Le stress : existe-t-il des tempéraments à risque ?
Le défi, l’incertitude, la nouveauté, le risque, qui font, à des degrés divers, partie intégrante du stress, peuvent faire l’objet d’une recherche active, de la part du sujet, ou au contraire, être activement évités. En 1959, Friedman et Rosenman ont décrit un profil comportemental, dit de “type A”, censé être caractérisé par une hyperréactivité hémodynamique et neuro-humorale au stress et contribuer à la survenue de l’insuffisance coronarienne. Les sujets ne présentant pas de traits du type A sont désignés comme des individus de type B (“besoin de compétition” et stimulation par des échéances temporelles pour les sujets de type A, dont le comportement se voit renforcé par la multiplication des stress, aspiration à un fonctionnement plus pacifique, pour les sujets de type B.).
C’est en 1964 que Zuckerman a élaboré son concept de “recherche de sensations” en postulant que la tendance de certains sujets à rechercher des expériences nouvelles variées et complexes était commandée par le besoin d'atteindre et de maintenir un niveau d’activation cérébrale appelée “niveau optimal d’activation”. L’échelle de Zuckerman dans sa première version a été imaginée et construite dans le but de mesurer les différences de niveau optimum d’activation chez les individus placés en situation de privation sensorielle. Puis l’auteur a pu élargir cette notion en la posant comme un trait de personnalité.
La forme IV de l’échelle de Zuckerman explore une multiplicité de goûts, de comportements, d’activités correspondant à la recherche de stimulations fortes et permet de distinguer les HSS (high sensation seekers) des LSS (low sensation seekers). Les HSS sont donc considérés comme des individus ayant besoin de sensations et d’expériences diversifiées, propres à leur procurer un niveau optimal d’activation, ce niveau étant supposé plus élevé que celui des LSS. Quand les stimuli et les expériences se répètent, les HSS s’ennuient et deviennent non-réactifs plus rapidement que les LSS. L’analyse factorielle de l’échelle de Zuckerman a permis d’extraire cinq facteurs sous-jacents : un facteur “général, un facteur “recherche de danger et d’aventure”, un facteur “ recherche d’expériences nouvelles”, un facteur “désinhibition” et enfin un facteur “susceptibilité à l’ennui”.
Des études ont montré que le trait mesuré par l’échelle de Zuckerman était relié:
- à la recherche d’expériences sexuelles variées
- à l’usage de toxiques : alcool, médicaments, tabac, drogue...
- aux habitudes de conduite automobile : vitesse, prise de risques...
- à l’engagement dans des sports dangereux et à la survenue d’accidents dans la pratique de ces sports
- à des préférences cognitives, perceptives et esthétiques : penchant pour la complexité, tolérance à l’ambiguïté, originalité et créativité, richesse de l’imagination et des rêves
- à la vocation professionnelle et aux choix existentiels : les HSS sont des sujets indépendants, permissifs, non conformistes.
Dans les situations confinées et monotones, les HSS deviennent de façon significative plus agités. Lors d’expériences de privation sensorielle de courte durée, les HSS sont ceux qui témoignent le plus du besoin de stimulations visuelles et auditives.
Plusieurs études ont montré que le taux plasmatique d’hormones sexuelles, notamment de la testostérone et des œstrogènes, était corrélé positivement avec le facteur général et le facteur désinhibition chez l’homme, et que le taux d’œstrogènes était corrélé positivement avec les mêmes facteurs chez la femme.
L’hypothèse concernant le rôle de ces hormones sexuelles est que celles-ci régulent le métabolisme de plusieurs neuromédiateurs cérébraux et affectent ainsi le niveau général de l’activité cérébrale. Une relation négative a été trouvée entre le score à l’échelle de recherche de sensations et le taux de MAO plaquettaire. On pense qu’il existe une implication du système catécholaminergique dans le phénomène de recherche de sensations. L’hypothèse est que la dopamine serait impliquée dans la tendance à avoir une grande activité et un comportement d’exploration, tandis que la noradrénaline serait liée à l’attente de renforcements positifs et à l’aptitude à prendre des risques.
Ces travaux ouvrent de nouvelles voies passionnantes à la recherche psychophysiologique. S’ils réactualisent la vieille notion de “tempérament”, en tant que disposition biologique sous-tendant l’organisation de la personnalité, elles reposent la question princeps de l’approche ergonomique du stress social ou professionnel. A partir de quand il y a “surcharge de stimulations” débordant les capacités d’adaptation de l’individu ? Et à partir de quand il y a, à l’inverse, “sous-charge de stimulations”, monotonie ou privation sensorielle (et relationnelle), elle-même source de désarroi et de détresse ? La notion d’un niveau optimal d’activation pour tout individu reformule, à sa manière, ce que la théorie du stress nous a enseigné : le stress, c’est la vie. Il peut être nuisible, mais il est tout autant nécessaire au développement de la personnalité et à la meilleure utilisation possible des ressources individuelles.