Condamné pour une fessée : que disent les psys?

17.10.2013 | par Sébastien Bohler | Non classé

Dès qu’on parle de fessée, les esprits s’enflamment. Violence pour les uns, rappel à l’ordre pour les autres, le cas de ce père condamné par le tribunal correctionnel de Limoges pour avoir donné une fessée déculottée à son fils de neuf ans soulève depuis quelques jours les passions. Le voici, le père, devant la caméra de TF1 :

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Pour la fessée, il en va des usages selon les peuples, aurait dit Voltaire. A quel saint se vouer ? Si la Suède a banni l’usage de la fessée dans ses textes, elle ne sanctionne pas le contrevenant pénalement, mais propose un accompagnement pour amener le parent à évoluer vers d’autres méthodes éducatives. Le Canada a, quant à lui, inscrit le droit à la correction physique dans ses textes de loi. En France, on reste largement attaché à cette pratique associée à la sphère privée, en témoignait un sondage réalisé en 2012, dont les résultats étaient présentés au journal télévisé de France2 :

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Comment poser le débat de façon sensée ? Ce que l’on reproche à la fessée, c’est le terme de « violence ». Et certains d’arguer que la fessée est une école de la violence, qui encouragera l’enfant devenu adulte à recourir à la violence pour résoudre les conflits.

L’hypothèse est a priori sensée. Est-elle vérifiée ? Je ne dispose pas d’éléments en ce sens; peut-être existent-ils ; si certains en ont, ils peuvent les communiquer. En revanche, une chose est certaine, la violence à l’égard des enfants existe, avec des conséquences insoutenables : un enfant meurt chaque jour en France sous les coups de ses parents. Nous signalions à cet égard dans Cerveau & Psycho l’ouvrage salutaire du psychiatre Gérard Lopez, paru cette même année.

Mais il serait sans doute abusif d'assimiler cette violence à la fessée. Au milieu du reportage de France 2, une phrase intéressante sort de la bouche de cette dame (le passage est à 1'02'') : « Quand c’est bien c’est des bisous, quand c’est mal c’est des petites fessées ». Que dit-elle ? Que le corps de l’enfant est le lieu de petits apprentissages. Que le corps reçoit en permanence des messages. Rappels à l’ordre (douleurs modérées) ou encouragements (tendresse). La question du corps semble centrale, impossible à escamoter.

Le rôle du corps de l'enfant

Escamoter le corps n’est pas sans conséquence. Aux Etats-Unis, des mouvements voient le jour pour rétablir les caresses et les bisous aux enfants. La psychologue Tiffany Field déplore que les Américains aient prohibé ces pratiques, jugées pédophiles. La fessée, autre contact corporel non « politiquement correct » est aussi publiquement réprouvée. Le corps de l’enfant se trouve alors, dans une certaine mesure, déserté, l’adulte étant hanté par cette crainte bicéphale : la pédophilie d'un côté, la violence de l'autre. L'enfant seul avec son corps, sera-t-il plus à l'aise avec sa sexualité et son agressivité? La société qui en résulte est-elle moins violente et moins sujette aux abus sexuels que d’autres ?

Le contact corporel fait partie de la vie humaine. Mais évidemment, accepter ce rapport suppose d’envisager les deux pôles de la sensation corporelle : souffrance et plaisir. Un corps sans souffrance et sans plaisir est-il encore un corps ? Une souffrance légère conçue comme un message d’interdiction est-elle à bannir, au profit d’un corps anesthésié ?

Il existe des alternatives, à savoir les sanctions qui ne touchent pas au corps. Un des recours bien souvent employés en lieu et place de la fessée est la culpabilisation : « Tu devrais avoir honte" ou "Ce que tu fais est mal. »

C’est une question de choix, mais étonnamment, la culpabilisation fait autant de mal que la fessée. Freud l’a longuement exploré, et le psychiatre Philippe Jeammet, spécialiste de l’enfance et de l’adolescence, le formule ainsi : « Une fessée peut être préférable à une violence psychologique qui consisterait à culpabiliser l'enfant, ou à une absence de réponse de la part de l'adulte. Il s'agit en tout cas d'une réponse plus saine ».

Aucune sanction n'est agréable

Comment sanctionner sans culpabiliser ? Les parents connaissent tous les privations ou mises à l’écart, du style: « va dans ta chambre ». Là encore, les études sur le cerveau ont montré que les expériences d’isolement (va dans ta chambre) activent les mêmes zones cérébrales que la souffrance physique, mais de façon plus durable.

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Chez les personnes mises à l'écart, une zone de la douleur physique s'active.

On n’en sort pas. Le désagrément fait partie de l’équation, car finalement elle est le message « aversif » qui indique qu’un comportement n’est pas souhaité. Imaginer que l'on puisse poser des limites à un enfant (la fameuse frustration, dont presque tous les psys s'accordent aujourd'hui pour dire qu'elle est indispensable) sans lui causer de désagrément est une cause perdue. Lorsqu'on a accepté cela, fessée ou autre sanction, c'est finalement une question de choix, sachant que toutes peuvent laisser des traces, élever ou abaisser, selon la façon dont elles sont pratiquées.


7 commentaires pour “Condamné pour une fessée : que disent les psys?”

  1. patricedusud Répondre | Permalink

    Il me semble qu'il y a tout de même une différence importante entre une petite tape sur les fesses et un gifle violente ou une fessée "déculottée" pratiquée sur un enfant immobilisé.
    Autant la petite tape (d'ailleurs pratiquée régulièrement dans le sport) peut être qualifié de "contact corporel faisant partie de la vie humaine" autant une gifle d'un adulte pesant 3 à 4 fois le poids d'un enfant et la fessée "organisée" semble plutôt devoir se classer dans la catégorie des maltraitances.
    De toute façon en venir aux mains avec un enfant est clairement un aveu d’échec et je n'ai pas encore vu d'études prouvant que les récompenses corporelles "négatives" avaient une influence positive sur le développement des enfants.

  2. clochette Répondre | Permalink

    assez incroyable quand même d'imaginer que sans fessée, sans punition, sans isolement, sans culpabilisation point de salut!
    Excusez moi monsieur hou ou, allez dans une bonne librairie et vous trouverez plein d'ouvrages qui traitent de façons différentes de poser des limites, sans fessée ni punition. On regroupe cela sous le terme "parentalité positive".
    Recevoir un "non" n'est jamais agréable pour un enfant comme pour un adulte.
    Ca me semble quand même différent d'une souffrance. Personnellement quand quelqu'un n'est pas d'accord avec ce que je fais, c'est jamais agréable pour moi de l'entendre ni de revenir sur mes intentions. Mais supportable. Par contre si cette personne me frappait, m'isolait, me punissait, là oui je serais très en colère.

  3. Soubelet Répondre | Permalink

    Cela fait plusieurs années que l'on a montré les conséquences psychologiques néfastes et à long terme de la fessée (études menées en psychologie et en pédiatrie). Certains psy. défendent ces pratiques? Tous les corps de métier ont leurs lots de bons professionnels et de mauvais professionnels.

  4. Soubelet Répondre | Permalink

    Un mot à l'auteur: Comment et pourquoi encore se référer aux propos de Freud (qui ne reflètent qu'un avis, vieux d'un siècle), quand on a depuis accumulé des données empiriques qui permettent de répondre à la question des effets psychologiques de la fessée?

  5. Magali Répondre | Permalink

    Bonjour,
    Comme certains des commentateurs précédents, je suis fatiguée de constater que les références en matières d'éducation restent aussi partiales que datées en France. Effectivement, il existe des modes éducatifs valides et validées par les neurosciences autres que celui qui consiste à choisir entre un coup, une humiliation ou une éviction. Oui nous savons répondre aux défenseurs de la fessée, ne serait-ce qu'en lisant Olivier Morel ou Jacqueline Cornet. De nombreuses études documentées montrent que la violence et l'exclusion dans l'éducation, aussi minimes soit-elles, s'inscrit dans le corps, jusque dans les gènes.... Il n'y a pas de petit coup, ni de petite tape.....
    En France, si je frappe un adulte, c'est une agression; si je frappe un animal, c'est de la cruauté mais si je frappe un enfant, c'est de l'éducation? Soyons sérieux!
    Et, encore une fois, il n'est pas question de "criminaliser" les parents, il est question d'inscrire dans la loi qu'il est interdit de frapper un enfant, et il y aura à accompagner et former les parents à cela.

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