Ces redoutables petits seigneurs des anneaux… bleus

Les poulpes sont bien connus pour leur art du camouflage. Et pourtant certains d’entre eux se font remarquer par des anneaux d’un bleu très vif en cas de danger (Fig. 1). Les prédateurs comprennent alors qu’ils n’ont pas intérêt à s’y frotter ! En effet, ces petits poulpes de l’espèce Hapalochlaena lunulata figurent parmi les animaux marins les plus venimeux au monde : leur morsure est souvent fatale pour les humains ! Mais d’où vient cette couleur bleue si vive ? Et par quel mécanisme les anneaux apparaissent-ils par intermittence ?

Fig. 1. Poulpe de l’espèce Hapalochlaena lunulata exhibant ses anneaux bleus pour avertir les prédateurs du danger qu’il représente. Crédit : Rickard Zerpe, Flickr / Creative Commons (CC BY-SA 2.0)

Les prouesses chromatiques des céphalopodes

Avant de se pencher sur ces anneaux bleus, rappelons brièvement d’où vient l’aptitude exceptionnelle des céphalopodes (poulpes (ou pieuvres), calmars et seiches) à se camoufler. Leurs changements de couleur s’expliquent1 par la présence de trois types de cellules situées dans le derme (Fig. 2) :

  • Les chromatophores contiennent des pigments (bruns, noirs, rouges ou jaunes). Ils sont étalés lorsque les fibres musculaires qui les entourent se contractent. Les pigments sont alors bien visibles mais ils cessent quasiment de l’être lorsque les fibres ne se contractent plus. Dans ces conditions, les iridophores et les leucophores apparaissent.
  • Les iridophores, constitués d’un empilement de lamelles réfléchissantes, créent des couleurs iridescentes (en raison des interférences produites par ces multicouches)2. Les lamelles contiennent des protéines, appelées réflectines.
  • Les leucophores comportent des globules de protéines à haut indice de réfraction qui diffusent efficacement la lumière (sans changement de longueur d’onde) et apportent ainsi de l’éclat.

Fig. 2. Vue en coupe de la peau d’un céphalopode montrant la disposition des chromatophores, des iridophores et des leucophores.

Mignons mais extrêmement venimeux

Les petits poulpes à anneaux bleus (Hapalochlaena lunulata) vivent principalement en Australie et en Nouvelle-Calédonie. Leur taille ne dépasse pas une dizaine de centimètres. Ils passent le plus clair de leur temps à se camoufler dans tous les recoins que leur offrent rochers, coquillages et débris divers. Ils ne sont pas agressifs mais dès qu’ils sont dérangés, ils font clignoter leurs anneaux bleus (une soixantaine). Cette couleur est appelée aposématique (du grec apo, « venant de », et sema, « signe ») : il s’agit en effet d’un signal aux prédateurs signifiant « Attention, je ne suis pas comestible mais virulent ! ». S’ils sont harcelés, ils mordent : une neurotoxine (tétrodotoxine)3, stockée dans les glandes salivaires, est alors injectée dans la plaie. Une telle morsure est capable de tuer un humain : la tétrodotoxine est 100 fois plus toxique que le cyanure de potassium, et aucun antidote n’est connu. À bon entendeur, salut !

Des anneaux iridescents sous contrôle

La couleur bleue des anneaux provient des réflecteurs multicouches qu’ils contiennent,4 à l’instar des iridophores décrits ci-dessus. Il s’agit donc d’iridescence dont le contraste est renforcé par des chromatophores disposés autour et en dessous de chaque anneau. Mais aucun chromatophore ne se trouve au-dessus, ce qui est inhabituel chez les céphalopodes. En effet, nous avons vu qu’en général les chromatophores recouvrent plus ou moins les iridophores pour modifier la couleur.

Comment les « flashs » bleus sont-ils produits ? C’est par l’action des muscles situés au-dessus des iridophores : l’anneau est caché lorsqu’ils se contractent et réapparaît lors de leur relâchement.4 Ces muscles sont sous contrôle neuronal direct. Un tel mécanisme de production de signaux iridescents n'a pas été observé chez les autres céphalopodes. L’animal dispose ainsi d’un moyen particulièrement efficace de produire rapidement des signaux d’avertissement bien visibles (voir la vidéo).

Les poulpes, connus pour leur intelligence exceptionnelle, nous étonnent par leur diversité de comportement dont un exemple parmi bien d’autres est présenté ici. La qualification de « prince des profondeurs »5 n’est pas usurpée.

Références et notes

1B. Valeur et É. Bardez, La lumière et la vie. Une subtile alchimie, Belin, 2015, Chap. 4.

2B. Valeur, La couleur dans tous ses éclats, Belin, 2011.

3La tétrodotoxine est une toxine très puissante du système nerveux. Elle bloque le potentiel d'action dans les cellules nerveuses et les cellules musculaires en se liant aux canaux sodiques. Il en résulte un blocage de la respiration pouvant entraîner la mort. La tétrodotoxine est présente non seulement chez les poulpes à anneaux bleus, mais aussi chez le crapaud de mer et divers poissons (poisson-globe, poisson-lièvre, poisson-coffre, etc.). Pour en savoir plus : aquaportail.com, ScienceDirect

4L. M. Mäthger et al., « How does the blue-ringed octopus (Hapalochlaena lunulata) flash its blue rings ? » Journal of Experimental Biology, vol. 215, pp. 3752-3757, 2012. DOI: 10.1242/jeb.076869

5P. Godfrey-Smith, Le prince des profondeurs : L’intelligence exceptionnelle des poulpes, Flammarion, 2018.

 


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