « La critique du spécisme, en entendant par-là l’idée selon laquelle l’appartenance spécifique suffit à fonder un certain nombre de privilèges moraux, aurait-elle pu devenir ce qu’elle est devenu en éthique animale, c’est-à-dire un véritable cheval de bataille, si elle n’avait reçu une impulsion décisive de la théorie de la descendance avec modification, de l’idée de l’arbre phylogénétique liant les diverses formes de vie les unes aux autres, en rupture avec cette représentation de l’homme qui consiste à le situer dans une hiérarchie de l’être qui serait un ordre de perfection ? [23] »
Comment continuer à se croire d’une essence différente des autres espèces (essentialisme) et d’une essence supérieure (ethnocentrisme dans nos rapports avec les ‘primitifs’ et anthropocentrisme dans nos rapports avec les ‘bêtes’) quand nous faisons dorénavant partie de la même famille ? Comment mépriser ses cousins et ses frères, les exploiter, les martyriser ou les manger sans se poser de questions, sans se demander si on est complice et si les animaux ont des droits ? Ne serait-ce que par respect de soi-même, par dignité humaine comme le préconisait le philosophe Emmanuel Kant qui estimait, comme Luc Ferry aujourd’hui, que les animaux n’ont pas de droits mais que l’homme a des devoirs envers eux comme envers les enfants, les vieillards et les malades mentaux.
C’est d’ailleurs la position morale qu’a adopté Darwin dans sa vie quotidienne puisque ce prudent incroyant affichait publiquement son désaccord envers ceux qui font du mal aux animaux, se disputant dans la rue avec un cocher ou attaquant un berger en justice, lui qui fuyait pourtant les débats académiques. Lorsqu’il déclare tolérer les expérimentations médicales dans une interview, il clôt le débat en disant que cette évocation lui est insupportable et va lui donner des cauchemars, ce qui prouve que son investissement est au moins autant affectif que rationnel ! Il a aussi condamné la vivisection avec une véhémence digne d’un militant de la cause animale et pas d’un collègue de Claude Bernard… Bref, Darwin ne me parait pas, malgré ses dénégations et les apparences qu’il a sauvées afin d’éviter les polémiques, un savant ignorant du monde, même s’il détestait la confrontation. Ses prises de position écrites en faveur des animaux sont d’ailleurs parfois plus radicales à l’époque que celles des partisans actuels du bien-être animal. Pour prendre le contre-pied de la conclusion de Guillaume Lecointre dans l’article cité précédemment, la théorie darwinienne (ou néodarwinienne) de l’évolution véhicule, en elle-même, autrement plus de valeurs que la théorie de la gravité universelle ou celle de la dérive des continents !
DARWIN MORALISTE[1]
Pierre Jouventin,
Longtemps Directeur de recherche CNRS en éthologie & Directeur de laboratoire CNRS d’écologie
[1] Cet article sur la morale est un abrégé et une adaptation du livre de Pierre Jouventin, La face cachée de Darwin, paru en 2014 chez Libre & Solidaire.
[2] Cette thèse lamarckienne délaissée vient de trouver ces dernières années, dans le cadre du darwinisme, une explication scientifique par l’épigénétique, les gènes s’exprimant plus ou moins selon le contexte environnemental.
[3] Pour s’en faire une idée, lire les livres grand public de Frans de Waal en particulier L’âge de l’empathie (2010 ; L.L.L.) et celui d’Yves Christen, L’animal est-il une personne ? (Flammarion; 2009).
[4] En particulier ceux de Jean-Baptiste Jeangéne-Vilmer et Stéphane Afeissa qui publient des traductions et synthèses des auteurs américains.
[5] Lire par exemple Si les lions pouvaient parler dirigé par Boris Cyrulnik, Le silence des bêtes d’Elisabeth Fontenay, L’animal est l’avenir de l’homme de Dominique Lestel. Pour se faire une idée de l’éthique animale, le Que sais-je ? de Jeangéne-Vilmer est remarquable dans sa concision.
[6] Professeur d’immunologie et auteur de Dans la lumière et les ombres-Darwin et le bouleversement du monde réédité chez Fayard/Seuil en 2011.
[7] Rapporté plus en détail par Yves Christen dans Marx et Darwin, 1981, p.33-34.
[8] Desmond Adrian & James Moore, 1991, The life of a tormented evolutionist, Norton and Cy.
[9] Interview de l’historien des sciences James Moore dans L’Express hors-série de 2009 sur Darwin, p.18.
[10] Pour plus de détails, lire de Pierre Jouventin « La domestication du loup », article paru dans Pour la Science de janvier 2013 et « Kamala, une louve dans ma famille », livre publié en 2012 chez Flammarion, ainsi qu’en 2014, Trois prédateurs dans un salon- Le chat, le chien et l’homme’, livre paru aux éditions Belin.
[11] La Recherche d’avril 2006, p.51-52.
[12] Lire sur ce sujet le livre de Guillaume Lecointre, Les sciences face aux créationnismes, paru en 2012 aux éditions Quӕ, et en particulier la discussion.
[13] Yves Christen, 1981, Marx et Darwin-Le grand affrontement, Albin Michel, p.15.
[14] Toutes les dérives du darwinisme (eugénisme, capitalisme, marxisme, anarchisme, nazisme, etc…) sont passées en revue dans le livre de Pierre Jouventin La face cachée de Darwin publié en 2014 par Libre & Solidaire.
[15] Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Flammarion, 1988, p.77 et fin.
[16] Jérome Ravat, Morale darwinienne et darwinisme moral dans Les mondes darwiniens - L’évolution de l’évolution paru chez Syllepse en 2009, p.911. Nous avons emprunté les citations de Darwin sur la morale à cet auteur.
[17] Charles Darwin, 1874, La descendance de l’homme et la sélection sexuelle, Schleicher, pp.87-88.
[18] Cité par Georges Bringuier dans Charles Darwin-Voyageur de la Raison paru aux éditions Privat en 2012, p.264.
[19] Rachels James, 1990 , Created from animals : the moral implications of darwinism, Oxford, University press.
[20] La théorie darwinienne de l’évolution dérange toujours les créationnismes, article de Guillaume Lecointre paru dans la revue de l’AFIS Science et pseudo-sciences, pp. 65-75.
[21] Patrick Tort, 2002, La seconde révolution darwinienne, éditions Kimé.
[22] Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, réédition en 2009 chez Perrin-Tempus.
[23] Hicham-Stéphane Afeissa, 2012, Nouveaux fronts écologiques-Essais d’éthique environnementale et de philosophie animale, Vrin, p.114.
Première erreur: vous ignorez que Darwin à formulé une théorie de l’hérédité des caractères acquis dans son ouvrage de 1868. Lamarck ne fait qu'en exposer les principes, que tout le monde admettait depuis Aristote.
Le débat que vous soulevez a déjà été tranché, il y a un siècle...
Félicitations et remerciements pour ce formidable article.
Merci Didier pour vos encouragements. Il est vain de soumettre ses analyses au lecteur inculte ou perturbé. Mais il est agréable d’échanger avec un esprit ouvert et lucide.
Cet article m'a bouleversé.
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