Couleur & vin. 4. La robe des vins blancs
Du p’tit blanc sur le comptoir au vin jaune profond des jurassiens, c’est à une véritable danse des couleurs que nous invitent les vins dits « blancs ». Leurs robes se déclinent en effet dans toutes les nuances de jaune ou d’or. Les jaunes peuvent présenter des reflets verts, signe de jeunesse, ou des nuances ambrées avec l’âge. De plus, la couleur se révèle plus ou moins intense selon le cépage et le mode d’élaboration du vin. Ainsi, certains vins blancs sont jaune clair (muscadet, riesling, etc.), tandis que d’autres sont d’un jaune plus foncé (sauternes, vins du Jura, etc.). Comment explique-t-on toutes ces nuances de couleurs ?
D’où vient la couleur jaune ?
La couleur des vins blancs (Fig. 1) reste mal comprise en raison de sa complexité, ce qui ressort des nombreuses études qui lui ont été consacrées. La couleur ne peut pas être imputée aux pigments jaunes présents dans la peau (ou pellicule) des raisins (composés phénoliques du type flavonol : kaempférol, quercétine…)1 puisqu’il n’y a pas de phase de macération avec les pellicules lors de l’élaboration de ces vins2. Ces pigments ne peuvent se trouver qu’à l’état de traces dans le vin. Quels sont alors les autres composés responsables de la couleur ?

Fig. 1. Couleur typique d’un vin blanc sec (cépage chardonnay). © Bernard Valeur
Il s’agit d’autres composés phénoliques dont la concentration est néanmoins faible car le contenu phénolique total est de 50 à 250 mg par litre dans les vins blancs, soit dix fois moins que dans les vins rouges. Parmi ces composés, certains sont de couleur jaune plus ou moins intense, essentiellement l’acide caféique, l’acide paracoumarique et des dérivés de la quercétine. Leur présence conduit le vin à absorber la lumière dans l’ultraviolet avec un maximum situé entre 310 et 350 nm. Cette absorption se prolonge dans le violet et le bleu. C’est pourquoi le vin apparaît jaune comme toute substance absorbant dans ces domaines lorsqu’elle est éclairée en lumière blanche. En effet, toutes les autres radiations non absorbées, du vert au rouge, se superposent sur la rétine et le cerveau nous procure une sensation de jaune, d’autant plus clair que l’absorption dans le violet et le bleu est faible.
Pour une caractérisation quantitative de cette absorption, on peut enregistrer, soit le spectre d’absorption3, soit le spectre de transmission dont la figure 2 donne un exemple.
Parmi les composés phénoliques présents dans les vins blancs se trouvent également des tanins, constitués de procyanidines4, qui sont aussi de couleur jaune. Ces tanins et les dérivés de l’acide caféique sont très oxydables, et leur oxydation à l’air est responsable du brunissement.

Fig. 2. Spectre de transmission du vin blanc Pouilly-Fuissé, Louis Jadot, 2014. La transmittance est la fraction de lumière transmise par le vin, c’est-à-dire le rapport entre l’intensité de la lumière transmise et celle de la lumière incidente. Cette fraction est plus faible aux courtes longueurs d’onde. L’épaisseur de l’échantillon est ici de 4 mm. Données spectrales tirées de l’article : M. D. Fairchild, The Colors of Wine, International Journal of Wine Research, vol. 10, pp. 13-31, 2018. © Bernard Valeur
Les vins blancs liquoreux : une place à part
Les vins blancs dits liquoreux (sauternes, monbazillac, gaillac, etc.) ont une teneur en sucre supérieure à 45 g par litre. Cette haute teneur est due au fait que la transformation des sucres du raisin en alcool est incomplète. Ces vins sont connus pour leur couleur jaune intense (Fig. 3) qui se distingue de celle des vins blancs secs, même oxydés. Ils présentent un spectre d’absorption dont le maximum se situe dans l’ultraviolet à 270 nm avec une contribution notable dans le violet et le bleu. Cette forte absorption a deux causes : d’une part, l’évaporation de l’eau de la pulpe du raisin au cours de la surmaturation5 concentre les substances colorantes et, d’autre part, l’émergence de réactions d’oxydation enzymatique produit de nouvelles espèces colorées.
Un vin liquoreux réputé est le rare vin de paille. Il est produit principalement dans le Jura. Les vendanges sont tardives et les grappes sont mises à sécher pendant plusieurs mois (passerillage) avant pressurage afin d’augmenter la concentration en sucre dans la baie. Le vin est vieilli en petits fûts de chêne pendant trois ans.

Fig. 3. La couleur du vin de paille est d’un jaune intense. Source : jura-tourism.com
L’évolution de la couleur avec l’âge
Les vins blancs jeunes sont d’un jaune très clair. Ils présentent parfois des reflets verts, signe d’un manque de maturité des raisins à la récolte et/ou de la présence de chlorophylles provenant des rafles ou des feuilles. Au cours du vieillissement à l’abri de l’air, les reflets verts deviennent moins perceptibles en raison de l’évolution de la couleur jaune vers le doré. L’évolution avec l’âge est illustrée sur la figure 4.

Fig. 4. Évolution de la couleur des vins blancs avec l’âge.
Les vins blancs d’un âge avancé sont souvent mordorés ou ambrés. Un exemple fameux : le vin jaune qui mérite une attention particulière.
Le vin jaune, une exclusivité mondiale du Jura
Le vin jaune est exclusivement produit dans le Jura à partir d’un seul cépage, le savagnin. Les vendanges sont tardives : après la Toussaint, au terme d’une longue période de surmaturation sur pied, d’où le surnom de « vin de gelée ». Les conditions d’élevage sont très particulières. Les moûts issus du pressurage sont conservés dans des fûts en chêne pendant six à dix ans sans aucune opération (c’est-à-dire sans soutirage6, ni ouillage7). Un voile de levure naturel se forme en surface et protège le vin tout en lui conférant sa couleur ambrée caractéristique (Fig. 5), ainsi que son arôme typique rappelant la noix, la noisette, le curry, la cannelle, etc.
Le vin jaune est un vin de longue garde qui est riche en alcool (jusqu’à 15°). Il est vendu en bouteilles de 62 cl, de forme spécifique, appelées clavelins (Fig. 5), du nom de la famille Clavelin, viticulteur de la région de Château-Chalon au XVIIIe siècle, célèbre pour sa production de vin jaune. Pourquoi 62 cl ? C’est le volume de vin produit à partir de 1 litre de jus de raisin initial, car 38 cl sont perdus par évaporation naturelle : cette partie porte le joli nom de « part des anges » !

Fig. 5. Tonneau de vin jaune vitré du Jura (Wikimedia Commons) et un verre de ce vin accompagné de sa bouteille de 62 cl appelée clavelin (Wikimedia Commons).
Blanc de noirs et blanc de blancs
Il est possible de produire du vin blanc avec des raisins noirs puisque, rappelons-le, le jus de raisin est quasiment incolore.1 Le vin ainsi élaboré est appelé blanc de noirs. Ce procédé est rarement employé pour les vins tranquilles, mais couramment pour les vins effervescents, et tout particulièrement pour le champagne en raison de la prédominance historique de deux cépages noirs en Champagne : le pinot noir et le pinot meunier. Le pressurage est effectué avec des grappes entières d’une façon très douce afin d’éviter la coloration du moût. La teneur en anthocyanes n’est que de quelques milligrammes par litre. Ce sont des champagnes puissants caractérisés par des notes de fruits rouges et de fruits noirs. La dénomination blanc de noirs s’applique également à d’autres vins effervescents (crémants de Bourgogne et d’Alsace), ainsi qu’à certains vins tranquilles.
Et un vin blanc de blancs ? Comme son nom l’indique, il est exclusivement produit avec des raisins blancs. En Champagne, seul le cépage chardonnay est autorisé. On utilise aussi la dénomination blanc de blancs pour des vins effervescents comme les crémants, et pour des vins tranquilles.
Ce panorama des vins issus de cépages blancs sera complété dans un autre article dédié aux vins dont la robe arbore une couleur acajou, orange, voire brune presque noire, en raison d’une oxydation volontaire ou d’une macération poussée.
Références et notes
1Voir le billet du 14.09.2021. Couleur & vin. 1. Les couleurs des baies de raisin.
2Voir le billet du 27.09.2021. Couleur & vin. 2. Comment les vins acquièrent-ils leurs séduisantes couleurs ?
3 Voir le billet du 07.10.2021. Couleur & vin. 3. Comment caractériser la couleur d’un vin ?, et l’article de B. Valeur dans la Revue des œnologues, vol. 369, pp. 22-26, 2018.
4Les procyanidines ou procyanidols sont des tanins condensés constitués d’unités flavanols de type catéchol et épicatéchol. Wikipedia
5Une fois que les grains de raisin ont atteint leur taille et leur taux de sucre optimal, ils commencent à perdre de l’eau et se concentrent donc en sucres. Un à deux mois après la date normale des vendanges, les raisins sont dits en surmaturation.
6Le soutirage consiste à transvaser le vin dans une autre cuve ou un autre fût afin de le débarrasser des lies qui se sont accumulées au fond.
7L’opération d’ouillage intervient lors de l’élevage en fût de chêne. Elle a pour objectif de compenser la perte de vin due à l’évaporation ou à l’absorption par le bois du fût. Elle consiste donc à ajouter du vin de même qualité. On évite ainsi le risque d’oxydation du vin à l’interface avec l’air.