Comment retoucher une photo couleur ? 3. Bien choisir son logiciel

Après avoir pénétré dans la jungle des paramètres colorimétriques (voir le billet du 31.3.2019)1 et exploré les espaces et les modes colorimétriques (voir le billet du 14.04.2019)2, le moment est venu de partir à la chasse aux logiciels de retouche. Devant un tel foisonnement de ces derniers, le choix n’est pas aisé. C’est pourquoi nous avons sollicité les conseils d’un professionnel, Jean-Pierre Merlet, qui nous avait déjà accordé un entretien2.

B. Valeur. Avant d'examiner les divers logiciels de retouche d'images, pouvez-vous nous expliquer pourquoi il s'avère souvent souhaitable, sinon nécessaire, de retoucher les images issues de ces bijoux de haute technologie que sont nos smartphones et nos appareils photo numériques?

J.-P. Merlet. Tous les appareils photo numériques, qu’ils soient compacts, hybrides ou réflex, ainsi que nos téléphones portables, enregistrent des images superbes à en croire les publicités. Malheureusement, malgré tous les progrès technologiques, tant au niveau des capteurs que des algorithmes de traitement d’image, la situation n’est pas aussi euphorique qu’on pourrait le penser. Les petits capteurs qui équipent nos téléphones portables ne donnent des résultats satisfaisants que lorsque la lumière est suffisamment intense car ils sont pénalisés par leur très petite taille et peinent à fournir des images correctes dès que la luminosité décroît. Les images sont alors bruitées et peu détaillées. Même les appareils haut de gamme, malgré la taille de leurs capteurs et leur définition élevée (bientôt 100 mégapixels sur des appareils accessibles au grand public) fournissent des images qui gagnent à être travaillées pour un rendu optimum.

En fait, les trois problèmes les plus fréquents rencontrés par les photographes sont :

  • Une mauvaise balance des couleurs donnant des images trop jaunes ou trop bleues.
  • Une exposition mal évaluée se traduisant par des images trop claires ou trop sombres, notamment dans le cas de contre-jours.
  • Des contrastes insuffisants donnant une impression de mollesse générale.

S’ajoute à cela le besoin de recadrer l’image, de révéler certains détails dans les zones sombres ou claires pour donner plus de relief à l’ensemble. Pour les plus exigeants d’entre vous, le recours à des techniques sophistiquées permettra de corriger toutes sortes de défauts.

B.V. Il est important de rappeler que nos appareils photo enregistrent les images au format JPEG et proposent l’enregistrement au format RAW. Lors de notre précédent entretien2, vous nous avez expliqué la différence entre ces deux formats. Pouvez-vous en quelques mots nous la préciser à nouveau ?

J.-P.M. Effectivement le format JPEG est le format standard d’enregistrement des images que tous les appareils photo proposent par défaut. Il permet une exploitation immédiate des images. Mais le format RAW permet de disposer des données non dématricées et donc d’effectuer ultérieurement le dématriçage2 avec un logiciel externe plus puissant que celui intégré dans le Firmware (logiciel interne) de l’appareil photo.

B.V. Venons-en maintenant aux logiciels de retouche d’images. Ils sont fort nombreux. Comment s’y retrouver pour choisir celui qui convient le mieux en fonction des besoins de l’utilisateur ?

J.-P.M. Selon les compétences de chacun et le degré d’exigence souhaité, il existe une large palette de logiciels généralistes, du plus intuitif au plus sophistiqué. Il est possible de diviser les logiciels de traitement des images en plusieurs catégories.

  • Catégorie des logiciels raisonnablement intuitifs : ce sont ceux avec lesquels tous les réglages sont réalisés grâce à une multitude de curseurs, chacun affecté à un seul paramètre. Peu importe l’ordre dans lequel les réglages sont effectués. Et tous peuvent être réajustés à tout instant. Ces logiciels peuvent être rapidement maitrisés sans une longue période d’apprentissage.
  • Catégorie des logiciels professionnels : ils permettent de travailler avec des calques3 pour effectuer les réglages et les manipulations d’image les plus complexes. Représentez-vous les calques comme une superposition de couches successives, chacune dédiée à une action spécifique. Le choix d‘un type de calque détermine le type de correction souhaité. Le choix est vaste. De plus, associé à chaque calque de réglage, un masque de fusion permet de délimiter avec précision la zone de l’image impactée par le réglage du calque. Ces logiciels permettent d’effectuer la suppression fine des défauts, des déformations et des incrustations. Mais cela est obtenu au détriment de la simplicité d’utilisation et du poids du fichier de travail. De plus, il faut prévoir une bonne formation.
  • Les dérawtiseurs : dans le cas du traitement des RAW par des logiciels à curseurs, les réglages sont enregistrés sous forme de données numériques dans un petit fichier indépendant “image”.XMP (sauf les fichiers .DNG qui intègrent ces réglages) qui, à chaque ouverture du fichier image, sont réexécutés. Notons que cette architecture logicielle permet de travailler en Batch, c'est-à-dire d’affecter à une sélection d’images les réglages enregistrés pour 1 image. C’est ce qu’on appelle la synchronisation qui est très utile lorsque vous avez réalisé un reportage et que vous devez traiter les RAW d’une succession d’images prises dans les mêmes conditions d’éclairement. Par exemple, le dérawtiseur de Photoshop est Camera Raw.

B.V. Pouvez-vous nous citer quelques logiciels de la première catégorie ?

J.-P.M. Dans la catégorie des logiciels intuitifs, on trouve des outils tels que Lightroom d’Adobe, DXO FilmPack, Luminar, On1, Topaz Labs, et bien d’autres. Notons que certains d’entre eux intègrent des Catalogueurs pour simplifier l’archivage de vos images et leur recherche par mots clés. Mais attention, un vrai catalogueur comme celui de Lightroom Classic ou de Lightroom CC demande un vrai effort de compréhension. Ils ne sont vraiment utiles que pour les photographes aguerris qui doivent organiser leurs photothèques.

Pour les amateurs vraiment débutants, il existe des logiciels qui proposent tout simplement de choisir un rendu pour créer en 1 click un rendu créatif. C’est l’antichambre de la retouche. DxO FilmPack est l’un d’entre eux.

B.V. Et qu’en est-il des logiciels professionnels ?

J.-P.M. Deux logiciels se distinguent par leur utilisation définitivement professionnelle : Photoshop et Capture One.

• Photoshop d’Adobe, outil de référence absolu pour la retouche professionnelle, permet de réaliser toutes les manipulations d’image souhaitées. Il a été le premier à proposer au début des années 1990 le mécanisme des calques de réglage3 et des masques de fusion. Il offre tous les raffinements possibles : suppression des éléments indésirables, détourages très sophistiqués, retouche beauté professionnelle avec les outils de déformation et les techniques de lissage de peau (Dodge and Burn et Split Frequencies), création de panoramiques avec l’outil Photomerge, effets ou assemblage HDR (High Dynamic Range)4, photomontages complexes. La figure 1 montre un exemple de retouche de portrait.

Fig. 1. Retouche d’un portrait dans Photoshop : rehausse des noirs et atténuation des ombres sur le visage. © Jean-Pierre Merlet

Photoshop est un logiciel très structuré, bien architecturé, et aux fonctionnalités très étendues. Mais il faut un réel apprentissage pour bien utiliser son potentiel. Notons qu’il existe une version grand public de ce logiciel : Photoshop Elements dont le prix est très contenu pour ceux qui souhaitent une bonne introduction à Photoshop CC.

• Capture One de Phase One est très utilisé en studio par les photographes de mode car il permet la capture instantanée des images pendant un shooting5. Cela permet de sélectionner en temps réel les images qui seront retenues. Il est très apprécié pour ses performances inégalées en calage des couleurs.

Il faut citer également Paint Shop Pro de Corel et The GIMP (en open source) qui ont une architecture logicielle similaire à celle des précédents. Ces logiciels gagnent à être éventuellement complétés non par un catalogueur, mais par un bon gestionnaire de fichiers. Capture One possède son propre gestionnaire de fichiers.

B.V. Les calques de réglage constituent visiblement un atout majeur du logiciel Photoshop très apprécié par les professionnels. Pouvez-vous préciser davantage le principe et donner un exemple concret ?

J.-P.M. L’utilisation des calques de réglage est un peu déroutante au départ à cause de la richesse des outils disponibles. Elle est en fait assez simple à appréhender. Les premiers films de Walt Disney étaient réalisés en superposant des calques. Photoshop a repris ce principe en maquettant son logiciel de façon que la succession des outils sélectionnés soient visualisés comme un empilement de calques définissant l’ordre des actions effectuées. Il y a deux types principaux de calques :

  • Les calques de réglage qui effectuent sur les pixels de l’image des actions bien définies.
  • Les calques image qui contiennent des éléments d’image sous forme de plages de pixels.

De plus, chaque calque de réglage peut être associé à un masque de fusion qui délimite la zone de l’image ou l’effet effectué par l’algorithme du calque est appliqué. Ce masque est un calque de pixels Noir et Blanc sur lequel on peut « peindre » en blanc avec l’outil pinceau pour délimiter la zone d’action du calque de réglage. Enfin, chaque calque possède des modes de Fusion et des Propriétés qui permettent certains réglages avancés (hors du champ de ce billet).

Un exemple : dans votre image, votre meilleure amie porte une robe rouge qui est bien trop saturée dans le fichier et vous n’avez plus de modelé dans son drapé. En examinant les trois couches de l’image dans l’onglet couche, vous vous apercevez que la couche bleue, contrairement à la rouge, contient les informations manquantes. Le principe de la méthode de récupération est simple. On copie les informations de luminosité de la couche bleue. Puis on les affecte à un calque image que l’on met au-dessus de l’image à corriger en mode de fusion incrustation. Vous avez alors le plaisir de voir apparaître le drapé. Quelques petits ajustements seront alors nécessaires pour finaliser le rendu mais ils sortent du cadre de ce billet.

B.V. Existe-t-il des logiciels dédiés à des tâches spécifiques ?

J.-P.M. Effectivement, en complément aux logiciels généralistes, on trouve des logiciels très spécialisés pour des tâches pas toujours bien prises en compte par les logiciels généralistes dans des cas complexes :

– Focus Stacking avec HeliconFocus permet d'améliorer la profondeur de la zone de netteté par empilement des zones de netteté d’une succession d’images réalisées avec le même cadrage (Fig. 2). Il trouve son utilité principalement en photographie de petits objets (fleurs, bijoux, montres, etc.).

Fig. 2. Focus Stacking de deux images. Les rhododendrons au premier plan et la petite cabane au loin sont nets. © Jean-Pierre Merlet

– La fusion d’un très grand nombre d’images est possible avec PTGui (Graphical User Interface for Panorama Tools) pour réaliser de grandioses panoramiques. Mais attention, il faut un ordinateur très puissant si le nombre d’images est important.

B.V. J’aime beaucoup les photographies en noir et blanc. Avez-vous des recommandations à nous faire pour transformer une image couleur en noir et blanc ?

J.-P.M. Les portraits, la photo de rue, se prêtent bien à un virage Noir et Blanc. La suppression des couleurs concentre l’attention sur le modelé des visages, sur le graphisme des images. Vous aurez intérêt à y recourir pour donner de la force à certaines de vos prises de vue. Il existe de très nombreuses méthodes. Evitez absolument le passage brutal en Noir et Blanc par écrasement des trois couches RVB. Cette méthode donne le plus souvent des images sans contraste. Les logiciels généralistes proposent des outils permettant d’ajuster la luminosité de chaque plage de couleur (6 ou 8 selon les logiciels) pour donner du modelé à l’image. Le résultat est souvent fascinant. Si vous voulez vous y essayer, il existe aussi un très bon outil dans la suite NIK Collection de DXO, Silver Efex Pro qui permet d’obtenir des Noirs et Blancs remarquables.

B.V. Quels conseils pouvez-vous nous donner pour archiver toutes nos images ?

J.-P.M. Vous avez le choix entre les catalogueurs et les gestionnaires de fichiers.

  • Les logiciels de catalogage sont plus récents que les logiciels classiques d’archivage. Ils permettent d’organiser le classement et la recherche des images stockées dans un ordinateur. Les deux plus célèbres sont Lightroom Classic pour la gestion d’un archivage local et Lightroom CC pour un archivage dans le Cloud et une indexation automatique par intelligence artificielle (mais attention au prix de l’abonnement mensuel pour le stockage en ligne dès que vos archives se mettent à grossir !).
  • Les gestionnaires de fichiers conviennent pour des utilisateurs occasionnels. L’un d’entre eux est Adobe Bridge. C’est un logiciel simple et puissant, tout à fait recommandable. Il permet notamment d’ajouter des mots-clés aux fichiers (dans les champs IPTC) pour une recherche ultérieure et de leur attribuer un critère de qualité (étoiles) selon l’intérêt de la photo.

B.V. Pour clore notre entretien, auriez-vous une recommandation générale à nous faire ?

J.-P.M. Oui, tout à fait. Il y a un point qui me tient très à cœur. Avant de vous précipiter pour corriger une image, commencez par bien la regarder pour identifier les corrections qui vous paraissent souhaitables. Puis effectuez le travail de retouche et fermez votre fichier. Allez vaquer à d’autres occupations, puis réouvrez votre image et examinez-la à nouveau. Dans de nombreux cas, une correction colorimétrique finale vous semblera alors évidente. En fait, lorsqu’on regarde trop longtemps la même image, l’œil rétablit une balance des couleurs et fausse notre perception.

B.V. Il faut en effet se méfier de notre système visuel. Nous ne percevons pas une couleur telle qu’elle est physiquement car des effets physiologiques influent sur notre perception. Il n’est pas exagéré de dire que la couleur nous trompe continuellement ! Mais cela est un autre sujet qui fera précisément l’objet d’une prochaine série de billets.

Un grand merci pour cet entretien. Ce panorama des logiciels de retouche sera, j’en suis certain, d’une grande utilité pour les photographes amateurs, débutants ou avertis.

Références et notes

1 Billet du 31.03.2019,« Comment retoucher une photo couleur. 1. La jungle des paramètres colorimétriques ».

2 Billet du 14.04.2019, « Comment retoucher une photo couleur. 2. Les espaces et les modes colorimétriques ».

3Un calque de réglage permet de modifier la chromie (teinte, saturation), la luminosité et le contraste d’une image.

4 Le terme deshooting est surtout utilisé pour une séance de prises de vues de mode pendant laquelle de très nombreuses images d’un même modèle sont réalisées.

 5 Le traitement HDR (High Dynamic Range) est un procédé qui consiste à assembler plusieurs images prises à différentes sensibilité (ISO) avec pour résultat une réduction du contraste général, tout en préservant le modelé local. Le rendu final s’apparente à celui d’un dessin.

Pour en savoir plus

J. Delmas, La gestion des couleurs pour les photographes, les graphistes et le prépresse, Eyrolles, 2012.

Pour se former aux logiciels professionnels


2 commentaires pour “Comment retoucher une photo couleur ? 3. Bien choisir son logiciel”

  1. Wilfried Répondre | Permalink

    Merci pour ce billet. Pour ma part j'utilise Gimp qui est suffisant pour mes besoins, je lui ai même ajouté BIM (Batch Image Manipulator) qui me permet d'appliquer un même traitement à un group d'images.

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