Comment retoucher une photo couleur ? 2. Les espaces et les modes colorimétriques
Après le recensement des paramètres colorimétriques intervenant dans les logiciels de traitement d’image (voir le billet précédent1), interrogeons Jean-Pierre Merlet, ingénieur de formation, utilisateur aguerri des outils de retouche et tireur confirmé de photographies.
B. Valeur. Quels sont vos conseils pour réaliser une retouche d’image pertinente ?
J.-P. Merlet. La première question à se poser lorsqu’on veut retoucher une image est : quel est le niveau de retouche que je cherche à réaliser ?
- Une simple amélioration globale pour recaler la luminosité et corriger une mauvaise balance des couleurs.
- Une retouche localisée pour aller chercher du modelé dans les zones sombres de l’image par exemple.
- Un travail plus approfondi avec suppression des éléments indésirables, retouche beauté, création de panoramiques, effet HDR2, restauration d’une photo ancienne.
En fonction du besoin et des compétences techniques du photographe, le choix du logiciel de retouche d’image est une étape incontournable. Les logiciels grand public proposent des collections de rendu prédéfinis et des possibilités de réglage faciles à appréhender. Parmi les plus connus, citons notamment la suite de l’éditeur français DXO ; mais pour les retouches approfondies, deux outils se détachent du lot : Capture One distribué par Phase One, très utilisé en studio pour ses capacités d’acquisition directe des images permettant de les contrôler et de les retoucher en temps réel, et l’incontournable Photoshop d’Adobe permettant tous les raffinements possibles, notamment : retouche localisée avec le mécanisme des calques de réglage ; détourages très sophistiqués ; retouche beauté professionnelle avec les outils de déformation si décriés et les techniques de lissage de peau (Dodge and Burn et Split Frequencies) ; création de panoramiques avec l’outil Photomerge, effets HDR, photomontages complexes.
B.V. Avant de parler des possibilités de retouche d’une photo numérique, pouvez-vous nous rappeler le principe du stockage d’une image dans un appareil photo numérique, puis préciser l’intérêt de travailler à partir des fichiers RAW et non des JPEG, tels qu’enregistrés par un appareil photo ?
J.-P. M. Le capteur CCD (qui remplace la pellicule photographique) est constitué d’une mosaïque de minuscules cellules indépendantes à base de silicium sensibles à la lumière, les photosites, qui stockent une image électronique. Comme les capteurs sont sensibles à l'ensemble des longueurs d’onde de la lumière, on dépose directement sur leur surface un réseau de pastilles colorées transparentes (filtre de Bayer (fig. 1), ou X Trans pour les APS-C de Fuji) de sorte que chaque photosite du capteur ne voit qu'une seule couleur primaire : rouge, vert ou bleu. Pour un photosite donné, l’intensité des deux couleurs manquantes est obtenue par un calcul appelé dématriçage, prenant en compte l’intensités des signaux issus des photosites adjacents.

Fig. 1. Filtre de Bayer. Source : Wikipedia.org
Si vous avez sélectionné l'enregistrement en JPEG dans les menus de votre appareil photo, un dématriçage interne est effectué et l'image est enregistrée en JPEG et donc en 8 bits (256 niveaux) pour chacune des 3 couleurs. Par contre, si vous avez demandé l'enregistrement en RAW (pour fichier brut), le dématriçage n'est pas effectué par le processeur de l’appareil photo et vous gardez toute la profondeur d'analyse du capteur, 12 ou 14 bits, soit 4096 niveaux ou 16384 niveaux pour chaque couleur mesurée par le filtre coloré associé à chaque pixel. Vous vous réservez ainsi la possibilité d'effectuer un dématriçage a posteriori avec des algorithmes plus puissants que ceux du processeur de l'appareil. Avant cette opération, chaque pixel est associé à une seule couleur, celle de son filtre coloré. Par contre après dématriçage, chaque pixel se voit attribuer trois paramètres pour spécifier l'intensité du rouge, du vert et du bleu. Si l'enregistrement du fichier est fait au format JPEG, l'image a une profondeur de couleur de 8 bits. Si l'enregistrement est fait en TIFF, il est possible de choisir l’option 8 ou 16 bits.
Le principal avantage résultant du traitement du RAW est d'offrir beaucoup plus de possibilités dans le traitement de l'image. Il est par exemple possible de récupérer de très nombreux détails dans les zones sombres de l'image, un peu comme le fait notre œil à notre insu. Mais que vous retouchiez une image RAW ou JPEG, la problématique reste sensiblement la même. Vous aurez simplement moins d'étendue de correction à partir du JPEG.
B.V. Dans quel espace colorimétrique est-il préférable de travailler ?
J.-P.M. Pour faire simple, la science de la couleur a défini une façon élégante de représenter la palette de toutes les couleurs identifiables par l'œil. Passons ici sous silence tous les dispositifs de mesure et tous les calculs qui permettent d'aboutir au diagramme de Chromaticité représentant toutes ces couleurs (Fig. 2).3 Mais ce diagramme est important à connaître car il permet de visualiser l'ensemble des couleurs qui seront codifiées dans le fichier numérique de l'image en fonction de l'espace colorimétrique choisi. Ces couleurs sont celles contenues dans le triangle de l’espace choisi. Vous voyez donc qu’une partie non négligeable des couleurs perçues par l’œil sont éliminées. Heureusement ces couleurs correspondent à des couleurs très saturées rarement présentes dans notre environnement. L'espace sRVB donne accès à la palette des couleurs qui sont visualisables sur un écran bureautique d'ordinateur. L'espace Adobe RVB, quant à lui, correspond à l'espace visualisable sur un écran Haut de Gamme dédié à la photographie. Son utilisation se justifie dans la mesure ou les imprimantes Jet d'encre professionnelles reproduisent la plupart des couleurs de cet espace.4

Fig. 2. Les espaces colorimétriques sRVB et Adobe RVB comparés au diagramme de chromaticité (pour une clarté donnée). Source : adobe.com
B.V. Maintenant que l’on a défini l’espace de travail, comment choisir le mode colorimétrique que le logiciel de retouche va mettre en œuvre pour effectuer les retouches ?
J.-P.M. En fait, vous n'avez pas le choix. C'est le concepteur du logiciel de retouche qui définit ses algorithmes de traitement d'image. Mais ce qui est important, ce sont les possibilités d'action sur l'image que le logiciel propose et leur facilité d'usage. Allez-vous modifier une couche rouge, verte ou bleue ? Souhaitez-vous modifier la clarté sans action sur les couleurs ? Voulez-vous désaturer les verts ?
L'important est que le réglage soit simple et avec le minimum d'effets secondaires. Par exemple, si une image est trop jaune, on pourrait croire qu’il suffirait d’augmenter toutes les valeurs bleues de tous les pixels. Sauf que si vous procédez ainsi, vous affectez la luminosité globale et constatez des bascules de couleur difficiles à maîtriser sur certaines zones de l'image. Dans ce cas il est vraisemblable qu’un réglage de température de couleur sera bien adapté.
C’est pourquoi les informaticiens d'Adobe ont choisi le mode Lab, dérivé de l’espace colorimétrique CIE L*a*b* (explicité dans le billet précédent1), pour concevoir le moteur de correction des images du logiciel Photoshop. Même si les données sont presque toujours sauvegardées en mode RVB (Rouge, Vert, Bleu), le traitement interne des images dans le logiciel se fait en mode Lab.
Ce mode est très intuitif quand il s'agit de corriger une image. Ne dit-on pas :
- L'image est trop sombre, les noirs sont bouchés, les blancs sont cramés (référence à L).
- L'image est trop jaune, le coucher de soleil était plus resplendissant (référence à l'axe bleu/jaune : composante chromatique b).
- La teinte du visage de notre grand-mère n'était pas aussi rouge (référence à l'axe vert/rouge : composante chromatique a).
Il existe bien d'autres modes colorimétriques. L'un d'eux, le mode TSL (Teinte, Saturation, Clarté),1 est parfois employé. Son utilisation dans les logiciels de retouche d'image reste anecdotique. Notons toutefois que Photoshop offre des possibilités de retouche conjointe de ces trois paramètres dans sa panoplie d'outils.1
B.V. Merci pour ce premier entretien. Les espaces et les modes colorimétriques étant désormais précisés, il faut aborder maintenant la pratique de la retouche d’image. Ce sera l’objet d’un nouvel entretien et le sujet d’un prochain billet.
Notes et références
1Billet du 31.03.2019, « Comment retoucher une photo couleur. 1. La jungle des paramètres colorimétriques ».
2Le traitement HDR (High Dynamic Range) est un procédé qui consiste à combiner plusieurs images différemment exposées pour en reproduire au mieux les contrastes.
3Pour une initiation à la colorimétrie : « A beginner’s guide to (CIE) colorimetry ».
4J. Delmas, La gestion des couleurs pour les photographes, les graphistes et le prépresse, Eyrolles, 2012.
Très bon article. Graphiste depuis 25 ans, j'apprends encore des choses, concernant le matriçage notamment.
J'ai longtemps entendu dans mon métier "Les professionnels travaillent en CMJN". Il est vrai que lorsqu'une image est destinée à être imprimée, une fois tous les réglages et corrections effectués, vient le moment de la conversion RVB vers CMJN. En théorie, il semble évident qu'il soit préférable de préserver le plus longtemps possible les données d'origine (RAW, puis Lab ou RVB). Mais dans la pratique, arrive rapidement le moment où on est limité par le procédé de reproduction de l'image, c'est à dire le spectre CMJN pour l'impression.
Cet aspect est souvent transparent en bureautique ou pour les impressions amateur car le pilote de l'imprimante convertit les données à la volée au mieux des capacités de l'imprimante.
Mais dès lors qu'on souhaite reproduire fidèlement certaines couleurs, il devient préférable de travailler directement en CMJN, ce que propose la majorité des logiciels professionnels.
Et c'est là qu'il serait intéressant de proposer un article qui donne des conseils pour gérer au mieux ces contraintes parfois contradictoires, et peut-être d'aborder la question de l'épreuvage.
Tant qu'il s'agit d'effectuer des tirages photos, nous sommes à l'intérieur d'un problème bien particulier assez simple à résoudre. Mais dès qu'on veut créer un composition incluant du texte, des logos, des graphismes et des photos... la question se corse un peu !
Faites l'expérience suivante sur Photoshop...
Créez une image CMJN qui contient 100% de Cyan.
Convertissez là en RVB puis en CMJN de nouveau...
Vous obtenez une image qui contient 93% de Cyan et 9% de Magenta !!!
Cela est du aux réglages par défaut de conversion entre espaces colorimétriques !
On peut obtenir de bien meilleurs résultats en utilisant par exemple les profils ECI.
Et cela est très utile lorsque vous voulez réaliser une photo virtuelle en 3D d'un packaging.
En effet vous disposez de données CMJN que vous convertissez en RVB pour travailler en 3D puis vous revenez en CMJN pour l'impression.
Bref, un dossier pratique pour imprimer des documents composé de contenus divers serait le bienvenu...
Merci pour cet article ainsi que pour l’intervention de Matt qu’il serait intéressant de faire suivre !