Les chimpanzés sont-ils assimilables à des « êtres humains » ?
S’appuyant sur les connaissances en génétique, en neurosciences et en psychologie, une organisation de défense des animaux vient de saisir la justice américaine pour faire reconnaître à ces animaux le statut de « personnalité juridique », comme l’expliquait Le Monde la semaine dernière.

Dans le dernier opus de la Planète des singes, un chimpanzé absorbe une molécule qui stimule la croissance de ses neurones et le rend encore plus "humain".
Les arguments? Les chimpanzés nous sont proches à 98 pour cent génétiquement ; ils présentent des capacités cognitives avancées - mémoire à long terme, capacité de planification, émotions profondes ou conscience de soi.
Ce sont donc des personnes.
Qu’est-ce qu’une personne ?
D’abord, ce qu’on dit des chimpanzés est-il vrai ? En grande partie. Ils ont notamment une forme de conscience de soi, mesurable par un test simple : une tache de couleur est déposée sur le front de l’animal à son insu. S’il porte sa main à son front, c’est qu’il a identifié cette image devant lui comme étant lui-même. Les chimpanzés, comme les enfants à partir de 15-18 mois, le font. Ce que montre cette vidéo comparative d’un enfant et d’un chimpanzé.
Parmi d’autres capacités cognitives élaborées, les chimpanzés éprouvent pleinement la douleur ainsi que d’autres émotions ; ils coopèrent, ont une mémoire lointaine des faits passés et ont une forme de représentation des états mentaux de leurs semblables.
Mais il existe des différences : leur sens de l’équité n’est pas le même que le nôtre : alors que de jeunes enfants savent discerner le mérite d’une personne ou ses intentions complexes, les chimpanzés en semblent beaucoup moins capables.
Alors, personne ou pas personne ?
Accès interdit à toute personne non autorisée
Si la justice américaine veut accorder aux chimpanzés le statut de personne, il faudra sans doute allonger la liste régulièrement. Les éléphants, les dauphins et d’autres animaux pourraient y prétendre aussi. Ainsi, le test de « conscience de soi » (celui du miroir) a été passé par des dauphins et par un éléphant au zoo d’Amsterdam (la séquence commence à 2 : 37).
Les dauphins savent aussi déchiffrer des séquences de gestes pour exécuter des actions avec des objets, ou d’utiliser des outils pour se nourrir. Les corbeaux, eux, ont un bon sens du nombre et une capacité de détection des intentions qui avoisine celle des chimpanzés. Quant aux chiens, ils devinent vers quoi pointe le doigt du maître, ce qui suppose une intégration de l’intentionnalité, qualité reconnue chez les dauphins et qui vient d’être observée également, tout récemment, chez les éléphants, alors que les chimpanzés semblent moins pourvus à cet égard. Et que dire de la pieuvre, dotée de capacités de planification hors du commun ?
Pour la petite histoire, la pie a aussi la capacité de reconnaissance de soi, dans le test du miroir (ici, la pie essaye de toucher la tache qu'on a dessiné sur sa gorge avec son bec) :
Et il faut préciser, comme le souligne l’éthologue Georges Chapouthier, que ces tests de reconnaissance sont visuels et que certains animaux sont plus « auditifs » ou « olfactifs » : ainsi, le chien se reconnaîtrait peut-être dans un miroir olfactif…
Le "continuum humain"
On comprend bien vite ce qui se profile à l’horizon : une fois le statut de personne accordé au chimpanzé, il n’y aucune raison de ne pas faire de même avec d’autres espèces. Et cette étape franchie, d’autres espèces qui leur sont proches pourront prétendre à la même « distinction ». Sans qu'il y ait de limite a priori à ce processus...
La notion d’humanité cesserait alors d’être qualitative, pour devenir quantitative. Il faudrait lui donner un autre nom, comme « degré d’avancement cognitivo-émotionnel ». De quoi revoir notre vocabulaire…
Si bien qu’il n’y aurait plus, d’un côté l’humain, et de l’autre le non-humain, une évolution qui donnerait raison à Claude Lévi-Strauss, lequel dénonçait cette barrière artificielle créée par les cultures occidentales. Car une fois cette barrière établie, il est devenu possible de déplacer la ligne de démarcation entre différents groupes d’humains accordant l’humanité aux uns, et la déniant aux autres, illuminant tristement les drames du siècle passé (et les innombrables génocides des siècles précédents). Voici ce qu’il écrit en 1973 :
« On a commencé par couper l'homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu'il est d'abord un être vivant. Et, en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus. Jamais mieux qu'au terme des quatre derniers siècles de son histoire, l'homme occidental ne put-il comprendre qu'en s'arrogeant le droit de séparer radicalement l'humanité de l'animalité, en accordant à l'une tout ce qu'il retirait à l'autre, il ouvrait un cycle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d'autres hommes, et à revendiquer, au profit de minorités toujours plus restreintes, le privilège d'un humanisme, corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l'amour-propre son principe et sa notion. »
Claude Lévi-Strauss,
« Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l'homme »,
Anthropologie structurale deux,
Plon, 1973, p. 49-55.
A chaque animal sa personnalité
Pour Georges Chapouthier, il est ainsi raisonnable de considérer, au vu de leur monde cognitif, des animaux comme les chimpanzés, les éléphants, les dauphins, les pieuvres, les corbeaux ou les pies, comme des « personnes ». Mais il faut toujours penser au contenu, à la fois juridique et philosophique, de cette « personnalité animale », et non seulement au fait que l’animal en question soit ou non une personne. Selon G. Chapouthier, la personnalité d’une pieuvre n’est pas identique à celle d’un chimpanzé ou d’un homme. Ses caractéristiques comportementales et ses besoins écologiques, notamment, ne sont pas les mêmes.
Vous voyez aussitôt ce que cela implique : reconnaître au chimpanzé le statut de personne, c’est lui reconnaître la plénitude de son être en fonction de ses besoins, de sa constitution et de son environnement. A l’inverse, reconnaître le statut de personne à un singe éduqué dans un environnement urbain, chez de riches particuliers, n’est pas une vraie reconnaissance. Ce qui serait responsable et logique, serait lui reconnaître le statut de personne au sein d’une environnement de forêt tropicale. Or, les mêmes nations qui s’apprêtent à l’identifier comme si proche de nous, contribuent à réduire son habitat comme peau de chagrin, méprisant copieusement cette « personne » qu’elles s’évertuent à reconnaître.
Finalement, ce qui distingue la personne humaine de toutes les autres personnes animales, c’est peut-être son hypocrisie.
Vous y allez un peu fort en écrivant "Finalement, ce qui distingue la personne humaine de toutes les autres personnes animales, c’est peut-être son hypocrisie."
La question posée est une exaspération d'une question plus vaste qui est celle de ne plus considérer la terre et son écosystème comme assujettie à l'homme mais l'homme comme un des acteurs (et quel acteur!) d'un équilibre global qui suppose le respect de la faune et de la flore.
Non pas qu'il n'y ait pas compétition pour se nourrir et survivre mais que notre niveau d'intervention sur ce fragile équilibre a atteint des niveaux inquiétants.
Superbe article!
Il y a en effet un continuum entre tous les être vivants, mais il y a également un "buissonnement", c'est à dire des divergences progressives pour s'adapter à une "niche" écologique, et il y a donc des différences entre des êtres humains et des signes (de même qu'il y en a entre l'homme de Néanderthal et l'Homo-Sapiens.
Ca n'a donc (de mon point de vue) aucun sens de traiter les animaux comme des être humains.
Le problème, c'est de RESPECTER les autres espèces et notre environnement.
En effet, Imaginons que les chimpanzés soient reconnus comme nos "frères humains", est-ce qu'on les massacrerait comme les nazis ont massacrés les juifs pendant la guerre? Est-ce qu'on les massacrerait comme les Toutsis et leur "frères humains" Hutus se sont massacrés entre eux au Rwanda? Est-ce qu'on n'en massacrerait pas pour autant nos soeurs les abeilles avec nos pesticides tandis qu'on prend le risque de noyer plusieurs pays et leur population sous les eaux à cause du réchauffement climatique ?
En effet, nous sommes hypocrites:
Nous avons un problème de RESPECT, pas un problème juridique.