« Attention à ce que vous dites » : quand Douillet parle à nos neurones dopaminergiques

16.10.2013 | par Sébastien Bohler | Non classé

C’est la phrase de la semaine. On pourrait presque dire une phrase culte du niveau de : « Allo, non mais allo quoi ! ». Qui en est l’auteur ? David Douillet, double champion olympique de judo et député des Yvelines. Ça s’est passé au cours de l'examen de la réforme des retraites, cliquez sur l'image pour la vidéo:

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Vous avez bien compté : cinq fois la phrase « Attention à ce que vous dites », et huit fois « attention », comme pour mieux souligner. Douillet joint le geste à la parole, il est clair qu’il sent l’odeur du tatami.

Qu’est-ce qui fait qu’elle fonctionne, cette phrase ? C’est une anaphore, répétition d’un même groupe de mots pour en souligner l’importance et scander le propos, lui donner un rythme, un pouvoir d’ancrage. La plus célèbre anaphore jusqu’à Douillet (et elle le restera sans doute encore), c’est le fameux « Moi, président de la république », de François Hollande, en 2012 face à Sarkozy dans l’entre-deux tours de la présidentielle.

Le numéro de Hollande en 2012 aide à comprendre le mécanisme si particulier à ces répétitions. Tout le monde a ressenti cela pendant le débat présidentiel : « quand va-t-il s’arrêter » ? A chaque retour de la locution « Moi, président de la république », nous nous disions: « Non, il ne va pas encore le dire une fois de plus ! » Mais si. Une fois de plus. Au total, seize fois. Le cerveau du téléspectateur, au fil de ce processus, est placé dans une posture d’attente. Il attend le retour de l’anaphore, et elle revient. Le cerveau est littéralement magnétisé.

Que se passe-t-il donc au fin fond de nos neurones ? Par chance, les neurosciences sont arrivées à un point de maturité exceptionnel pour décrire ce genre de phénomènes liés à l’attente d’une répétition. De nombreux travaux, initiés par le neurobiologiste Wolfram Schultz il y a une dizaine d’années, concourent à montrer que notre cerveau possède un système dont la fonction est d’établir des prédictions. Dès qu’il constate une régularité dans certains processus, il s’attend à ce que le même événement se produise. Les neurones qui établissent ces prédictions, et qui attendent l’arrivée d’un événement prévisible, sont des neurones dits dopaminergiques : ils fonctionnent avec de la dopamine, une molécule traditionnellement associée au plaisir.

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Notre cortex cingulaire antérieur établit des prédictions sur ce qui peut arriver dans un avenir proche ou lointain.

Est-ce à dire que ces neurones nous donnent du plaisir quand la prédiction est réalisée ? Pas vraiment. En fait, Schulze a constaté qu’ils libèrent de la dopamine lorsque nous faisons une prédiction (par exemple, la prédiction suivante : Douillet va redire « attention, faites attention à ce que vous dites ») mais que nous ne sommes pas sûrs que cette prédiction va se réaliser. En fait, ces neurones sont sensibles à l’incertitude. Face à David Douillet debout dans l’hémicycle, nos neurones dopaminergiques forment une prédiction, selon laquelle il pourrait le dire une fois de plus. Mais nous sommes évidemment sur les charbons ardents, et nous ne pouvons pas croire qu’il va continuer indéfiniment. Ce qui nous magnétise, c’est ce jeu de roulette, cette incertitude sur le fait qu’il va y avoir ou non un «Attention! » de plus.

Mais le processus finit par s’arrêter, et là encore, il se produit quelque chose dans notre système dopaminergique. Notre cerveau ayant fait la prédiction que Douillet allait redire une fois de plus « attention », cette prédiction est finalement déjouée. Tout récemment, des neurobiologistes de Baltimore ont montré que des neurones bien particuliers du cerveau produisent un signal qu’on appelle « erreur de prédiction » : ces neurones nous disent que notre prédiction était erronée, et que le judoka ne le redira plus. Geoffrey Schoenbaum et ses collègues ont montré que ce signal d’erreur de prédiction est capital pour apprendre : c’est en prenant en compte nos erreurs de prédiction que nous adaptons nos attentes et nos comportements (c’est ce que nous faisons lorsque nous faisons confiance à une personne et que celle-ci trahit cette confiance. Nos neurones d’erreur de prédiction nous disent de ne plus nous fier à elle à l’avenir).

Douillet fait donc fonctionner notre système de prédiction cérébral, ce qui explique en partie que le temps semble suspendu autour de lui. L'autre partie de son succès étant certainement due au fait qu'on se demande s'il va aller faire un o'sotogari à la pauvre Joëlle Huillier. La députée Véronique Massonneau avait eu bien plus de mal à obtenir des excuses de Philippe Le Ray pour les caquètements de la semaine dernière.


2 commentaires pour “« Attention à ce que vous dites » : quand Douillet parle à nos neurones dopaminergiques”

  1. patricedusud Répondre | Permalink

    Puis-je vous signaler une petite coquillette dans votre texte fort passionnant et original?
    Vous écrivez "je judoka" au lieu de "le judoka".

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