Comment retoucher une photo couleur ? 1. La jungle des paramètres colorimétriques

Prendre des photos numériques avec un smartphone, un compact, un hybride, un reflex, c’est tellement simple que c’est devenu… un réflexe ! Malheureusement, la plupart des images ne présentent pas spontanément toutes les qualités annoncées par les fabricants, et l’on éprouve bien souvent le désir d’employer un logiciel de retouche pour les corriger. Le néophyte est alors saisi d’une grande perplexité devant l’abondance des réglages mis à sa disposition dans les logiciels de traitement d'images. Le but de ce premier billet est de vous aider à vous y retrouver dans la jungle des paramètres colorimétriques. Le second rapportera un entretien avec un spécialiste qui vous éclairera sur les subtilités de la retouche d’une photo numérique.

Les multiples trios de paramètres colorimétriques

Il faut toujours garder à l’esprit que la couleur est une sensation que procure le cerveau.C’est pourquoi caractériser une couleur de façon quantitative, c’est-à-dire lui attribuer des paramètres avec des valeurs numériques, est une tâche extrêmement délicate. Ces paramètres sont nombreux, comme le montre la fenêtre Sélecteur de couleurs du logiciel Photoshop (Fig. 1). Que signifient les lettres T S L R V B L a b C M J N sur lesquelles bute le néophyte ? Ces lettres doivent être regroupées par trois, car, d’une façon générale, il faut trois paramètres pour caractériser une couleur2 : [T, S, L], [L, a, b], [R, V, B], [C, M, J (+N)].

Fig. 1. La fenêtre Sélecteur de couleurs du logiciel Photoshop. Des cadres en pointillés ont été ajoutés pour distinguer les divers ensembles de paramètres caractérisant une couleur. © Bernard Valeur

Le trio [R, V, B] précise les valeurs relatives des couleurs primaires R(rouge), V(vert), B(bleu) de la synthèse additive des couleurs2 utilisée notamment dans les écrans couleurs et les vidéoprojecteurs.

Dans le trio [C, M, J], les valeurs de C(cyan), M(magenta), J(jaune) sont les proportions relatives des couleurs primaires de la synthèse soustractive des couleursutilisée pour l’impression. On y ajoute le noir (N) pour obtenir les teintes foncées et de vrais noirs.

Dans le trio [T, S, L], T désigne la teinte, S, la saturation et L, la clarté. Il est commode de représenter ces paramètres T, S, L dans un diagramme à trois dimensions (Fig. 2).

Fig. 2. Représentation tridimensionnelle des paramètres T, S, L (teinte, saturation, clarté).© Bernard Valeur

- La teinte distingue les sensations colorées : bleu, vert, jaune, rouge, bleu-vert, etc. Les teintes pures (celles qui correspondent à une seule longueur d’onde, et appelées de ce fait monochromatiques) sont réparties sur une grande partie de la circonférence du cercle. On parle dans ce cas de couleurs saturées. Sur le reste de ce cercle, entre les couleurs extrêmes du spectre visible, le rouge et le violet, se placent les pourpres correspondant à un mélange variable de ces deux couleurs.

- La clarté L caractérise l’intensité lumineuse perçue. On se contente en général de valeurs relatives de 0 (noir) à 100 (blanc). En photométrie, on emploie le terme de luminance (représentant le quotient de l’intensité lumineuse d’une surface par l’aire apparente de cette surface). Le terme luminositéest souvent employé à tort à la place de clarté (notamment dans Photoshop). Il est mal défini et doit être évité. Notons au passage que les peintres ne parlent pas de clarté mais de valeur.

- La saturation S rend compte des divers niveaux de coloration pour une teinte donnée. Sa valeur est de 100 % pour une couleur totalement saturée (couleur spectrale (pure) à une longueur d’onde donnée) et 0 % pour une couleur totalement désaturée (un gris plus ou moins foncé selon la clarté) (voir la partie gauche de la Fig. 1).

Cette représentation tridimensionnelle est à la base de l’espace colorimétrique CIE L*a*b* proposé en 1976 par la Compagnie internationale de l’éclairage (CIE) (Fig. 3). Que signifient L*, a*, b* (lettres que l’on retrouve sur la fenêtre Sélecteur de couleurs de Photoshop, sans les astérisques) ? La clarté L* est portée sur un axe vertical de 0 (noir) à 100 (blanc), de bas en haut. Les paramètres a* et b* sont les composantes chromatiques : a* sur l’axe vert-rouge et b* sur l’axe bleu-jaune. L’angle de teinte h et la saturation désignée ici par le symbole C* (initiale de chroma) sont facilement calculés à partir des valeurs de a* et b* (voir la légende de la figure 3).

Fig. 3. Dans l’espace CIE L*a*b* 1976, pour une clarté L* donnée, c’est-à-dire dans un plan donné, les coordonnées d’un point sont les composantes chromatiques a* (axe vert-rouge) et b* (axe bleu-jaune). h est l’angle de teinte. C* (chroma) est la saturation, donnée par la distance à l’axe. h et C* s’expriment simplement en fonction de a* et b* : h = arctg(b*/a*), C* = (a*2+b*2)1/2 . © Bernard Valeur

Bien d’autres espaces colorimétriques ont été proposés. Pour une présentation complète de ces espaces, voir la référence 4.

Et notre œil dans tout ça ?

Notre vision est trichromatique puisque notre rétine possède trois types de cônes, photorécepteurs qui répondent dans de larges plages de longueurs d’onde,mais il est inapproprié de prétendre que notre œil voit en Rouge-Vert-Bleu (RVB). Il n’en pas moins vrai que la superposition de ces trois rayonnements dans des proportions adéquates permet de reproduire la plupart des couleurs visibles par l'œil sur un écran couleur. Mais attention, certaines couleurs extrêmes (que l’on distingue sur des fleurs ou avec des pigments employés par les peintres, etc.) ne peuvent pas être reproduites par ce procédé, ni sur un écran, ni en impression.

Rappelons en outre que les signaux délivrés par les cônes sont prétraités par les neurones rétiniens qui transmettent simultanément au cerveau, par trois voies nerveuses distinctes, des signaux relatifs au contraste lumineux (ou contraste de clarté) et à deux contrastes chromatiques (rouge-vert et bleu-jaune).Ce n’est pas un hasard si ces contrastes chromatiques correspondent précisément aux coordonnées chromatiques a* et b* du système CIE L*a*b* conçu par des spécialistes de colorimétrie, inspirés par le mode de fonctionnement de notre œil.

Les divers paramètres colorimétriques n’ayant désormais plus de secret pour vous, allons maintenant interroger un spécialiste qui nous expliquera les bases de la retouche des photos numériques. L’entretien avec lui fera l’objet du prochain billet.

Ce billet a été rédigé de façon conjointe avec Jean-Pierre Merlet.

Références et notes

1Voir le billet du 12.10.2018 :« Pourquoi la perception des couleurs n’est-elle pas parfaitement identique pour chacun de nous ?

2Voir le billet du 13.01.2019 : « Quand naissent les couleurs, la règle de trois s’impose »

3La clarté est désignée, non pas par C, mais par L qui est l’initiale du mot anglais Lightness. Dans le langage technique, ce mot signifie clarté mais il est souvent traduit par luminosité, d’où l’emploi fréquent de ce terme, à tort, pour la caractérisation d’une couleur.

4R. Sève, Science de la couleur. Aspect physique et perceptif, Chalagam, 2009.

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