Quand la psychologie sociale prédisait la montée du racisme en France
Suite aux insultes proférées à l’encontre de la garde des Sceaux Christiane Taubira, cette dernière s’est récemment étonnée que, plus dix jours après les faits, aucune voix influente d’homme politique ou d’intellectuel d’envergure ne se soit élevée pour alerter sur la cote d’alerte qui est en train d’être franchie.
Dans le même ordre d’idée, Envoyé Spécial revenait sur le cas d’une candidate du Front National aujourd'hui suspendue, Anne-Sophie Leclere, comparant Christiane Taubira à un singe.
Et soudain, nous voilà confrontés à une étrange réalité : il y a vingt ans, des propos tels que ceux proférés par Anne-Sophie Leclere auraient suscité une levée de boucliers générale. Aujourd’hui, on les accueille avec un brin de fatalisme, quand ce n’est pas d’un haussement d’épaules. Que se passe-t-il ?
Nous sommes peut-être en train d’assister à un mouvement de fond dans la société française. Le racisme n’est plus aussi scandaleux qu’avant. L’indignation et la conscience morale, que l’on croyait fermement ancrées dans un passé d’esclavage, de guerres et d’extermination, semblent soudain bien fragiles devant des forces plus déterminantes.
Quelles sont ces forces ?
Voici le moment d’exhumer les travaux fondateurs de Muzafer Sherif, un des fondateurs de la psychologie sociale, dans les années 1950. Celui-ci fut l’initiateur d’une théorie qu’il appela la théorie du conflit réaliste. Il mena des expériences en réunissant des jeunes gens sur une île, en les répartissant par équipes et en les faisant jouer à divers ateliers de boy-scouts. C’est ce qu’on appela l’expérience de Robbers Cave.

Au début de l'expérience de Robbers Cave, les enfants jouaient à des jeux de boy-scouts en équipes. Jusqu'au moment où les ressources vinrent à manquer.
Peu à peu, Sherif réduisit les ressources disponibles pour survivre dans le camp. Des antagonismes apparurent entre les équipes. La situation dégénéra : mépris réciproque, lutte pour s’arroger les privilèges, stigmatisation de l’autre jusqu’à la coercition et la cruauté.
La théorie du conflit réaliste aboutit à cette idée simple : en situation de manque de ressources, des camps se forment, des lignes de fracture s’accentuent.
Pourquoi la précarité crée l’antagonisme
Ce n’est pas un hasard, si c’est dans un contexte de difficulté pour tous les Français, que les plus bas instincts se réveillent. Selon Sherif, c’est l’animal qui ressort : quand homo sapiens a faim, homo sapiens cherche à s’octroyer des privilèges aux dépens de minorités, pour s’approprier des ressources. La théorie du conflit réaliste est la base de psychologie sociale du concept de préférence nationale : quand les emplois sont rares, il faut les donner à ceux qui font partie de mon groupe.
La nécessité d’améliorer le quotidien matériel des Français apparaît d’autant plus brûlante. Mais les expériences de Sherif nous apprennent autre chose : au sein des groupes de jeunes qui apprirent à se détester sur l’île, les scientifiques sont arrivés à réduire les tensions et à recréer une unité sociale en proposant des buts et des défis communs (construire un pont, communiquer avec l’extérieur, etc.). Là encore, comment ne pas penser à l’absence de direction donnée par nos gouvernants ? Où sont les objectifs communs de la société ? Où sont-ils explicités, visionnés ? L’urgence est là, nous le savons maintenant. Créer de grands emprunts, mobiliser autour d’un ennemi commun (nous en avons un, terrible, c’est le bouleversement climatique), voilà un ressort plus sérieux qu’on ne le pense, et qui pourrait s’avérer littéralement vital pour notre cohésion sociale. Lire à ce propos l’intéressant essai de Carl Sagan, L’ennemi commun.
Communautarisme, précarité et vide de sens
Evidemment, d'autres facteurs entrent en ligne de compte. Le niveau d'éducation des citoyens, la mission des élites de promouvoir la conscience morale contre la vulgarité de la pensée - qu'on a pris l'habitude d'appeler populisme. Mais je terminerai en rappelant un autre aspect des expériences de Sherif: les antagonismes apparaissent en situation de raréfaction des ressources pour peu que des lignes de démarcation aient été visibles au départ. Dans le cas de son expérience, ces lignes de démarcation étaient constituées par des équipes. Dans notre monde, il s’agit de marques distinctives : origines ethniques, croyances religieuses notamment. Ces lignes de démarcation ne sont pas coutumières dans la société française, longtemps monoculturelle et monoreligieuse. Nous sommes en train de nous rendre compte que l’objectif d’intégration a été abandonné depuis longtemps au profit d’une politique communautariste. Du point de vue de la théorie du conflit réaliste, le multiculturalisme et le communautarisme sont les conditions de départ de l’expérience de Sherif. Ils portent donc en eux les ferments d'une situation explosive. Je ne dis pas que le multiculturalisme est impossible, mais
multiculturalisme + raréfactions des ressources + absence d’objectif commun
constituent une équation insoluble. Et pour avoir un aperçu du dénouement, il suffit malheureusement de lire les expériences de Sherif.
Merci de ce rappel salutaire et pertinent!
L'inquiétude se nourrit de l'incertitude et de l'absence de vision.
Ce n'est surement pas en stigmatisant un groupe minoritaire comme les ROM que l'on donnera à nos concitoyens une vision réaliste mais positive de notre futur commun qui ne peut être communautariste.
Hélas des joueurs de pipeaux cyniques (et/ou) inconscients exploitent ce terreau d'inquiétude et de peur de l'"autre" pour faire miroiter des "solutions" iniques et absurdes.
"Et soudain, nous voilà confrontés à une étrange réalité : il y a vingt ans, des propos tels que ceux proférés par Anne-Sophie Leclere auraient suscité une levée de boucliers générale."
Non, l'un des multiples problèmes de votre analyse est celui-ci. Il y a 20 ou 30 ans, il n'y aurait pas eu plus de réaction, même probablement moins (vous ne donnez d'ailleurs pas d'exemple). Anne-Sophie Leclere ne représente vraiment pas grand chose, il parait raisonnable de ne pas commencer à tirer de grandes conclusions de société à partir de si peu.
Relisez les discours de Marchais et du PCF sur l'immigration il y a 30 ans, vous verrez qu'ils sont encore plus violents que ceux actuels du FN.
Juste une remarque.. l'introduction d'un but commun dans l'expérience est le fruit de la réflexion de Shérif ? Mais ce n'était pas un élu démocratique...
Cet article est un bon exemple de bêtise scientiste : que dans les société en général on observe une "méfiance" vis-à-vie de l'extérieur et donc des populations hexogènes c'est un fait massif, universel et intemporel ; ce n'est pas pour autant que l'on peut qualifier de "racistes" ces comportements spontanés auto-protecteurs.
Les tribus en Nouvelles Guinée ou de Terra Incognita ont à priori et majoritairement un comportement hostile envers les "étrangers" qui les approchent sans prévenir ; pour autant il ne vient à l'idée de personne un tant soi peu éveillé de les traiter de "racistes" !
Le racisme c'est avant tout des pensées et comportements sociaux stimulés et orientés par une(des) POLITIQUE(S), sinon on n'y comprend rien et on désoriente, autant que l'on désorienterait en prétendant que la pyromanie releve du désir partagé de se protéger du froid ou de l'obscurité !
Que ces racismes s'appuient sur des traits de caractères préexistants sans aucun doute, sinon ils ne pourraient tout simplement pas se développer ; mais le racisme est toujours une(des) politique qui d'ailleurs prend des formes et contenus bien différents selon les lieux et selon les périodes.
La presentation de l'experience me semble factuellement inexacte: ca ne se passait pas sur une ile (detail mais tant qu'a donner des detaisl autant qu'ils oient exacts), mais surtout il n'y a pas eu "reduction des ressources necessaires pour survivre" : il y a eu introduction de competitions recompensees par des prix (medailles, couteaux suisses etc). Meme pas besoin d'un veritable manque de ressources.
http://www.age-of-the-sage.org/psychology/social/sherif_robbers_cave_experiment.html
ah bon ? vous ressortez une experience faite en 1950 et vous l'associez au contexte que l'on vit actuellement . et vous faites parler sherif alors qu'il doit etre mort depuis le temps . quel age a-t-il ?
vous nous prenez pour des débiles ou c'est vous qui l'êtes ?
moi aussi je pourrais faire mon experience personnelle avec les conditions que j'aurais définies à l'avance et j'arriverais à une conclusion complètement opposée à celle de sherif . dans le comique vous faites fort .
vous associez une experience qui date des années 50 au contexte que l'on vit actuellement et vous faites parler sherif qui doit etre mort depuis un moment . quel age a-t-il ? vous nous prenez pour des demeurés ou c'est vous qui l'etes ? et vous vous prenez pour des scientifiques ?
vous parlez du changement climatique , grande cause mondiale . vous croyez que ceci va nous souder , alors que vous occultez completement l'action du soleil . je doute de vos capacités scientifiques , en revanche , votre propagande ne fait aucun doute .
Disqualification, insultes et théorie du complot. Tout y est dans ces réactions de bobopabo....
L'analyse est pertinente et participe à cette idée que notre identité se forme dans la relation à l'autre. Quand le sentiment de la complexité et du danger s'accroissent, le repli se fait sur ce qui semble proche. C'est mettre de côté une dimension "spéculative" de rupture créative avec l'existant. Autrement dit, ces comportements de replis, sont à l'opposé d'une pensée collaborative qui ouvre la porte à l'innovation.
Croire à des élites qui "guident", est peut être une idée déjà trop vielle. Ce qui nous mine est pet être moins la rareté, que le fantasme de rareté alimenté par les faiseurs d'opinion, dont le fond de commerce est aujourd'hui le "dénigrement" généralisé.
Cher bobopabo,
Comme j'essayais de le faire comprendre, les conditions socio-économiques actuelles se rapprochent de celles de l'expérience dans le sens où nous traversons une crise des ressources. Vous voyez le lien?
Sinon, j'apprécie votre humour sur le fait qu'un résultat scientifique n'est pas valide si son auteur n'est plus en vie. Vous comprenez bien que dans ce cas, la théorie de la relativité, le modèle copernicien ou l'invention de l'ampoule électrique devraient être abandonnés une fois pour toutes, comme 90 pour cent des acquis scientifiques et technologiques dont nous bénéficions aujourd'hui.
Soyez plutôt sérieux et expliquez-moi pourquoi cette analyse vous dérange. Il peut y avoir des raisons, je n'en disconviens pas, mais allez droit au but, hein?
Quant à l'action du soleil, franchement, là c'est sibyllin. Quelles que soient les causes du réchauffement, il existe, et il pose des problèmes.
Cher Sébastien Bohler,
Une petite explication de texte sur les commentaires de bobopabo est visiblement nécessaire. Lorsqu'il souligne que vous faites parler un scientifique décédé, ce n'est pas pour contester les résultats de ses recherches - par ailleurs parfaitement contestables - mais pour dénoncer la façon dont vous instrumentalisez le défunt Sherif au point d'écrire : "Ce n’est pas un hasard, si c’est dans un contexte de difficulté pour tous les Français, que les plus bas instincts se réveillent. Selon Sherif, c’est l’animal qui ressort" Faute d'avoir compris votre interlocuteur, votre ironie se retourne contre vous.
Quant à affirmer "Quelles que soient les causes du réchauffement, il existe", vous contredisez les dernières constations du GIEC qui reconnait lui-même dans son rapport 2013 une pause dans le réchauffement depuis 17 ans. Les choses ne sont donc pas, là non plus, aussi simplistes que votre vision du monde.
Non mais je rêve, est-ce que ça vous arrive de vérifier ce dont vous parlez ? Avez-vous déjà lu un manuel de psychologie ?
Premièrement, l'expérience de Shérif de la Robbers Cave ne s'est jamais déroulée sur une île.
Deuxièmement, Shérif n'a pas réduit les ressources des équipes mais les a mis dans une situation de compétition avec des jeux.
Troisièmement vous ne parlez même pas du but véritable de l'expérience qui est de trouver comment réduire les conflits entre les deux groupes créés, c'est-à-dire en fixant un but commun qui nécessite la coopération des deux équipes.
Quatrièmement, vous oubliez complètement les travaux faits après cette expérience qui nuancent les conclusions de Sherif et créent des modèles bien plus complexes.
Enfin, vous appliquez un modèle relatif aux groupes restreints à un phénomène social dont l'ontologie et les causes sont d'un ordre de complexité qui n'a rien à voir.
Ce n'est pas la première fois que vous écrivez des idioties énormes, surtout pour un journaliste scientifique : dans votre article précédent vous aviez mis toute votre énergie à réfuter une théorie qui n'existe pas, la théorie du genre, et comme une fleur, vous recommencez. Incroyable et révoltant. Vous mériteriez toute l'ire d'un Henri Broch.
Dear Mr. Bohler,
you're correct so far, but I think that you miss some important points.
First, communitarism works well. For example, it has always worked well for the Jews (it's not by chance that modern communitarist theory was created by Etzioni), and why shouldn't it work as well for any other group?
Secondly, teenagers are gullible, adults not so much. You can't spread hope or security simply by propaganda, that has been tried too often. You can't invent common aims without real convincing reasons (is climate change convincing???).
Thirdly you don't see what Americans call the Blue White/Red White gap. "Blue Whites" (the Upperclass Left) need to feel themselves superior to "Red Whites" (the underclass Right) and use the minorities for that aim. I can't see any project in which Blue Whites would be ready to work with Red Whites on equal terms.
Concernant le lieu de l'expérience, on peut lire :
"They were then, as individual groups, picked up by bus on successive days in the summer of 1954 and transported to a 200 acre Boy Scouts of America camp which was completely surrounded by Robbers Cave State Park in Oklahoma".
Et d'autre part : "The park encompasses three lakes: Lake Carlton, Lake Wayne Wallace and Coon Creek Lake".
Il n'est donc pas exclu que l'expérience qui a eu lieu dans le camp de boy scout se soit déroulé sur une ile.
Mais je n'ai pas retrouve la preuve ni de ce fait ni de son contraire...
Merci à Sébastien Bohler de continuer à "écrire des idioties énormes". C'est un bon moyen de remuer nos neurones. 🙂
Vous avez très mal cherché : http://psychclassics.yorku.ca/Sherif/
Voici ce que l'on peut lire chapitre 3 :
The site finally chosen after inspection of a number of camps was a densely wooded area in the Sans Bois Mountains of southeastern Oklahoma about seven miles north from the small town of Wilburton which is on U. S. Route 270. This is a 200 acre Boy Scouts of America camp which is completely surrounded by Robbers Cave State Park (See Figures 1 and 2). It was available exclusively for purposes of the experiment for the three week [p. 66] period. The nearest large town - McAlester, Oklahoma - is about 40 miles distant.
[...]
Because of the characteristics of the experimental site itself, the surrounding park, and the mountainous areas within a sixty mile radius, it was possible to plan activities of high appeal to the subjects for both in-group and intergroup stages. [...] Lake Carlton, a part of the state park area, was located about three miles from the experimental site and provided excellent swimming and picnic facilities. A number of camping areas were located on lakes and rivers within 20 to 60 miles of the camp. These could be used to advantage in increasing interdependence of the groups (Stage 3) through cutting off their usual sources of food, housing, etc. Of these various possibilities, Cedar Lake, about 14 miles from Heavener, Oklahoma and 23 miles from the Arkansas state line, was utilized in Stage 3.
Donc oui M. Bohler écrit absolument n'importe quoi, faisant de lui une honte pour sa profession.
Merci pour la référence mais pourquoi tant de ire contre Sébastien Bohler?
Au passage était-il vraiment nécessaire de m'écrire que "j'avais très mal cherché"?
Dont acte pour la correction mais en quoi cela disqualifie-t-il son analyse?
On peut ne pas la partager mais c'est une appréciation et elle ne justifie pas pour autant l'utilisation de l'argument "d'autorité".
Le fait qu'il existe aujourd'hui des "modèles bien plus complexes" est un fait assez général en science et particulièrement en science sociale mais cela n'interdit tout de même pas de faire référence à des travaux antérieurs sauf s'ils s'avéraient totalement erronés.
Pour ma part ma dernière lecture sur le sujet remonte au bouquin de Didier Anzieu et Jacques Yves Martin intitulé :"La dynamique des groupes restreints".
La quasi totalité de ses prémisses sont fausses, ce qui rend son analyse dépourvue de valeur. D'autre part M. Bohler a complètement ré-écrit l'expérience pour correspondre à son argumentation générale. Je rappelle qu'il est journaliste scientifique dans une revue de vulgarisation de bonne qualité, ce qui rend de telles erreurs (je parlerais carrément de malhonnêteté intellectuelle) absolument intolérables.
Et que dire des conséquences : il possède une certaine autorité du fait d'écrire pour Cerveau & Psycho et d'intervenir dans une émission de radio. Du coup ses lecteurs lui font confiance, ce qui fait que s'il écrit des choses fausses et que personne ne dit rien alors ces choses fausses vont un peu plus se diffuser, contribuant ainsi à la désinformation scientifique et à la méfiance générale envers la psychologie.