Raisonnement et connaissance : deux types de connaissances ? (1/3)

Public ciblé : Tout public, lycéen·ne·s 

Petite introduction : 

Cet article est un extrait adapté de travaux de thèse de l'auteure. Premier d'une série de trois articles qui questionne sur le lien entre raisonnement, connaissances et mémoire, il offre une introduction aux différents types de connaissances.

 

Le raisonnement fait partie des fonctions exécutives chez l’humain [Chraibi Kaadoud & Delmas, 2018]. Il s’agit d’un processus cognitif de haut niveau qui permet à un individu de s’adapter à son environnement en fonction des informations perçues, de son expérience et de son objectif [Dubuc, 2002]. Cela permet par exemple de faire face à des situations complexes, d’interagir avec son environnement, ou encore d’établir des plans. Lors du processus de raisonnement, deux types de connaissances sont sollicitées : les connaissances explicites et implicites [Dienes et Perner, 1999].

Connaissances explicites : ce que je sais exprimer

Les connaissances explicites [Smith, 2001; Dienes et al., 1991] sont l’ensemble des connaissances qu’un individu peut mémoriser et récupérer consciemment puis exprimer par le langage. Elles sont souvent apprises sous forme verbale. Elles sont associées à la mémoire explicite (figure A) qui concerne l’ensemble des événements biographiques (mémoire épisodique) et la mémoire des concepts et des objets (mémoire sémantique) [Squire, 1992; Squire et Zola1996].

Ces connaissances, formalisables et transmissibles, sont exprimables par l’individu et peuvent donc être stockées sur un format extérieur (document, rapports, etc.). Elles sont considérées facilement extractibles [Nonaka et Takeuchi, 1995] puisque facilement verbalisable.

 

Connaissances implicites : ce que je sais faire

Les connaissances implicites sont non exprimables et sont celles dont l’individu n’est pas conscient [Schacter, 1987]. Elles sont liées à la mémoire implicite (figure 1). L’apprentissage de telles connaissances est implicite : c’est par l’imitation, la pratique, le vécu et l’expérience, qu’un individu acquiert ce type de connaissances. Elles regroupent les connaissances procédurales (liées par exemple aux capacités motrices comme faire du vélo), celles liées à la mémoire perceptive (mémoires des formes, des couleurs, des odeurs, des sons), celles des réflexes et des apprentissages non-associatifs comme l’habituation et la sensibilisation [Squire, 1992; Squire et Zola, 1996]. Ces connaissances sont importantes car elles sont associées au vécu d’une personne et ont une incidence directe sur le raisonnement. Dienes et Berry [1997] présentent la connaissance implicite comme inflexible, inaccessible et liée à la nature de l’information (i.e. aux caractéristiques du matériau) utilisé lors de l’apprentissage.

Figure A - Différentes mémoires à long terme. Image adaptée de Squire [1992]

La compréhension de ce type de connaissance, son acquisition et son extraction ont fait et font encore l’objet de nombreux travaux de recherche. Il existe notamment un paradoxe dans cette connaissance implicite : c’est à la fois la plus recherchée (liée à l’individu, elle porte plus d’information que des données [Malhotra2000; Crié, 2003], mais c’est aussi la moins accessible.

Or quand il convient de partager son savoir avec autrui, surtout son expertise, son savoir-faire et son expérience, sur un domaine en particulier, c’est l’ensemble des connaissances implicite et explicite qu'il faudrait partager.

En entreprise par exemple, le partage et la transmission des connaissances est un réel axe stratégique. L’extraction de l’expertise, c'est à dire des compétences spécialisées et poussées dans un domaine, est d’autant plus complexe qu’il existe plusieurs stades d’acquisition de ces compétences en fonction desquels, les experts peuvent ou non verbaliser leurs connaissances [Hoffman, 2014].

En effet, notre cerveau transforme les connaissances acquises au fur et à mesure que l'on monte en compétences. Conduisez-vous aujourd'hui comme lors des premiers jours de l'obtention de votre permis? Il est fort probable que non !

Que retenir ?

Il existe deux types de connaissances : celles explicites qui peuvent être acquises via un effort conscient pour les apprendre (définitions, nouveaux concepts, numéros de téléphone, règles de conduite, etc.) et celles implicites qui sont apprises à notre insu, par la répétition, l'imitation et l'expérience. Ces deux types de connaissances sont importantes pour un individu car c'est l'ensemble des deux qui façonnent les individus que nous sommes. En effet, lire, comprendre et apprendre l'ensemble du code de la route ne remplace pas une réelle expérience de conduite, car c'est par l'expérience que nous développons de nombreux reflexes. Pourtant c'est l'ensemble des deux qui permet de faire de nous de bons conducteurs et de bonnes conductrices.

Si les moyens d'acquisition des connaissances explicitent semblent claires (lecture, transmission verbale et apprentissage par coeur), comment acquiert-on celles implicites ? par quels mécanismes une expérience devient-elle une connaissance implicite ?

Ceci est une autre histoire, un autre article !

Pour citer cet article : 

Chraibi Kaadoud I., Raisonnement et connaissance : deux types de connaissances (1/3) ?. Publication sur le blog de https://scilogs.fr/intelligence-mecanique, Février 2019

Références 

  • Chraibi Kaadoud, Ikram et Delmas, Alexandra. 2018. La cognition ou qu'est-ce que les sciences cognitives?. Publication sur le blog de https://scilogs.fr/intelligence-mecanique, URL : https://scilogs.fr/intelligence-mecanique/la-cognition-ou-quest-ce-que-les-sciences-cognitives/
  • Crié, Dominique, 2003. De l’extraction des connaissances au knowledge management. Revue française de gestion, (5) :59–79.
  • Dienes, Zoltan et Berry, Dianne, 1997. Implicit learning : Below the subjective threshold. Psychonomic bulletin & review, 4(1) :3–23.
  • Dienes, Zoltan, Broadbent, Donald et Berry, Dianne C, 1991. Implicit and explicit knowledge bases in artificial grammar learning. Journal of Experimental Psychology : Learning, Memory, and Cognition, 17(5) :875.
  • Dubuc, Bruno, 2002. Mémoire et apprentissage. URL : http://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_07/i_07_p/i_07_p_tra/i_07_p_tra.html
  • Hoffman, Robert R, 2014. The psychology of expertise : Cognitive research and empirical AI. Psychology Press.
  • Malhotra, Yogesh, 2000. Knowledge management and new organization forms : A framework for business model innovation. Knowledge management and virtual organizations, 2(1) :13–27.
  • Nonaka, Ikujiro et Takeuchi, Hirotaka, 1995. The knowledge-creating company : How Japanese companies create the dynamics of innovation. Oxford university press.
  • Schacter, Daniel L, 1987. Implicit memory : History and current status. Journal of experimental psychology : learning, memory, and cognition, 13(3) :501.
  • Smith, Elizabeth A, 2001. The role of tacit and explicit knowledge in the workplace. Journal of knowledge Management, 5(4) :311–321.
  • Squire, Larry R, 1992. Declarative and nondeclarative memory : Multiple brain systems supporting learning and memory. Journal of cognitive neuroscience, 4(3) :232–243.
  • Squire, Larry R et Zola, Stuart M, 1996. Structure and function of declarative and nondeclarative memory systems. Proceedings of the National Academy of Sciences, 93(24) :13515–13522.

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