Le système éducatif français, au bord du gouffre?

03.12.2013 | par Sébastien Bohler | Non classé

Les résultats de l’étude PISA sur les compétences des élèves des pays de l’OCDE, réalisée sur plus de 500 000 enfants, viennent d’être rendus publics. Un petit résumé en vidéo :

Dans cette étude internationale, les sept première places sont occupées par des pays asiatiques. Le document accessible en ligne précise que la France se classe 25e, juste derrière la République tchèque, pour les compétences en mathématiques. Globalement, les résultats montrent que le niveau est en baisse, tout en restant dans la moyenne des 64 pays étudiés. Mais c’est surtout l’impact du milieu socio-économique des élèves qui est pire que dans les autres pays. En gros, pour les élèves issus de milieux défavorisés, la situation est très mauvaise. Et les écarts entre bons et moins bons se creusent.

Règle N°1: les enfants aiment apprendre

La réalité, pourtant, est simple et nous ne devons jamais l'oublier. Les enfants aiment apprendre. Quand ils sont reposés, concentrés, qu’on leur explique les choses à leur rythme et en leur donnant le temps, qu’ils ont de l’estime pour la personne qui leur apprend, qu’on les encourage et qu’ils peuvent le faire sans stress, ils apprennent. Et bien. Et vite. Et avec avidité.

L’humanité n’a pu s’extraire des cavernes que grâce à cette capacité viscéralement ancrée dans nos cerveaux. Je l’appellerai cette disposition de nature.

Si un pays comme la France se retrouve en queue de peloton de l’OCDE tout en étant un pays doté d’une économie relativement prospère et d’infrastructures techniques au moins égales à celles des autres, c’est qu’elle a cassé cette disposition de nature.

Comment a-t-on cassé la disposition naturelle d’apprentissage ?

C'est très simple. Reprenons l'énumération de bon sens qui précède, pour nous apercevoir que ses différents éléments ne sont pas réunis.

1) les enfants ne sont pas reposés, et pas concentrés

C’est vrai. Ils sont fatigués. Et il n’est pas nécessaire d’aller chercher midi à quatorze heures pour savoir pourquoi. Ils dorment une heure et demie de moins qu’en 1913. L’éclairage des villes, l’usage des écrans en soirée (télévision, jeux, smartphones, tablettes), le bruit d’un appareil resté allumé, tout cela modifie les cycles circadiens et l’horloge interne du cerveau, qui se repose moins la nuit.

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Ils sont aussi moins concentrés, car les facultés d’attention dépendent des zones antérieures du cerveau, lesquelles ont besoin de s’exercer à la concentration. Or, ces mêmes stimulus de plus en plus envahissants (consoles, textos, y compris en pleine nuit) diminuent l’activité des lobes frontaux en stimulant l’attention au niveau des lobes pariétaux, de façon artificielle et externe. Les facultés de concentration sont en jachère.

2) On ne leur explique pas les choses à leur rythme

Le rapport PISA pointe ce problème comme une spécificité française : ceux qui suivent le rythme réussissent. Les autres décrochent. Aucune raison d’incriminer les enseignants. Ils ont un programme énorme à parcourir, et donc ça va vite. Pas le temps de s’appesantir trop sur une question, le programme doit avancer.

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Le neurophysiologiste Eric Kandel, prix Nobel de médecine en 2000.

Oui, mais l’apprentissage a besoin de temps. Apprendre, c’est modifier son cerveau. On sait, depuis les travaux du neurobiologiste Eric Kandel, prix Nobel de médecine en 2000, que c’est par la répétition que les synapses (connexions cérébrales) se renforcent et ancrent les compétences dans le cerveau. Avoir une liste de compétences pléthorique à aborder, sans pouvoir les imprimer cérébralement par la répétition des exercices, est inutile et vain. Passer plus de temps en classe sur quelques apprentissages-clés, jusqu’à ce que tout le monde dans la classe les ait acquis, est un objectif sûr, sur lequel on peut se reposer. Les enfants avaient 1450 heures de cours par an en primaire en 1912, ils n’en ont plus que 850. Où est passé le temps des apprentissages ? Au passage, cet argument tend à défendre l’idée d’un temps scolaire moins tronçonné, avec des plages de vacances et de week-end moins étendues.

3) Ils n’ont pas assez d’estime pour la personne qui leur enseigne

Quand un enfant aime son prof, il bosse, il reste au contact de la parole apprenante. Je n’aime pas que le débat sur l’enseignement s’alourdisse de pseudo-arguments scientifiques. Les connaissances scientifiques peuvent en effet être invoquées dans un sens ou dans l’autre pour justifier une approche partisane. Mais comme c’est l’exercice ici, je citerai un concept intéressant, la théorie de l’apprentissage social, largement acceptée dans les milieux de la psychologie et de la recherche en pédagogie. La théorie de l’apprentissage social, due au psychologue américain Albert Bandura, explique que l’enfant apprend en contexte social, au contacte de « figures influentes ». Il voit qui est la personne respectée, et s’en inspire. Il l’imite, bien souvent. C’est évidemment un ingrédient fondamental de la transmission des savoirs et des savoir faire.

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Le psychologue cognitiviste Albert Bandura, père de la théorie de l'apprentissage social.

Conséquence : si quelques trouble-fêtes empêchent l’enseignant de faire cours, ou l’insultent, ou dégradent son image ou sa respectabilité, tout tombe à l’eau. C’est d’ailleurs une source de conflit interne et de stress pour certains bons élèves qui se sentent blessés quand le prof est blessé. Même remarque pour la parole parentale qui, dans certains cas, sape la légitimité de la figure influente de l’enseignant.

On objectera que le professeur n’est pas parfait, mais il n’a pas à être parfait. Mieux vaut avoir de l’estime pour un enseignant qui a des failles, qu’aucune estime pour la personne qui est censée vous transmettre quelque chose pendant plusieurs heures par jour.

4) Ils ne sont pas assez encouragés

Il y a plusieurs niveaux dans cette question. Les profs qui parfois ne se rendent pas compte qu’ils sont surtout dans la critique et la correction, alors que la valorisation est aussi importante. Mais surtout l’encouragement social, omniprésent, qui fait défaut. Nous souffrons d’une idéologie silencieuse, qui devient très présente dans les esprits sans que nous en ayons toujours conscience : « il est inutile d’apprendre ». Certains ouvrages commencent à le dire haut et fort. Ce qui est derrière, c’est l’idée que, la connaissance étant disponible en quelques clics sur Internet, à quoi bon l’apprendre ? Malheureusement, c’est au prix de raisonnements de ce type que vous pourrez réparer votre voiture tout seul en regardant sur Internet, sans aller voir votre garagiste. Ou doser votre chimiothérapie tout seul en consultant des cours de cancérologie, sans aller voir votre médecin. Les personnes qui croient qu’une connaissance n’a pas être intégrée à un cerveau et à un corps, sont malheureusement plus nombreuses qu’on ne le croit.

Une chose est certaine : pour les enfants à qui on demande d’apprendre, c’est ingérable. Imaginez qu’on vous mette une pression monstrueuse tous les jours pour avoir des bonnes notes et vous farcir des cours d’histoire-géo, tout en laissant entendre que cela ne sert à rien ? Arrêtons cela, et vite.

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L’autre façon de ne pas encourager les enfants, est de leur faire miroiter le mirage de la réussite à paillettes, instantanée et facile. Vous en connaissez dans toutes les classes, de ces petits garçons et petites filles qui vous disent qu’ils n’ont rien à faire de l’école parce que de toute façon ils veulent être chanteurs. J’en connais, et si vous demandez à vos enfants, ils vous le diront. Merci à la Star Academy, la Nouvelle Star, The Voice, et les autres.

5) Ils ne peuvent pas travailler sans stress

Cela dépend des classes. Mais le stress devient trop lourd dans les écoles de France. Nous publions prochainement l’article de la pédopsychiatre Gisèle George qui est un véritable cri d’alarme. Parmi les premières causes de stress : la compétition qui suinte par toutes les briques de l’établissement. Compétition pour les notes, mais surtout pour des broutilles entre élèves : stigmatisation des minorités, moqueries sur les tenues vestimentaires, hostilités et harcèlement.

harcèlement

Les adultes doivent de nouveau s'intéresser aux enfants

PISA frappe de nouveau à notre porte : la France est le dernier pays pour le nombre d’encadrants adultes par élève. Or, le ratio jeunes-adultes (rapport du nombre d’élèves au nombre d’encadrants) est un très fort prédicteur des troubles et violences dans le groupe. Plus le rapport est élevé (plus de jeunes par encadrant), plus l’ambiance se dégrade. Les enfants ont besoin que le monde adulte soit plus présent, comme régulateur et comme transmetteur.

Comme quoi une évidence simple, présente depuis la nuit des temps entre enfants et adultes (l’enfant est fait pour apprendre, il a cela dans ses gènes) peut être mise en défaut tout aussi facilement dans une société parfois trop complexe. Mettre en pratique l’évidence humaine dans la réalité institutionnelle, c’est sans doute le plus grand défi.

 

 


3 commentaires pour “Le système éducatif français, au bord du gouffre?”

  1. JonquiereT Répondre | Permalink

    Dossier interressant, mais la partie sur le harcèlement est un peut légère.

  2. Conscience Claire Répondre | Permalink

    Bonjour Monsieur Bohler.

    Autre chose, à mon avis, qu’il faut prendre en compte: le taux de réussite au baccalauréat, toutes filières confondues est de 86,8% et le bac général a désormais un taux de réussite qui s’établit à 91,9%. A force de tirer le niveau des épreuves vers le bas et que les correcteurs rajoutent des points aux copies pour éviter les « recalés », on ne s’étonnera plus que nos élèves soient à présent des petits génies en France et médiocres si on les compare aux élèves des autres nations.

  3. Pourlesparentspourleursenfants Répondre | Permalink

    Monsieur Boher, l'après PISA pose toujours question en France en 2014. Avec l'arrivée promise par l'Education Nationale des tablettes au collège, mon article reparle de ce gran oublié PISA! et plus... Cela pourrait vous intéresser.
    http://pourlesparentspourleursenfants.com/?p=628
    Bien à vous

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