Cahuzac, le grand maître de la mémoire

Il ne se souvient plus. La fameuse réunion à l’Elysée, avec le président de la République, le ministre de l’économie et le premier ministre, il l’a oubliée. C’est fini, effacé. Tous ceux qui auraient voulu savoir si  le Président et le principal intéressé avaient échangé sur l’affaire des comptes suisses, en seront pour leurs frais. D'ailleurs, c’est clair comme de l’eau de roche, il suffit de voir sa mine terne, son regard fixe, il n'y a plus rien là-dedans, regardez, le passage important est à 3'12''.

Il est fort, Cahuzac. Oublier sur commande, vous vous rendez compte ? Le rêve pour un agent secret. Même sous la torture, il ne dira rien, forcément, car il a oublié. James Bond est relégué aux oubliettes. Mais comment a-t-il fait ?

A mon avis, les scientifiques devraient se pencher sur son cas. Car il a forcément recouru à l’une des quatre méthodes suivantes, et dans ce cas, il aura été le premier être humain à tenter ce qui, pour l’instant, a été réalisé seulement en laboratoire.

1) L’effacement chimique des souvenirs.

Cahuzac a eu accès, par l’intermédiaire d’un ami haut-placé dans la recherche, d’un deuxième frère caché ou d’un cousin neurobiologiste, à des pilules de l’oubli. La recherche a proposé plusieurs pistes intéressantes ces dernières années. Par exemple, le composé SL327 testé à l’Inserm, qui permet d’effacer le souvenir d’un lieu associé à une prise de drogue. Ce produit fragilise les connexions cérébrales qui matérialisent le souvenir, au moment où il est remémoré. Mais il aurait fallu que Cahuzac sniffe de la cocaïne en salle de réunion en présence de François Hollande, ce qui paraît peu probable.

2) La création de faux souvenirs.

Cahuzac s’est rendu directement dans un centre de recherche sur le cerveau. Il a eu vent, par un collègue suisse, de recherches menées au MIT sur les faux souvenirs créés à partir de flashes lumineux. Il a pris un jet affrété par l’UBS et s’est fait exfiltrer, en grand secret, jusqu’au laboratoire du Massachusetts ou l’on teste cette méthode sur des souris. La méthode consiste à reconfigurer les circuits cérébraux des souris de manière à ce que les petits animaux croient avoir vécu un événement traumatisant (un choc électrique) ailleurs que là où cela a vraiment eu lieu. Pour cela, il suffit d’activer les neurones qui créent la représentation mentale d’un autre lieu, avec des flashes lumineux microscopiques directement dans le cerveau, dans une zone nommée hippocampe où se trouvent des neurones codant le lieu où l’on se trouve.

Les neurones activés chez des souris pour leur créer de faux souvenirs.

Reste à savoir si l’hypothèse est plausible. Il aurait fallu que Cahuzac soit traumatisé par la réunion à l’Elysée (Hollande peut-il faire peur à ce point ?). Et puis, là où le bât blesse, c’est qu'en cas d'une telle manipulation, Cahuzac aurait déclaré que la réunion avait bien eu lieu, mais dans ses toilettes, ou sur la muraille de Chine, ou sur la Lune, enfin bref, en tout lieu que les scientifiques du Massachusetts auraient bien voulu lui implanter dans la cervelle. Mais connaissant le bonhomme, il aurait pu mentir par omission, en disant de bonne foi que cette réunion (celle qui est supposée avoir eu lieu à l’Elysée) n’a jamais eu lieu. Et c'est vrai - ha ha - puisque c’était sur la muraille de Chine.

3) L’hypnose.

Cette fois, Cahuzac se rend chez maître Voltan, hypnotiseur de renom, pour se faire extraire de la tête tout souvenir de la réunion compromettante. Il a accepté de subir une amnésie post-hypnotique, acceptant de se faire modifier l’activité cérébrale dans trois zones essentielles pour la récupération des souvenirs : les aires préfrontale, occipitale et temporale.

Dans le Sortilège du scorption de jade, Maître Voltan ordonne à ses cobayes de ne rien retenir de la soirée hypnose.

L’amnésie post-hypnotique, un état bien connu des hypnotiseurs de music-hall et de certains réalisateurs (Woody-Allen dans le Sortilège du scorpion de jade mettait en scène un héros et son héroïne qui s’embrassaient sur scène un soir et avaient tout oublié le lendemain ; Park Chan-wook imaginait dans Old Boy l’histoire terrible d’un père tombant amoureux de sa fille et demandant à oublier leur lien de parenté pour pouvoir vivre sa relation) a été étudié en détail à l’Institut Weizmann de Rehovot en Israël, ce qui a permis de révéler cette modification de l’activité cérébrale.

Le cortex préfrontal dorsolatéral est impliqué dans l'oubli suggéré par l'hypnose.

4) L’oubli volontaire

Cahuzac s’est répété pendant trois jours et trois nuits : je veux oublier cette réunion, je veux oublier cette réunion. L’oubli volontaire est possible, comme l’a montré une étude de l’Université du Colorado en 2006 : des volontaires à qui l’on demande d’apprendre des associations entre des visages et des mots, puis à qui on demande de regarder certains des visages en question sans penser aux mots associés, finissent par perdre la trace de l’association. Seuls question : Cahuzac a-t-il eu le temps, entre ses différentes auditions et menus tracas administratifs ?

Verdict, docteur?

Au vu de ces différentes possibilités, nous pensons que la troisième solution, celle de l’hypnose, est la plus probable. D’ailleurs, le ton de Cahuzac, ses mouvements de tête et son regard fixe, laissent penser à un état hypnotique. Ce qui laisse un espoir de voir la vérité éclater : l’état d’amnésie post-hypnotique peut être levé par un ordre d’annulation, un mot clé détenu par l’hypnotiseur. Nous cherchons donc un maître Voltan, dont nous n’avons rien d’autre que quelques signes cabalistiques inscrits sur un flyer jaune distribué Gare de l’Est, face au Kebab Istanbul-Express : « Oubliez vos ennuis, retour de l’être aimé, malheur sur vos ennemis."

Les chiffres du numéro de téléphone sont illisibles. Maître Voltan, si vous nous lisez, revenez.