Victoire des bleus : pourquoi notre cerveau est heureux quand il s’est trompé
Hier, j’ai fait une erreur de prédiction. J’avais prédit que nous allions détester les Bleus parce qu’ils allaient probablement rater leur qualification.
Ma prédiction a été déjouée.
Mais cette erreur de prédiction est une bénédiction. C’est elle qui enflamme nos médias et fait circuler un courant d’excitation palpable. Pourquoi ?
L’erreur de prédiction, fondement du plaisir
Les scientifiques ont découvert ces dernières années quelque chose de fondamental à propos du plaisir : il est plus grand quand nous ne nous y attendons pas. C’est le concept d’erreur de prédiction. Cette idée repose sur le fait que notre cerveau (souvent à notre insu) fait sans cesse des prédictions sur ce qui va arriver, et sur le plaisir qu’il peut en retirer. Cela peut être observé sur des singes qui voient apparaître sur un écran des images annonçant - ou non - la venue imminente d’une récompense (du jus de pomme).
Lorsque le singe sait qu’une certaine image annonce la venue de son jus de pomme, son cerveau fait une prédiction sur l’arrivée du jus de pomme. Ce qu’on voit alors, c’est que les neurones du plaisir finissent par s’habituer et que, lorsque le singe voit cette image, il sait qu’il va avoir du jus de pomme, et au moment de l’obtenir, le jus de pomme ne produit plus de réaction de plaisir dans ses neurones.

Ce tracé montre une réaction des neurones d'un singe lorsqu’il voit un signe lui annonçant qu'il va obtenir un jus de pomme, mais plus de réaction lorsque le jus de pomme arrive (tracé plat par la suite).
En revanche, si un jus de pomme arrive alors qu'aucun signal ne le laissait anticiper, le jus de pomme est accueilli par une forte réaction des neurones dopaminergiques (neurones du plaisir).

Lorsque rien ne laisse supposer que le jus de pomme va arriver, les neurones du singe libèrent plus de dopamine au moment où le jus arrive.
Wolfram Schultz, l’initiateur de ces courants de recherche, nomme « erreur de prédiction » ce signal neuronal qui mesure l’écart entre ce qui était attendu et ce qui arrive. C’est lui qui détermine, plus que la valeur intrinsèque de la récompense reçue, l‘intensité avec laquelle nous la percevons.
Hier, j’avais fini mon billet en disant qu’il valait mieux ne s’attendre à rien car ainsi on ne serait pas déçu. Tout le monde, d’une certaine façon, a été pris dans une erreur de prédiction, dont les conséquences sont délicieuses. Nous sommes dans la situation de singes qui n’attendaient pas de jus de pomme, et qui s’en voient servir un bien frais, délicieusement sucré. Notre cerveau décharge des tonnes de dopamine, et nous savons que nos plus grandes sensations sportives ont souvent été de cet ordre-là. Souvenez-vous de l’exploit totalement inattendu de l’équipe de France de Rugby contre la Nouvelle-Zélande en 1999, en demi-finale de la Coupe du monde :
Là encore, personne n’aurait misé un kopeck sur la France, et la joie n’en a été que plus grande. Profitons donc de l'instant, qui est un peu notre finale à nous.
Merci de ces belles images de rugby 1999 !!
Ce n'est pas pour rien qu'on parle alors de divine surprise, formule d'autant plus juste que le divin n'a rien à voir avec la raison et qu'on a donc raison de dire qu'une surprise improbable doit être divine... à condition d'être plaisante sinon elle aurait quelque chose de plutôt satanique.