Pourquoi nous allons détester les Bleus ce soir

19.11.2013 | par Sébastien Bohler | Non classé

Demain, il y a de très fortes chances pour que les footballeurs de l’équipe de France deviennent l’objet de l’opprobre de tout un peuple. Il faudrait en effet qu'ils remportent leur match contre l'Ukraine par le score de 3 à 0, ce qui paraît hautement improbable au vu de leurs récentes performances. Le verdict sera donc, vraisemblablement, la non-qualification pour la Coupe du monde. D’un seul coup, tout va se retourner. L’équipe que l’on soutenait encore il y a quelques semaines sera vouée aux gémonies. « Enfants gâtés », « voyous », « riches non taxés », « écervelés », on fourbit déjà ses armes.

2702742

La frustration, évidemment

La frustration entraîne l’agression, ce que stipule la théorie de la frustration-agression, étudiée dès les années 1940. Le principe est simple : quand un enfant n’obtient pas ce qu’il veut (un bonbon, une playstation) il se comporte de manière agressive avec ses petits copains, ou avec ses parents (caprices). Corollaire : lorsqu’un supporter de foot est gravement déçu dans ses espoirs de qualification, il agit de même, contre tout ce qui passe à sa portée : les fans de l’équipe adverse s’il est lui-même supporter, sa propre équipe s’il est seul devant son téléviseur, sa femme et ses enfants s’ils sont à proximité.

spam_BrainSpinner_fdopa_mri_n

Le striatum, zone du cerveau où de trop faibles concentrations de dopamine provoquent une réaction agressive.

 La dopamine, cause de tous les problèmes

Et quelle est la cause ? La dopamine, une molécule cérébrale du plaisir. Normalement, quand le match commence et que tous les espoirs sont permis, notre cerveau se se prépare à fabriquer cette fameuse dopamine. Mais si le résultat n’est pas conforme à nos attentes, il y a non seulement absence de dopamine, mais chute de ses taux dans le cerveau. Et des scientifiques ont montré que cette baisse de dopamine est associée à l’agression : dans un scanner, les personnes ayant le moins de dopamine dans le cerveau réagissent le plus violemment en situation de frustration.

Elle a perdu, cette équipe de m…

Nous allons aussi assister, dès 22 h 45, aux premières tentatives de « dissociation ». De quoi s’agit-il ? Cela prend la forme de petites phrases comme : « Ils n’ont pas de talent », « ils ne fichent rien sur le terrain », « ils sont surpayés », etc. Evidemment, vous devinez que si ces mêmes joueurs avaient réussi à se qualifier, le « on » aurait été de rigueur : « On a été bons », « on a gagné », « on va aller à la Coupe du monde ». Nous, enfin « on », enfin nous tous, quoi.

Cela se comprend à travers la théorie de l’estime de soi. L’identification à une équipe nationale a généralement pour effet de gonfler notre estime de soi. Quand la France est championne du monde, chaque Français se sent plus fort, plus libre, plus valeureux, ses poumons se remplissent d’un air plus pur et l’avenir lui semble radieux. C’est pourquoi la défaite est très dangereuse pour l’estime de soi : si l’équipe perd, toute l’opération de rehaussement de notre fierté personnelle tombe à l’eau. La stratégie cognitive inconsciente pour parer à cet écroulement est la dissociation : je ne m’identifie plus à cette équipe, et de cette façon je préserve mon estime de soi de ce naufrage. Bande de nuls.

THSHK_SOCCER_EURO__1107858g

L'équipe nationale permet aux supporters de rehausser leur estime de soi, en s'attribuant une partie de la valeur des joueurs, et de l'histoire de leur pays.

L’amour-haine

Et puis, il y a la haine. Celle de l’amoureux éconduit. Du fan de la première heure qui, le goût d’amertume dans la bouche, voit soudain ce qui l’attend, son équipe exclue de la plus grande compétition mondiale : de longues années de vide, de démotivation, une vraie traversée du désert. Chez l’amoureux déçu, l’amour se transforme parfois en haine pour une raison très simple : la haine est une aide pour se défaire de ce que l’on ne peut avoir. Il est plus facile de renoncer à l’être aimé lorsqu’on le hait. Et de même, détester cette équipe rend plus facile le fait de ne plus entendre parler de foot pendant au moins deux ans.

images

Mon équipe va-t-elle perdre? A tout prendre, je préfère le supposer, car ma dopamine ne pourra qu'augmenter, aurait dit Pascal devant l'équipe de France.

Ou alors, tentons un pari de Pascal ? Détestons à l’avance cette équipe ; si elle perd, cela ne changera rien. Si elle gagne, ce sera juste une bonne surprise.

Allez, il ne reste plus qu'à se mettre devant notre téléviseur. Ce ne sera qu'un mauvais moment à passer.

 

 


Un commentaire pour “Pourquoi nous allons détester les Bleus ce soir”

  1. nicolas Répondre | Permalink

    Vous avez écrit : "quand un enfant n’obtient pas ce qu’il veut (un bonbon, une playstation) il se comporte de manière agressive avec ses petits copains, ou avec ses parents (caprices)" en parlant des supporters.
    Mais ce que je constate, c'est que cela s'applique aussi à cette équipe depuis plusieurs années.
    Autrement dit ces joueurs ne sont ni enfants gâtés, ni enfants capricieux, mais juste des enfants...
    Or je ne peux ni m'identifier à des enfants, ni en tomber amoureux !
    Je ne pourrais donc qu'avoir une bonne surprise ce soir 🙂

Publier un commentaire