Tous racistes? L’horrible hypothèse du racisme implicite

15.11.2013 | par Sébastien Bohler | Non classé

Les réactions se multiplient ces derniers jours depuis la publication de la une du journal Minute.

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Ailleurs, les commentaires ne sont pas en reste. Dans le journal 20 minutes, plusieurs élus issus de l'immigration donnaient hier leur point de vue sur le racisme ambiant dans le milieu politique. Dans Metro, Marine Le Pen affirme quant à elle ce matin : "Il n'y a pas de montée du racisme en France". Effectivement, nos lecteurs n'ont peut-être pas assisté récemment à des actes ou commentaires racistes dans le métro ou au guichet de la poste. Et c’est heureux! Mais faut-il pour autant être rassuré? Car dans la sphère publique, l’affaire est partout.

Qu'est-ce que le racisme décomplexé?

Or, ces poussées de racisme ne sont pas anodines car, ainsi que cela a été évoqué, elles contribuent à libérer la parole raciste. Un des termes plus fréquemment utilisés ces derniers jours, notamment par Madame Taubira, est celui de "racisme décomplexé". Cette idée suggère que le racisme pourrait exister de façon très répandue sous une forme enfouie, et qu’il suffirait de quelques brèches dans le discours officiel, pour qu’il s’exprime librement.

La psychologie expérimentale donne raison à cette idée. Les expériences menées à ce sujet suggèrent l’existence de ce que la professeur de psychologie à l’Université du Wisconsin-Madison Patricia G. Devine appelle le racisme implicite. Selon ses travaux et ceux d’autres scientifiques, même les personnes se définissant comme non racistes et prônant un discours égalitaire se comportement parfois d’après certains stéréotypes raciaux, quand elles ne se « surveillent » pas. Par exemple, si on les fait entrer dans une salle d’attente où attendent un Noir et un Blanc, elle s’asseyent plus loin du Noir et plus près du Blanc. Sans penser à mal.

Le racisme implicite, « innocent », semble à l’œuvre très tôt, comme l’ont montré des expériences sur des enfants.

Des dispositifs expérimentaux raffinés ont été mis au point pour explorer les mécanismes cognitifs sous-jacents à ces phénomènes. Un de ces dispositifs est celui dit d’amorçage. Dans ces expériences, on demande à des sujets d’appuyer sur un premier bouton (bouton A) pour indiquer si un mot rapidement projeté sur un écran exprime une notion positive, et sur un autre bouton (bouton B) s’il exprime une notion négative. Juste après apparaît le visage, d’un Noir ou d’un Blanc. Cette fois, les sujets testés doivent appuyer sur le bouton A s’il s’agit d’un Noir, et B s’il s’agit d’un Blanc. Patricia Devine s’aperçoit que leur temps de reaction est très rapide, comme si le fait d’appuyer sur A pour un Noir était une simple répétition du fait d’avoir appuyé sur A pour un concept négatif. Et de fait, si elle inverse la tâche et demande aux participants d’appuyer sur le bouton B pour un visage noir, le temps de réaction s’allonge, montrant qu’il faut d’abord inhiber le réflexe consistant à répéter le meme geste que pour le concept négatif, pour choisir l’autre option.

Ces effets sur les temps de réaction sont présents chez toutes les personnes testées. Ils suggèrent que l’association entre Noir et “mauvais” est implicite et précoce (comme on le voit chez la petite fille).

L'humanisme n'est pas naturel

Cela ne signifie pas que nous soyons racistes. Cela signifie simplement que le respect des individus par-delà les différences ethniques demande un travail sur le discours et les valeurs. Il s’agit, non plus d’attitudes implicites, mais d’attitudes explicites. L’intégration de telles valeurs demande un effort mental. Cette idée est illustrée par des expériences du psychologue de Berkeley Rodolfo Mendoza-Denton qui demandait à des volontaires de regarder deux photos d’un petit garçon noir et d’un petit garçon blanc, en leur demandant lequel leur semblait plus agressif.

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Dans une expérience, les personnes interrogées trouvaient le petit Noir plus "agressif" quand on réduisait leurs ressources cognitives, c'est-à-dire leur capacité de réflexion.

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Lorsque la question était posée de but en blanc, la plupart des gens répondaient que les deux enfants devaient être à peu près aussi agressifs; Mais lorsque le psychologue demandait aux participants de garder en mémoire un numéro à 9 chiffres (de type, numéro de téléphone) en même temps, les gens répondaient plus souvent que le petit Noir était plus agressif. Selon Rodolfo Mendoza-Denton, cela indique que le discours égalitaire mobilise des ressources cognitives conscientes, qui consomment de l’énergie cérébrale, et que si ces ressources sont employées à une autre tâche (retenir le numéro en mémoire), le choix devient stéréotype.

Pourquoi le racisme est un miroir de la bêtise

Cette vision rejoint l’idée prédominante en psychologie sociale, selon laquelle les stéréotypes sont des stratégies rapides que nous mettons en oeuvre pour faire des choix lorsque nous ne sommes pas en situation de réfléchir (manque de temps, d’informations, ou tout simplement de capacités de réflexion). Lorsque nous ne réfléchissons pas, nous aurions tendance à nous rapprocher d’une personne de la même couleur que nous parce qu’elle nous ressemble et peut entrer dans le même “groupe” que nous.

Les conclusions à tirer ne sont pas de tout repos. Car cela signifie aussi que le racisme se développe à mesure que les capacités de réflexion des sujets diminuent. A mesure que le racisme implicite devient explicite, il nous montre que nos ressources cognitives diminuent. C’est à prendre très au sérieux, car cela suggère un recul de l’intelligence, de l’information et de la culture. Que faire pour désamorcer le manque de ressources cognitives? Un recours très efficace est l'humour. Ainsi, il y a trois jours, un "suprémaciste" blanc (professant aux Etats-Unis la suprématie de la race blanche) a été invité sur un plateau de télévision à prendre connaissance des résultats de l'analyse de son propre ADN... analyses qui ont révélé que 14 pour cent de son génome était issu de populations d'Afrique subsaharienne. Le tenant de l'apartheid réagit en disant: "impossible, l'eau et l'huile ne se mêlent pas". Un morceau d'anthologie.

L'autre recours est, on s'en doute, l'éducation. La psychologie cognitive le montre: en donnant à nos enfants de bonnes ressources cognitive, on leur permet de ne pas céder à leur "cerveau implicite", et ce faisant, on leur ouvre le chemin de la liberté.

 

 

 

 


2 commentaires pour “Tous racistes? L’horrible hypothèse du racisme implicite”

  1. Gwada Répondre | Permalink

    C'est complètement n'importe quoi..sauf si vous partez du fait que vous vous adressez forcément à des blancs! Or, nous ne sommes pas tous blancs.....

  2. bulcke Répondre | Permalink

    Merci pour vos rubriques claires et argumentées! Celle-ci va m'aider dans les inlassables discussions qu'on affronte tous les jours pour essayer de faire comprendre que nous sommes tous dans le même bateau et beaucoup plus frères qu'on ne le pense souvent.Celle sur la gentillesse est très concise et convaincante aussi.

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