Ses frites sont froides, il sort une hache

12.12.2013 | par Sébastien Bohler | Non classé

Cela s'est passé dans la nuit de samedi à dimanche. Au Mc Drive de Garges-lès-Gonesse, un homme commande un hamburger-frites. Ses frites sont froides. Au lieu de demander qu'on lui en serve d'autres, il retourne dans son véhicule et revient avec une hache, défonce la vitrine, blessant le guichetier avant de projeter l'arme vers la caisse, heureusement sans toucher personne.

La folie ordinaire

Comment déchiffrer ce fait social qui nous dépasse? Nous ne sommes plus seulement dans Chute libre, le film où Michael Douglas campe un cadre à bout de nerfs qui saisit un jour sa carabine et raye de la carte tous ceux qui le contrarient.

Non, nous ne sommes plus seulement dans Chute libre, car il y avait au moins dans ce personnage la réaction presque compréhensible d'un homme poussé à bout par une série d'injustices. Il fallait du temps pour l'énerver. Cette fois, avec ce fait divers, nous basculons dans autre chose. Nous sommes dans la crise de ce que le psychologue clinicien et psychothérapeute Didier Pleux appelle l'intolérance à la frustration.

L'intolérance à la frustration, ou syndrome de la hache

L'individu intolérant à la frustration, explique Pleux, ne supporte pas que les choses ne se passent pas comme il le veut, ni que le réel fasse obstacle à son désir. Tel l'enfant qui saccage tout quand l'adulte n'exécute pas ses volontés, l'intolérant à la frustration prend sa hache. Il veut trancher le noeud gordien de la réalité, mais la réalité est tenace.

C'est, nous annonce Didier Pleux dans le prochain numéro de Cerveau & Psycho, l'adulte-roi. Car les enfants-rois, produits en nombre voici vingt ou trente ans, sont aujourd'hui devenu des adultes, et ce sont des adultes-rois.

Ces adultes-rois sont, évidemment, sans royaume. Ils mangent des nuggets-frites au Mc Drive de Garges-lès-Gonesse, mais leur tyrannie reste entière. Et les mondes virtuels sont souvent les seuls endroits où ils peuvent sortir leur hache, ou leur kalashnikov, pour occire l'Autre devenu obstacle intolérable. En témoigne, par exemple, le fabuleux succès des égorgeoirs virtuels tels GTA5, le jeu vidéo le plus vendu de toute l'histoire de l'humanité. Enfin un endroit où on peut mettre la Terre à feu et à sang pour des frites froides.

Et le cerveau, dans tout ça?

L'autre solution, c'est de gérer la frustration. C'est le pouvoir d'une fonction mentale nommée "contrôle inhibiteur", exercée par des zones antérieures du cerveau qui demandent une longue maturation. Cette capacité n'est pas donnée à la naissance, ni dans un pack de frites, il faut la travailler, la former, l'entraîner, la développer. C'est au parent et à la société de développer cette capacité chez leur enfant, dans toutes les situations où il n'obtient pas immédiatement ce qu'il désire, où il est "frustré", pour le bien de son contrôle inhibiteur. La vie ne faisant pas toujours de cadeaux, il vaut mieux apprendre à nos petits à gérer en interne la frustration occasionnée par un Big Mac trop caoutchouteux.

Evidemment, ce post ne prétend pas expliquer ces "pétages de plombs" par les seules lacunes éducationnelles d'une génération qui aurait passé tous leurs caprices à ses enfants tyrans. Le stress auquel les individus sont aujourd'hui confrontés, dans la pression des rythmes de vie effrénés, de la course au rendement, de l'instabilité des emplois, des familles et des amitiés, y est pour beaucoup. On retrouvera à la rentrée une réflexion de la sociologue Nicole Aubert sur ces personnes qui ne peuvent plus suivre ce rythme endiablé et dont le psychisme s'effrite, oscillant entre apathie et colère irraisonnée, comme devant des frites froides.


Un commentaire pour “Ses frites sont froides, il sort une hache”

  1. Olivier Oswald Répondre | Permalink

    Les humains et le stress ! "Why Zebras Don't Get Ulcers" (Vidéo http://youtu.be/5ePYet3Fbts). C'est la question posée par le Dr. Robert Sapolsky (Université de Stanford). Les animaux en liberté ne montrent aucune maladie liée au stress, contrairement à ce qu’on observe chez les animaux en captivité ou chez les humains. Sommes-nous les artisans de notre propre captivité ?

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