La science peut-elle sauver Roger Federer?
Roger Federer est une espèce en voie d'extinction. Déjà qu'il n'en existe qu'un specimen, mais en plus il est mal en point. Je propose donc un plan en trois étapes pour le conserver.
Roger Federer est considéré comme le plus grand joueur de l'histoire du tennis. Même ceux qui ne sont pas des inconditionnels de la petite balle peuvent prendre plaisir à le voir jouer. Or, il a été battu hier au second tour d'un tournoi secondaire par un joueur français secondaire, les joueurs français étant eux-mêmes secondaires dans la hiérarchie du tennis. Voici un joli point du match, pour rendre hommage à son adversaire Jérémie Chardy.
Pérenniser la lignée
Comment éviter la chute de Roger Federer dans les profondeurs du classement? Roger Federer vient d'avoir deux autres jumeaux de sa compagne, les petits Leo et Lenny. L'espèce Federer n'est donc pas directement menacée, mais le tennisman l'est bel et bien. Or, il pourrait exister un lien entre les deux événements, je veux parler de la naissance de ses enfants d'une part, et de son avenir de tennisman d'autre part.
La paternité, fatale aux tennismen
D'abord, il y a le problème de la motivation. Federer le disait lui-même: si mes enfants naissent pendant le tournoi de Roland Garros, je ne jouerai pas. Cette décision l'honore: un enfant vaut certainement plus qu'une coupe et qu'une ligne au palmarès. Mais elle vient nous rappeler une autre réalité : la paternité diminue les chances d'un joueur de gagner un grand tournoi. Les statistiques montrent que seuls 8 joueurs dans l'histoire ont réussi à gagner un tournoi majeur en étant pères (sur 115 tournois joués) et aucun ces 10 dernières années.

Jimmy Connors est le seul à avoir surmonté efficacement l'obstacle de la paternité, remportant trois titres majeurs en ayant des enfants.
Heureusement, il y a la science...
Il faut donc intervenir au niveau de la paternité de Roger Federer. Le moment est bien choisi car il vient d'y accéder pour la deuxième fois (il avait déjà deux petits jumelles, sans doute l'habitude d'avoir toujours deux balles au service) et car une recherche fondamentale vient d'être publiée dans le journal Nature par une sommité internationale, la chercheuse française expatriée aux Etats-Unis Catherine Dulac, spécialiste de la biochimie des comportements sexuels dont nous parlions dans un billet précédent à propos de Conchita Würst. C. Dulac a cette fois analysé les neurones de notre cerveau qui changent de fonctionnement lorsqu'un homme devient père. Elle a constaté que certains neurones localisés dans l'aire préoptique médiane (une zone du cerveau qui diffère chez l'homme et la femme) sont responsables de la baisse d'agressivité entre les hommes lorsque survient la paternité. Lorsqu'un homme devient père, ces neurones entrent en action et bloquent ses comportements agressifs. On voit alors Federer baguenauder sur le terrain sans y croire vraiment, pensant au biberon de quatre heures sans parvenir à agresser véritablement son adversaire. Ses neurones préoptiques médians en sont la cause.

L'aire préoptique médiane (ici, medial preoptic nucleus) est une sous-division de l'hypothalamus, et occupe un volume minuscule (la taille d'un grain de sable). Elle régule pourtant des fonctions importantes liées à la copulation ou à l'agressivité.
L'optogénétique au secours de Federer
Catherine Dulac, en bonne neurophysiologiste, a utilisé une technique de pointe pour détailler le rôle de ces neurones de la paternité. Elle a transféré dans ces neurones une protéine d'algue ayant la propriété de convertir la lumière en courants électriques, ce qui provoque une activation des neurones de la paternité. Sur des souris, elle a constaté qu'en éclairant ces neurones, elle provoquait donc de manière artificielle leur activité, et que les mâles devenaient attentionnés vis-à-vis des petits et perdaient leur combativité.

Les mâles chez qui on a détruit les neurones à galanine de l'aire préoptique médiane (une petite zone du cerveau) ne passent plus de temps à construire un nid pour les petits (points rouges à gauche), alors que ceux possédant leurs neurones à galanine passent du temps à construire le nid.
Il faut intervenir sur les neurones de Roger
Mathématiquement, il faudrait donc inactiver ces neurones chez Federer. Catherine Dulac en a prouvé l'efficacité: l'ablation des neurones en question se traduit par un désintérêt des mâles pour les enfants et un regain d'agressivité. Mais sans doute Federer n'accepterait-il pas de se faire détruire des neurones qui lui confèrent tout son instinct protecteur vis-à-vis de sa progéniture. Nous lui proposerions alors cette solution : le découvreur de la technique d'optogénétique, Karl Deisseroth qui a utilisé pour la première fois cette protéine d'algue pour activer les neurones, vient de réussir quelque chose qui pourrait aider notre champion: par des mutations génétiques, il a réussi à modifier la protéine d'algue de manière à ce qu'elle bloque l'activité des neurones au lieu de la stimuler. Il a ainsi créé un interrupteur on/off de l'activité neuronale.

Structure moléculaire de la "canal-rhodopsine", une protéine d'algue capable de transformer la lumière en courant électrique, et donc d'activer à volonté des neurones lorsqu'on les éclaire avec un fin rayon lumineux. Les tracés sur la partie inférieure représentent les courants électriques produits par la protéine.
Un Federer en mode on/off
Je propose donc l'envoi d'une pétition à Catherine Dulac pour qu'elle utilise la nouvelle protéine d'algue génétiquement modifiée de Karl Deisseroth afin de bloquer les neurones de la paternité chez Roger Federer, le temps d'un match ou d'un tournoi. Sitôt l'affaire conclue, Federer pourrait rentrer chez lui et retrouver ses enfants, l'interrupteur étant débranché. Nous aurions pour la première fois un champion à double visage : agressif sur le terrain et doux comme un agneau auprès du berceau.

Récemment, une version modifiée de la canal-rhodopsine a été produite par son inventeur: cette nouvelle protéine a la capacité de bloquer l'activité des neurones (et non de la stimuler) lorsqu'on l'éclaire avec un rayon lumineux.
Tout ça pour quel résultat?
Si les scientifiques et le champion tombaient d'accord pour mettre en place un tel programme, nous pourrions alors, au lieu du Federer poussif du premier extrait, des images comme celles-ci:
Franchement, je trouve que ça donne envie de tenter quelques manipulations génétiques.
Vous n'êtes pas d'accord?
Franchement? NON pas vraiment mais vous non plus bien sûr 🙂
Sinon bravo à Catherine Dulac qui honore les sciences neurologiques françaises.
Il est vrai qu'avec des Stanilas Dehaene, Lionel Naccache et quelques autres la neuroscience est bien représenté en France.