Ces gouffres marins appelés “trous bleus”

Trous noirs, trous blancs, trous bleus,… les premiers sont connus de tous, beaucoup moins les seconds (hypothétiques jumeaux inverses des trous noirs)1. Et les trous bleus ? Contrairement aux précédents, on ne les trouve pas dans le cosmos mais sur notre planète. Il s’agit de gouffres remplis d’eau. Comment se sont-ils formés ? Où les trouve-t-on ? D’où vient leur couleur bleu profond ?

Fig. 1. Le Grand Trou Bleu (Great Blue Hole) situé dans un atoll proche des côtes du Bélize (mer des Caraïbes). Sa profondeur est de 120 m et son diamètre d’environ 300 m.  Crédit : U. S. Geological Survey / Wikimedia Commons

Une origine qui remonte à la préhistoire

Il y a environ 2 millions d’années (lors d’une période glaciaire du quaternaire), le niveau de l’océan était plus bas de dizaines, voire de centaines de mètres, par rapport à celui d’aujourd’hui. En surface, les roches carbonatées (calcaire et dolomie) subissaient une érosion par le ruissellement de l’eau de pluie. En particulier, l’eau, naturellement acidifiée par le dioxyde de carbone CO2 qu’elle contenait, dissolvait partiellement ces roches2 en créant des fissures ; puis en s’infiltrant, l’eau créait un réseau souterrain de grottes et de rivières.

Les grottes dont le plafond s’est effondré formèrent des gouffres, des avens et des dolines, que l’on regroupe sous le nom de cénote3. Ces excavations se sont ensuite remplies lors de la fonte de la calotte glaciaire. C’est pourquoi elles contiennent soit de l’eau douce, soit en milieu marin, de l’eau douce en surface et de l’eau salée (plus dense) en profondeur. On réserve le nom de “trou bleu” à ce dernier cas.

La plupart des trous bleus se situent en Amérique centrale, dans les Caraïbes et dans l’archipel des Bahamas. Parmi les trous bleus les plus remarquables, citons :

  • le Grand Trou Bleu (Great Blue Hole), en mer des Caraïbes (profondeur : 120 m), est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO (Fig. 1) ;
  • le Trou Bleu de Dean est situé aux Bahamas (202 m) ;
  • le Blue Hole en mer Rouge (100 m) est considéré comme le site de plongée le plus dangereux au monde4: des dizaines de plongeurs y ont perdu la vie ;
  • le Trou Bleu du Dragon, en mer de Chine, détient le record de profondeur (301 m) (Fig. 2).

Fig. 2. Le Trou Bleu du Dragon au large de la mer de Chine méridionale est le plus profond du monde : 301 m. Source : Le Parisien. Capture d'écran / CCTV News

Un bleu “profond”

L’origine de la couleur bleue de l’eau a été expliquée en détail dans un précédent billet.5 Les trous bleus ne se distinguent que par leur aspect bleu particulièrement sombre qui contraste avec leurs abords où la profondeur est moindre. Si ces derniers sont sablonneux, la réflexion sur le sable jaune produit une couleur turquoise par mélange de bleu et de vert (Figures 1 et 2).

Les trous bleus ont en général une profondeur supérieure à 100 m (voir ci-dessus) ; la lumière y pénètre donc profondément. Une grande partie est absorbée par l’eau à l’exception de la composante bleue : celle-ci domine donc (comme dans le “grand bleu ”) et émerge par rétrodiffusion grâce au phénomène de diffusion (principalement de type Rayleigh) qui d’ailleurs contribue légèrement à renforcer la couleur bleue.5

Ce que révèle l’exploration des trous bleus

Lors de la fonte de la calotte glaciaire, c’est-à-dire à la fin du Pléistocène, il y a environ 11 000 ans, l'eau de mer s’est déversée dans les trous bleus déjà remplis d'eau de pluie. Lorsqu’aucune communication avec l’océan n’est possible (c’est le cas de certains trous bleus, en particulier aux Bahamas), l’eau de pluie stagnant en surface a empêché tout contact avec l’atmosphère depuis le remplissage ; elle a donc protégé la vie bactériologique de l’eau de mer sous-jacente. Les chercheurs disposent ainsi de précieuses informations sur les conditions environnementales de l’époque. Mais attention, les bactéries présentes produisent du sulfure d’hydrogène qui forme une couche très toxique se situant à la limite de l’eau douce et de l’eau de mer : un danger pour les plongeurs voulant traverser cette couche.

L’exploration à l’aide de petits sous-marins est plus sûre ! C’est ce qu’ont fait Fabien Cousteau (petit-fils du célèbre Commandant Cousteau) et le milliardaire Richard Branson, en décembre 2018, lors d’une plongée dans le Grand Trou bleu.6 Ils ont vu un magnifique mur de stalactites géantes, preuve qu’une gigantesque grotte avait existé avant d’être envahie par les eaux. Ils ont découvert également une épaisse couche de sulfure d’hydrogène. Au fond, des conques, des crabes et d’autres créatures tombées dans le trou sans pouvoir s’en échapper, n’avaient pas survécu par manque d’oxygène. Et devinez quoi : il y avait des bouteilles de plastiques ! Pas surprenant, hélas !

Et pour finir, des images à couper le souffle ! Admirez l'apnéiste français Guillaume Néry plongeant dans le Trou Bleu de Dean dans les Bahamas (cliquez sur l’image).

Références et notes

1“Ces troublants trous blancs”, La Méthode scientifique, 27.08.2019.

2Le dioxyde de carbone CO2 présent dans l’atmosphère se dissout partiellement dans l’eau de pluie et passe en partie sous forme d’acide carbonique H2CO3 et d’ions hydrogénocarbonate HCO3. L’eau devient donc légèrement acide, suffisamment pour réagir avec le calcaire (carbonate de calcium CaCO3) en le dissolvant partiellement sous la forme d’ions calcium Ca2+ et d’ions hydrogénocarbonate. Voir l’article de M. Balakowicz, “Karst et érosion karstique”, planet-terre.ens-lyon.fr/

3“Cénote” vient du Maya dz'onot signifiant “puits sacré” ou “grotte avec eau” ; c’est la prononciation espagnole de ce mot qui a conduit au nom de cénote. Pour les Mayas, les cénotes étaient sacrés ; ils pensaient qu’ils communiquaient avec un monde souterrain où régnaient divers dieux. L’un des rituels consistait à y jeter des victimes sacrificielles humaines ou animales. Voir l’article “Cénote” – Wikipedia

4J. Deveaux, “Le "Blue Hole" en Égypte, site de plongée le plus dangereux du monde”, francetvinfo.fr, 21.06.2020.

5Voir le billet du 15.07.2021, “L’"O bleu" des Océans vus de l’espace”.

6B. Louvet, “Du plastique au fond du plus grand gouffre marin du monde”, sciencepost.fr, 25.01.2019.

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